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1 - BIBLIOGRAPHIE - Page 8

  • Avec "Touch of Evil", Orson Welles a réussi à surpasser son talent de réalisateur dans "Citizen Kane".

     

    Le film noir n'a jamais été aussi élégant - ou effrayant.

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    En 1941, le réalisateur Orson Welles a sorti son premier film, Citizen Kane, qui a connu un succès financier limité, mais a reçu un accueil très favorable de la critique. Le film, influencé par le style noir émergent, utilise de nombreux mécanismes du genre mais va bien au-delà des conventions habituelles, présentant un éventail varié de techniques cinématographiques qui seront associées à Welles en tant que réalisateur de cinéma. L'utilisation de la caméra par Welles, en particulier, le définira comme un artiste unique ; une large palette de longues prises de vue, de coupures abruptes, de plans en profondeur et de plans décentrés vertigineux sous presque tous les angles imaginables constitue le cœur du savoir-faire cinématographiques de Welles.

     17 ans plus tard. En 1958, les studios Universal sortent Touch of Evil, le 9ème long métrage de Welles. Comme Kane, le film est peu remarqué et rapporte peu d'argent, en grande partie à cause des techniques de remontage que le studio a utilisées pour couper les bords idiosyncrasiques¹ de la conception artistique de Welles. Les critiques de l'époque considéraient Touch of Evil comme un simple film de série B, ce qui n'a pas été facilité par la promotion odieuse et peu subtile du film, qui n'a fait que mettre en avant les " frissons bon marché " de la violence et (pour l'époque) de la sexualité. Malgré le mépris des critiques à l'époque de sa sortie en 1958, le film est aujourd'hui considéré sous un jour beaucoup plus favorable par le public contemporain et les spécialistes du cinéma, en grande partie grâce aux techniques de caméra inventives qui constituent la colonne vertébrale du film. Dans Touch of Evil, Welles et le directeur de la photographie Russell Metty créent un langage visuel dense grâce à l'utilisation des mouvements et du positionnement de la caméra, ce qui contribue à dépeindre un monde plus effrayant et perturbé que le Xanadu de Charles Foster Kane.

    ¹ Idiosyncrasie : Manière d'être particulière à chaque individu qui l'amène à avoir tel type de réaction, de comportement qui lui est propre.

    Prenez par exemple ce plan impressionnant qui ouvre le film. Il n'est peut-être pas aussi cité que les longues prises de vue de Welles dans Kane, comme la séquence de flash-back "Union Forever", mais Evil commence par ce qui est peut-être le plan le plus impressionnant du réalisateur sur le plan technique. D'une durée de 3 minutes et 20 secondes, l'éternel plan panoramique (réalisé à l'aide d'une grue) présente les principaux protagonistes, les jeunes mariés Mike Vargas (Charlton Heston), un haut fonctionnaire du gouvernement mexicain chargé de la lutte contre la drogue, et son épouse américaine Susie (Janet Leigh), alors qu'ils traversent la frontière entre les États-Unis et le Mexique pour entamer leur lune de miel. Grâce à la fluidité du mouvement offert par le plan continu, une distinction claire est faite entre les deux pays et leurs différentes cultures - à ce stade, il s'agit d'un simple motif visuel, mais qui deviendra plus tard l'un des thèmes du film avec l'introduction du personnage de Welles, le capitaine de police raciste Hank Quinlan. Dès le début de la scène, la tension est à son comble ; la toute première chose montrée au spectateur est un personnage non identifié qui pose une bombe à retardement à l'arrière d'une voiture. Le tic-tac de la bombe constituant un métronome démoniaque, le public est obligé de rester sur le bord de son siège tout au long de la scène, attendant d'être soulagé du suspense insupportable de savoir qui va mordre la poussière. Le fait que la scène soit un long plan, où l'attention est explicitement attirée sur sa continuité, renforce le suspense de la procédure. Cette longue prise de vue démontre que la durée du plan peut être aussi importante pour la réalisation que les éléments de mise en scène plus courants que sont le cadrage ou l'éclairage. Le rythme unique du plan offre un contrepoint saisissant à la plupart des autres films de l'époque et signale instantanément au public l'étrangeté et, surtout, la rupture du monde qu'il s'apprête à voir. Avec ce seul mouvement fluide, Welles parvient à présenter les principaux personnages du film ainsi que leurs problèmes. Comme dans le cas de Kane, il a compris, grâce à sa vaste expérience du théâtre, que le fait de laisser tourner la caméra sans couper le son donnait au public l'impression d'être une mouche sur le mur, d'être dans la pièce avec les personnages.

     

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    Image via Universal

    Touch of Evil fait également appel à de nombreuses utilisations notables de plans en contre-plongée. Cette technique, qui est l'un des éléments les plus célèbres du film (et de l'œuvre de Welles), est utilisée pour produire un effet psychologique tout en étant élégante : elle permet de faire paraître le sujet du plan fort et puissant d'une manière qui n'est pas possible avec un plan classique. Pendant le tournage de Kane, Welles n'arrivait pas à faire descendre la caméra assez bas à son goût, il a donc fait des trous dans le sol du plateau. Cette astuce technique a également permis de montrer les plafonds du plateau à la caméra, une rareté dans les films de l'âge d'or d'Hollywood, afin d'ajouter plus de réalisme à l'image. Dans Touch of Evil, l'intention des plans en contre-plongée est surtout d'attirer l'attention du public sur les personnages marginaux et moralement corrompus qui sont au cœur du film. Ainsi, le principal antagoniste du film, le brutal Hank Quinlan, qui ressemble à un ogre, est vu d'en bas pendant la majeure partie de la durée du film ; le public est informé du niveau de pouvoir de Quinlan et de la méchanceté qui l'habite. Ce n'est que lorsque le personnage tombe en disgrâce après 12 ans de sobriété qu'il est dépeint sous un jour moins dominateur, d'en haut, pour démontrer à la fois sa faiblesse face à l'alcool et la perte de pouvoir dont il souffre maintenant suite à l'enquête de Vargas sur ses pratiques policières corrompues. D'autres exemples de plans en contre-plongée parsèment le film, notamment en ce qui concerne les membres de la famille de "l'oncle" Joe Grandi, le frère (probablement criminel) d'un homme que Vargas a récemment fait enfermer pour trafic de drogue. A la fois pour montrer sa nouvelle allégeance à Quinlan et pour exercer sa propre vengeance, le psychotique Grandi demande à sa famille de terroriser la femme de Vargas, Susie, dans le motel où elle séjourne (dont il est également propriétaire). Pour démontrer le pouvoir collectif du groupe sur la solitaire Susie, les durs à cuire sont systématiquement montrés de dessous, ce qui leur donne une nature imposante et indéniablement méchante. Lorsque les individus menaçants s'avancent finalement vers Susie, sans défense, dans la forteresse de sa chambre, un puissant mélange de plans bas et de coupes abruptes est utilisé pour mettre en évidence le chaos et la terreur pure qui sous-tendent la procédure ; le point de vue devient celui de Susie, qui a peur.
     
    Une autre technique cinématographique quelque peu omniprésente dans le film est l'utilisation par Welles de la mise au point profonde, un type de plan où le premier plan, le second plan et l'arrière-plan sont tous facilement visibles. En créant une riche profondeur de champ, Welles utilise ces plans tout au long du film pour respecter le temps et l'espace naturels. L'exemple le plus notable de ce film est sans doute une scène célèbre dans l'appartement de Sanchez. Marié à la fille d'une des victimes de la détonation qui ouvre le film, le jeune Mexicain Sanchez est finalement accusé du meurtre par Quinlan et ses associés policiers américains parce qu'ils ont placé des bâtons de dynamite dans la salle de bains du premier - un fait qui n'est pas passé inaperçu pour Vargas. Dans la scène en question (en fait, un plan long de 5 minutes), Sanchez est soumis à un interrogatoire musclé dans son appartement par les officiers américains, sous le regard consterné de Vargas, seul défenseur de Sanchez. Pendant une grande partie du plan, la caméra fait tout son possible pour garder tous les personnages dans le cadre, qu'ils soient pertinents ou apparemment sans importance. Cela peut être attribué à l'objectif grand angle utilisé par Welles, qui offre une profondeur de champ beaucoup plus grande que le téléobjectif couramment utilisé à l'époque et qui permet aux individus de se profiler dans le plan d'une manière quelque peu inquiétante. Dans cet exemple, jusqu'à 7 personnages différents peuvent être vus en même temps dans le cadre étroit de l'appartement (noté par Welles pour créer délibérément un sentiment de claustrophobie) : Vargas, Quinlan, Sanchez, Grandi et divers policiers américains. Le regard et l'expression de chaque individu peuvent être enregistrés, formant une riche mosaïque visuelle pour le public. La nature d'un champ aussi large, accompagnée de la superposition des dialogues (un autre élément essentiel du film, déjà utilisé dans Citizen Kane), forme une image déroutante qui est aussi intrinsèquement réaliste. À travers le miroir, ce monde infernal et corrompu ressemble davantage au nôtre.

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    Image via Universal

    Le film présente également de nombreuses compositions de caméra que l'on peut qualifier de peu réalistes, et qui s'inspirent plutôt de l'expressionnisme allemand d'avant-garde. La scène susmentionnée, dans laquelle Susie est terrorisée par les proches de Grandi, en est un exemple. La caméra est alimentée par une pure énergie nerveuse et se lance dans une multitude de gros plans extrêmes et d'inclinaisons de type rigolo. Pourtant, dans un film où presque chaque plan est plus ou moins décalé, il y en a un en particulier qui remporte la palme : le dénouement final. Dans cette scène tendue, où l'on voit Vargas suivre à l'extérieur un Quinlan ivre  avec un magnétophone pour obtenir des aveux, rien n'a de logique. Le paysage est montré sous une variété d'angles excentriques : de haut, d'en bas et surtout de côté, le nombre de degrés d'inclinaison de la caméra semblant presque purement aléatoire. Des gros plans très déformés de Vargas, fournis par l'objectif grand angle, sont également disséminés. La séquence devient un flou presque carnavalesque, un mirage hallucinatoire d'images désordonnées. Parfois, la caméra est sur Vargas, parfois sur Quinlan et son partenaire, Menzies, et d'autres fois sur aucun des deux. Si cela semble anodin, c'est l'ordre des plans qui est déroutant, servant à désorienter le spectateur et à l'amener à s'interroger sur la véritable composition du décor qu'il regarde. La scène fonctionne assez bien à cet égard, en essayant d'obtenir une réponse émotionnelle du public ; dans ce cas, la désorientation accompagnée de la peur que Vargas gâche sa dernière chance de blanchir son nom et que le mal triomphe.

    Aujourd'hui, Touch of Evil est considéré à juste titre par les spécialistes du cinéma comme un tour de force cinématographique, qui pimente les conventions du film noir avec des éléments d'expérimentation qui en font presque une chose complètement différente : un prototype psychologique par moments. Malgré cela, le film ne reçoit pas le quart de l'attention et des éloges dont a fait l'objet Citizen Kane, le premier film de Welles, et ce, malgré le fait que Touch of Evil pousse à fond les paramètres cinématographiques de ce film et produit un effet très différent de l'étude de caractère réfléchie de ce film. C'est peut-être le syndrome du "premier est le meilleur", le fait que Touch of Evil, tout aussi bien construit, ait dû suivre ce premier film, mais Touch of Evil mérite sans aucun doute d'être reconnu pour son rôle dans l'établissement d'une forme avant-gardiste du film noir. Il est aussi terrifiant qu'un Hitchcock à son apogée, et il parvient à réunir habilement le commercial (les sensations fortes) et le non-commercial (les techniques excentriques de caméra ) dans un film qui peut être apprécié aussi bien avec du pop-corn que comme sujet d'étude.

     

     

  • CINEMONDE N° 1479 DU 11 DECEMBRE 1962

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    " CHARLTON HESTON M'A SAUVEE " comme en atteste le titre racoleur de cette revue, en première de couverture.

     

    N'écoutant que ma curiosité et celle de  mes chères amies hestoniennes, je me suis précipitée pour l'acheter, tout en sachant fort bien qu'il n'y aurait rien de croustillant ou d'émouvant à lire sur ce sujet, je devrais plutôt écrire "sur ces deux personnalités. 

    Cela ne fait rien, nous aurons encore l'occasion d'un beau débat sur notre groupe FB, ce qui finalement est réjouissant.

    En attendant, voici l'article qui peut être considéré comme une véritable leçon d'Histoire sur une période que tout le monde ne connaît pas forcément, en même temps qu'une incursion sur le tournage d'un film qui a demandé  beaucoup de figurants, une reconstitution de la ville impériale qu'était PEKIN. 

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  • 33 - HESTON et DE MILLE, histoire d’un conte d’Hollywood ( 3ème partie & fin)

    ⇒SUITE

    L’expérience égyptienne du tournage va trouver son point culminant lorsque De MILLE, sublimé par l’objectif malgré de graves problèmes de santé, va emmener toute l’équipe près du CAIRE, dans le décor de la Cité des Pharaons recréé pour l’occasion,  tour de force à couper le souffle mais qui n’est rien en comparaison de la séquence de l’Exode qu’il s’apprête à tourner ! Environ 10 000 figurants vont être employés, et 15 000 animaux de toutes sortes, chameaux( bien sûr !) mais aussi chevaux, ânes, pigeons, chiens, canards , chèvres, bref une ménagerie imposante que De MILLE, à son sommet dans les scènes de ce genre, va prendre tellement plaisir à contrôler dans ses moindres détails qu’HESTON se demandera sérieusement si la séquence va finir par être réalisée ! 


     Après cinq heures de préparation sous un soleil brûlant, De MILLE, assisté de son co-producteur WILCOXON et de 65 assistants mêlés à la foule et munis de talkie-walkies pour écouter les instructions du maitre, finira ( quand même)  par siffler le départ de l’action, non sans avoir corrigé tous les détails qui ont pu heurter son incroyable sens visuel, mais qui auraient échappé à tout futur spectateur normalement constitué !

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    Car il ne faut pas manquer de le (re) souligner, pour ce fils de pasteur qui approche la fin de son expérience terrestre, « THE TEN COMMANDEMENTS » est plus qu’un film, c’est un devoir, une mission  qu’il s’est donnée, celle de porter à l’écran le plus fidèlement possible :


    «  le plus grand drame de l’Histoire, la relation entre l’Homme et Dieu ; je veux que les gens qui voient ce film soient touchés par la beauté du spectacle, mais que le film leur apporte une meilleure compréhension de la vraie signification de ce schéma de vie que Dieu nous a donné à suivre ; car si nous ne respectons pas les Commandements, ce sont eux qui nous brisent »


    Cette louable ambition aura un coût, et pas seulement financier, car le cinéaste va souffrir d’une grave attaque cardiaque peu après l’ascension d’une échelle le menant à un poste de tournage situé au plus haut du décor ; emmené d’urgence au Caire, obligé par les docteurs de passer deux semaines sous une tente à oxygène avec interdiction absolue de faire le moindre effort, il va bien sûr passer outre ces recommandations et revenir sur le plateau trois jours après, comme galvanisé par quelque intervention divine, pour finir la mise en scène de l’Exode et commencer à réfléchir sur la suite du projet, car on n’a même pas tourné le tiers de l’ouvrage !

     

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    En tout cas, on en a fini avec la partie égyptienne du plan de travail, ce qui va chez HESTON provoquer un relâchement compréhensible, d’autant que son épouse Lydia  est enceinte de six mois du futur Fraser, un bonheur que la maisonnée HESTON attend avec impatience ; les décors de studio choisis pour poursuivre le tournage n’ont certes pas la magie de lieux authentiques, mais comme c’est du De MILLE, ils ne vont pas manquer de grandeur pour autant, notamment l’inénarrable orgie autour de la célébration du «  Veau d’Or »  qui prendra une semaine à tourner .


    Elle épuisera  d’ailleurs tellement les nombreux figurants irrités par les exigences du metteur en scène revenu en pleine forme, que l’une des jolies filles engagées pour cette gigantesque séquence de beuverie et  disons-le, de partouze inavouable, déclarera à un assistant :


    «  Bon dieu, Eddie, avec qui  dois-je coucher pour pouvoir sortir de ce film ? »


    Scène particulièrement réussie ceci dit, si on s’en tient aux canons de l’époque, même si bien sûr certaines poses de figurants ne manqueront pas de prêter à rire aujourd’hui, et finalement, osera t’on dire, peut-être supérieure à la séquence pourtant tellement vantée de «  la Mer Rouge » dont l’ouverture des eaux fera subir à l’armée égyptienne le poids de la toute- puissance de Dieu ! On a souvent comparé ce passage clé de l’ouvrage à la fameuse course de chars de BEN-HUR, et les deux occupent une place de choix dans l’imaginaire hestonien, mais force est de constater que le temps n’a pas  été clément avec la première des deux séquences ; la conception en est superbe et la présence d’HESTON  ainsi que son inimitable phrasé sont fascinants, mais  la réalisation technique des transparences ainsi que le découpage des figurants  dans le cadre de l’action principale paraissent aujourd’hui maladroits, grossiers, et nuisent beaucoup à l’efficacité émotionnelle du passage, ce que HESTON, beau joueur, ne manquera pas de souligner plus tard :


    « la scène de la Mer Rouge n’est pas aussi bonne que l’Exode, structurellement ou en résultat global ; en mettant de côté les considérations techniques qui rendent la séquence difficile, il faut qu’il y ait de la conviction, il faut y croire, et je suppose que maintenant, on pourrait la faire mieux ; il n’y a pas vraiment de performance dans cette scène, ma contribution  est «  purement chimique »( a chemical contribution)


    La foi de De MILLE dans son projet étant restée intacte pendant toute cette longue période,  il lui parut finalement facile d’en arriver à ce quasi –final symbolique, encore une fois totalement créé en studio, qui voit MOISE punir  son peuple pour s’être égaré loin des Commandements de Dieu, selon les propres mots du cinéaste : « les Hébreux n’étaient plus que démence et folie, devenus serviteurs du péché, soumis aux faiblesses de la chair, idolâtres, adultères, remplis d’iniquité et  de vanité, indignes de l’Amour de Dieu »


    Commentaire qui, parmi d’autres, comptait beaucoup pour De MILLE, et qu’il considérait comme indispensable  pour exprimer son point de vue sur la Foi et la destinée de l’Homme ; on peut d’ailleurs trouver ses propos pompeux et ronflants aujourd’hui, mais THE TEN COMMANDEMENTS a le mérite, au-delà du produit commercial qu’il a pu être également, d’être l’expression d’une totale sincérité de la part d’un Artiste qui sentait sa fin approcher,  et considérait l’ouvrage comme une nécessité absolue,  dans l’idée d’une transmission  de valeurs morales aux générations futures, peut-être naïve mais sûrement pas infondée ; De MILLE reste une personnalité complexe à tous points de vue, et il est parfois difficile de comprendre que c’est le même homme, qui ne s’est pas illustré lors de la fameuse «  chasse aux sorcières » des années 47 /50, faisant preuve d’une intolérance inacceptable, qui tint également ces propos  peu avant la sortie du film :


    « les centaines de milliers de personnes qui verront ce film feront un pèlerinage sur les lieux mêmes ou vécut MOISE, depuis les déserts de Shur et de Zin jusqu’aux pentes majestueuses et nues du Mont SINAI, jusqu’aux lieux saints où il reçut les Tables de la Loi ; est- ce trop  d’espérer que notre production aidera à faire ce que des siècles de tuerie et de conflit n’ont pas réussi à obtenir : rappeler aux millions de personnes de confession Chrétienne, Musulmane ou Juive qu’ils proviennent tous d’une source commune, que MOISE est le lien qui les unit et le Décalogue une loi de fraternité universelle ? »

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    Charlton HESTON, qui a toujours été un humaniste en dépit de ce qui a pu être écrit parfois à son sujet, a certainement été ému, poussé à donner le meilleur de lui-même par la conviction qui anima de bout en bout son metteur en scène, il n’y a aucun doute là-dessus, et il n’est pas étonnant que son interprétation de MOISE ait joué plus tard un rôle déterminant dans son image, un effet positif pour lui quant à l’obtention d’un statut de décideur, peut-être en partie négatif car il a contribué à lui donner une image de «  héros biblico-épique » qu’il n’était pas vraiment, ce que Burt LANCASTER ne manqua pas de souligner un peu durement un jour :


    «  Chuck est excellent, mais s’il s’est retrouvé coincé dans un personnage en toge ou en babouches aux yeux du public, c’est quand même un peu de sa faute »


    Quoiqu’il en soit, après quatre ans de préparation et de tournages titanesques,  le film se dirige une fois monté et présenté à grands renforts de publicité par De MILLE himself dans la capitale mormone de Salt Lake City, vers un triomphe également sans précédent ; le public va répondre présent dès cette première, les critiques vont, comme à l’accoutumée, plus ou moins le snober, les leaders religieux amis du cinéaste vont l’encenser,  mais surtout, la réussite au box-office sera totale, dépassant à elle seule tous les gains des précédents films de l’auteur !  pour son quinzième métrage, un HESTON encore jeune obtient là une reconnaissance qui lui permettra très vite  ( mais c’est bien lui …) de s’attaquer avec WELLES à un film d’auteur qui en comparaison ne sera vu par personne, et De MILLE  quant à lui, aura obtenu pour sa dernière réalisation, non pas la consécration, qui l’intéressait peu, mais, chose bien plus importante, le sentiment que sa foi et ses convictions se trouvaient partagées par des millions d’autres.


    Alors, soixante ans et quelques poussières après sa sortie en salles, que penser de cette œuvre, de ce monument, de cette «  pièce montée gigantesque » comme l’écrivait Pauline KAEL ? Qu’on y retrouve les excès, les gros effets, les grands sentiments, l’ »over-acting » et le Technicolor parfois dégoulinant du grand cinéma de l’époque ? oui, bien sûr, mais pour être objectif, disons aussi que l’émotion, le goût du Beau , la Passion  et la Démesure, le grand frisson lié aux grands projets  sont plus qu’au rendez-vous également, comme l’expression d’un « Age d’Or d’Hollywood » disparu, mais dont on n’a pas fini de  vanter les mérites.

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  • 32 - HESTON et DE MILLE, histoire d’un conte d’Hollywood ( 2ème partie)

     

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    Cecil Blount De MILLE n’était pas du genre à se reposer sur ses lauriers, même après un triomphe aussi  probant que son «  GREATEST SHOW ON EARTH » , c’est pourquoi quelques mois à peine après que son film ait battu tous les records de recette de l’année 1952, il se lança dans un projet qui lui tenait bien plus à cœur : réaliser le remake de «  THE TEN COMMANDMENTS » qu’il avait  mis en scène en 1923, estimant sans doute qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même !


    De multiples raisons ont pu être à l’origine de ce choix : économiques pour commencer, puisque le cinéma américain traversait la plus grande crise de son histoire, et se trouvant concurrencé par la télévision, devait à tout prix ramener les spectateurs dans les salles au moyen de grands spectacles «familiaux» ; philosophiques ensuite, puisque De MILLE , homme de grande foi religieuse, considérait ce projet comme une «  mission spirituelle » ; personnels pour conclure, car le metteur en scène, âgé de 76 ans, savait très bien que ce nouveau  projet serait vraisemblablement son dernier…


    C’est donc armé de ses convictions  et de l’assurance que le studio le suivrait dans son vœu de « réaliser  le plus grand film épique de l’Histoire du cinéma »  que De MILLE commença par prendre la décision capitale  de filmer la saga de MOISE   sur les lieux mêmes de son déroulement, c’est-à-dire en EGYPTE ! la première version avait été réalisée à moindres frais sur les dunes californiennes de GUADALUPE, près de LOS ANGELES, mais là, comme saisi d’un élan mystique, l’artiste  voulait «  the real thing », et chose étonnante quand on connait les difficultés financières des studios à l’époque, il obtint ce qu’il désirait !

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    (De Mille dirigeant le film "the ten commandments" en Egypte)


    Il faut dire que, fort de son passé de réalisateur de films historico-bibliques à succès, De MILLE  ne pouvait que convaincre les décideurs, d’autant que sa «  formule de persuasion » était globalement la même, celle qu’il asséna un beau jour à Adolphe ZUKOR qui se plaignait de ses dépassements de budget pharaoniques( c’est le cas de le dire…)
    « Monsieur ZUKOR, mes films vous coûtent beaucoup d’argent, mais dites -vous bien qu’à chaque dollar supplémentaire dépensé par moi pour améliorer notre film, c’est un spectateur de plus dans la salle ! »


    Logique de raisonnement impitoyable et indiscutable, qui lui permit donc d’obtenir le feu vert du studio pour ce qui serait au bout du compte, le budget  le plus élevé de l’Histoire d’Hollywood, plus de 13 millions de dollars, sans compter le « petit détail »de 9 mois de tournage !


    Pendant que l’artiste  se lançait dans une préparation méticuleuse de son projet tout au long de l’année 1953, le comédien qui nous intéresse ici se trouvait plus ou moins « dans le creux de la vague », obligé de jouer dans des séries B  certes plaisantes, mais qui ne lui offraient aucune perspective de sortir du rang ; n’oublions pas qu’à l’époque, Charlton HESTON a plus ou moins  renoncé à sa carrière théâtrale pour se lancer au cinéma, mais n’a obtenu pour le moment que des rôles d’aventurier ou de «  westerner » ou son réel talent de comédien n’est ni mis en valeur, ni  poussé vers ses limites, et pour un homme aussi ambitieux et passionné par son art que lui, la frustration à ce moment est immense.

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    Et comme De MILLE lui aura tendu la main pour faire décoller modestement sa carrière en 1951, c’est le même homme, comme dans un conte de fées moderne, qui va lui offrir le rôle de MOISE, et  cette fois lui permettre de faire prendre à sa carrière un tournant décisif !


    A vrai dire, il est tout à fait clair aujourd’hui que De MILLE n’eut aucun  doute profond quant à l’attribution du rôle du prophète, tant sa précédente collaboration avec HESTON avait été fructueuse ;  dès les premiers jours de tournage de « THE GREATEST SHOW ON EARTH », il a été impressionné par le professionnalisme du jeune homme, son enthousiasme et son charme naturel, et le fait qu’il ait trouvé, lors d’un voyage à ROME, une ressemblance frappante entre  le MOISE sculpté par Michel-Ange et les traits de l’acteur a certainement compté dans sa décision ; homme de spectacle avant tout plus que directeur d’acteurs, il considère la présence physique et l’aura d’un comédien comme essentielles, bien avant la diction ou l’expressivité !On sait que ce système de pensée comporte ses limites, comme on peut le constater en revoyant ( au hasard) un Victor MATURE par exemple dans son SAMSON AND DELILAH, mais force est de constater que dans son choix crucial, il aura fait mouche !

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    EST-CE  aussi  le cas en ce qui concerne le reste de l’imposant casting qu’il va mettre en place pendant toute l’année préparatoire au tournage ?   Il est évidemment facile de juger «  a postériori » des décisions qui correspondaient aux critères en vogue il y a plus de 60 ans, mais on ne peut manquer de le trouver cohérent : on y trouve des  comédiens de stature, comme Edward G ROBINSON  dans le rôle de l’infâme Dathan, Vincent PRICE , Sir Cedric HARDWICKE en Pharaon Sethi, une actrice de talent «  mais-qui-n’en-fait-qu’à-sa-tête »Ann BAXTER en Nefertari , plusieurs «  non-acteurs » c’est-à-dire davantage gravures de mode que vrais interprètes, comme John DEREK, Debra PAGET, et (moindrement) Yvonne De CARLO …
    ET … Yul BRYNNER !

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                                      Vincent Price                                                                                 Sir Cedric HARDWICKE

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                             Edward G. Robinson                                                                                                        Anne Baxter

               

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                                     John Dereck et Debra Paget                                                                                          Yul Brynner 

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    Un homme à part que  ce Yul,  ni mannequin-potiche ni comédien à part entière, mais très grosse personnalité, qui vient de triompher au théâtre puis à l’écran dans THE KING AND I, et qui sait à peu près tout faire : d’origine russe, ancien technicien de cirque à Paris , danseur, chanteur, guitariste, photographe, polyglotte, il fait de son charme et de sa force physique son atout premier car, homme d’une grande intelligence, il connait ses limites dans la diction et les joutes verbales ; dès qu’il se voit assigné le rôle essentiel de RAMSES, principal adversaire de MOISE, il va vivre son personnage à fond, et considérer HESTON comme son rival, à l’écran comme à la ville ; ce (relatif) antagonisme sera d’ailleurs bien exploité par De MILLE, qui obtiendra d’eux une alchimie réelle dans leurs nombreuses scènes communes, mais BRYNNER, qui s’est battu toute sa vie pour « devenir quelqu’un » et est prêt à tout pour arriver au sommet, conservera pendant tout le tournage une certaine distance avec ses collègues,  comportement qui deviendra un vaste sujet de moquerie  pendant la suite de sa carrière ! Georges SANDERS, sardonique comédien britannique, dressera d’ailleurs de lui un portrait pendant le tournage de «  SALOMON AND SHEBA » qui reste, surtout avec le recul, à mourir de rire :

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    « Quand Monsieur BRYNNER arriva sur le tournage de SALOMON pour remplacer mon regretté ami Tyrone POWER, il ne fit aucun doute pour toute l’équipe du film que nous allions assister à un évènement considérable : BRYNNER ne se déplaçait sur le plateau  qu’accompagné d’une troupe de secrétaires, chacun d’entre eux étant assigné à une tâche particulière : l’un d’entre eux avait pour vocation de lui allumer  puis éteindre ses cigarettes,  un autre avait pour rôle de veiller à ce que son noble crâne  restât immanquablement  vierge de toute souillure ou particule qui puisse porter ombrage à sa noble tête ; il avait également un troisième secrétaire dont la fonction ne me parut jamais vraiment définie, mais nul doute qu’elle devait être également essentielle » («  mémoires d’une fripouille »)


    Quoi que l’on puisse penser des frasques de BRYNNER, qui il faut bien l’admettre étaient fréquentes chez bien d’autres stars de l’époque, on saura reconnaitre qu’il a su faire de son Pharaon UN VRAI personnage, et non une « statue qui parle » comme on en a souvent vues chez De MILLE ,  lequel nous ne le savons faisait du spectacle sa priorité.


    ET spectacle il y aura, car toute l’équipe du film va se déplacer dans un premier temps en EGYPTE,  pour commencer en octobre 54 les prises de vues, sur les pentes du fameux Mont SINAI, lequel d’ailleurs n’existe pas sur les cartes de la  vaste Péninsule  ; c’est donc aux pieds de «  Gebel MUSA » ( la montagne de MOISE) que  va débuter le tournage, De MILLE ayant été persuadé par les religieux de l’ancien monastère de Sainte Catherine que cette montagne fut celle ou Dieu parla à MOISE !


    C’est donc un HESTON pieds nus qui va pratiquer cette ascension en marchant sur les pentes rocailleuses, expérience douloureuse mais sans commune mesure avec sa confrontation avec le chameau, animal indispensable pour faire voyager l’équipe technique et son matériel ,mais pour lequel il va assez vite éprouver une certaine répugnance ; ce sera le début d’une relation bien particulière entre Chuck et ce mammifère , poursuivie avec un succès comparable dix ans plus tard sur « KHARTOUM » : «  Dieu a créé toutes sortes d’animaux sur cette terre, mais il aurait franchement pu se passer d’inventer celui-ci ! »


    Difficultés certes secondaires par rapport à la tâche beaucoup plus difficile de  donner au Prophète l’épaisseur et l’humanité voulues, car sans une incarnation parfaite, dont il se sent à l’époque incapable, le film tombe à l’eau ! fidèle à sa méthode consistant à s’informer le plus possible sur le personnage qu’il doit jouer, HESTON  va totalement s’immerger dans l’étude de l’Ancien Testament, choisissant  de s’éloigner des acteurs et figurants pour mieux se pénétrer du rôle, passant de longs moments à marcher seul dans le désert, mais se défendant plus tard d’en avoir fait une «  expérience religieuse » :
    « C’est facile de dire «  j’ai marché sur le mont SINAI et j’ai rencontré Dieu » , je déteste ce genre de commentaire ! mais d’un autre côté, je ne peux pas dire que l’expérience ne m’a pas marqué non plus. Je dois dire que les premiers plans que j’ai tourné consistaient  à marcher pieds nus en bas du Mont SINAI, et on ne peut pas se sentir tout à fait le même après ça ! »

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    Le façonnement son personnage prendra  donc sa source dans les recherches de documents, dans le choix de costumes et  les différents maquillages qu’imposera fatalement son vieillissement progressif , mais bien sûr aussi dans la volonté délibérée du comédien de faire de MOISE un être humain, certes exceptionnel de par sa destinée, mais sans chercher à le statufier comme la tradition biblique chère à De MILLE l’exige ; il va en faire un être humble, un homme bon qui  devient un serviteur de Dieu et ne cherche aucune gloire, aucune récompense, anticipant son personnage dans EL CID et bien d’autres films.


     Et c’est en cela que son interprétation, y compris de nos jours, parait étonnamment moderne, et ce dans toutes les phases de l’ouvrage, en contraste avec le jeu outré et appuyé, bourré d’effets, de presque tous ses partenaires, notamment Ann BAXTER ; on a là la naissance d’un vrai comédien à l’écran, qui a compris que «  trop essayer ne fait qu’appuyer vos défauts » ( trying too hard only adds up to one’s deficiencies) .
    Réussite évidente à l’écran, mais qui n’empêchera pas le comédien, qui restera toute sa vie son meilleur critique, de considérer avec  objectivité que «  c’était un rôle énorme, comme de jouer le Christ, et donc presque injouable ; il se situait bien au-dessus de mes capacités à l’époque, et le serait encore aujourd’hui , j’oserais même dire qu’il était peut-être au-dessus des capacités de Laurence OLIVIER .Je pourrais le jouer mieux  maintenant, mais n’importe quel acteur pourrait dire cela de n’importe quel rôle ! »

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    A SUIVRE ⇒