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RENAUD VALLON : Le grain de sel de Renaud

  • 23 - THE OMEGA MAN : chapitre 1 " La genèse d’un diamant noir "

    PUBLIE LE 6 JANVIER 2017 

    MAJ LE 29 MARS 2020

    MAJ LE 17 AOUT 2023

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    Affiche française du film sorti à Paris en octobre 1971

     

    Quand on évoque un film comme « the Omega Man » (le survivant), on a naturellement tendance à penser à son principal interprète, à l’auteur du roman qui l’a inspiré, ou aux comédiens qu’il a pu révéler, mais rarement à Orson WELLES. Pourtant, c’est au gargantuesque réalisateur et acteur, ami de longue date de CHUCK, que l’on doit certainement, sinon l’existence, du moins l’origine de cette œuvre !

    En effet, c’est peu de temps après le tournage de « Touch of evil » (la soif du mal) que le génial Orson, jamais à cours de projets qui ne verront jamais le jour, y compris avec CHUCK, lui met dans les mains un roman de Richard MATHESON paru quelques temps avant, en lui suggérant qu’il y a là matière à faire du bon travail, « quelque chose de différent ». Car, déjà à l’époque, star montante du cinéma, HESTON s’intéresse à des projets, sinon décalés, du moins différents de la moyenne des scénarii qu’on lui propose. Il lit le roman en quelques heures dans l’avion et est fasciné par le potentiel dramatique de cette histoire qui raconte la lutte pour la survie d’un homme, dernier représentant de son espèce détruite par une guerre bactériologique, à l’issue de laquelle les rares survivants, sauf lui, sont devenus des vampires. Le roman reste présent dans l’esprit de CHUCK, mais comme il se retrouve impliqué dans d’autres projets plus importants, notamment « Ben Hur », le sujet reste en stand-by pendant plusieurs années. C’est en travaillant avec son producteur et ami Walter SELTZER, à l’élaboration de nouvelles idées, que CHUCK se souvient du roman que WELLES lui avait fait découvrir. Mais impossible d’en retrouver le titre, ni même son propre exemplaire perdu dans son immense bibliothèque. Finalement, CHUCK suggère à SELTZER le titre « I am legion » et même « my name is legion », mais non « I am legend » (je suis une légende) qui n’est pas encore devenu une œuvre culte de la littérature SF. En voyage à Londres, SELTZER va trouver « I am legion » et douter un peu de la santé mentale de son poulain, car il s’agit d’un épais volume de statistiques sur la démographie mondiale (on est loin du sujet !).

     

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    Walter SELTZER (1914-2011) producteur, ami de CHUCK avec qui il fera quelques-uns de ses meilleurs films

    Ayant fini par trouver le bon livre, les deux hommes se rendent vite compte du potentiel cinématographique de l’ouvrage, mais aussi de ses limites : raconter la solitude d’un individu entouré de zombies dans une immense ville déserte leur parait un projet fascinant et parfaitement réalisable, d’autant que CHUCK sort du triomphe de « la planète des singes » et peut s’imposer comme un héros de SF plausible. Mais mettre en images les laborieuses recherches du héros pour déterminer le pourquoi du vampirisme leur parait délicat : à l’écran, ça ne passe pas ! Leurs doutes sont renforcés par la vision d’un sombre nanar réalisé par Sydney SALKOW en 1964, où Vincent PRICE joue le rôle de Robert NEVILLE, et y combat les vampires, ce qui est fidèle à la trame du roman, mais leur semble plus que frôler le ridicule à l’écran. HESTON dira du film : « c’est incroyablement mauvais, mal joué et mal dirigé, je ne comprends pas comment une pièce aussi prometteuse peut générer un navet pareil ! » Jugement sévère, mais qui n’entachera pas son amitié avec Vincent PRICE.

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    Vincent PRICE dans « The last man on earth » de Sydney SALKOW, où il interprète assez lourdement le personnage de NEVILLE…

     

    C’est à partir de cette vision du premier film que les choses vont s’améliorer, et un vrai scénario, indispensable pour obtenir l’accord de la WARNER, se mettre en place. On a beaucoup critiqué, à tort selon nous, le fait que les vampires de l’original aient fait place à des zombies, rendus incapables de supporter la lumière du jour, du fait des radiations provoquées par la guerre bactériologique qui a précédé ; mais il faut comprendre qu’en 1970, les fantômes de la guerre froide et de la peur atomique étaient plus que présents dans l’inconscient collectif, et qu’il était déterminant de les évoquer pour captiver le public. Par ailleurs, les films utilisant la mythologie vampirique (comme la série des « Dracula » avec Christopher LEE), étaient encore très en vogue à l’époque, et le souhait de CHUCK et SELTZER était de proposer un récit plus actuel, une sorte de « thriller horrifique », selon les propres termes de l’artiste.

    Une scientifique de renom, Joyce CORRINGTON, et son mari William, professeur de littérature, vont donc s’atteler à la tâche de modifier certains aspect du roman, sans lui retirer son noir pessimisme, l’absurdité de ses situations et le thème essentiel de l’homme seul qui se rattache à son habitat et ses références pour ne pas sombrer, aspects sur lesquels nous reviendrons plus tard. Truffé de références littéraires et de symboles gothiques, ce scénario déjanté échappera totalement aux décideurs de la WARNER qui ne veulent qu’un film de SF percutant, une sorte de « Ben-Hur contre les vampires » et vont rapidement, fin 1970, permettre au film de se faire, alors que l’industrie du cinéma US connaît une crise sans précédent !

    La recherche d’un metteur en scène sera courte, car Sam PECKINPAH refuse l’offre généreuse de CHUCK (qui lui propose le « director’s cut ») et SCHAFFNER n’est pas libre. On confie donc le travail au metteur en scène d’origine russe Boris SAGAL, remarquable spécialiste de la SF à la télévision, mais garçon un brin caractériel. Loin d’être un « yes man », il va s’impliquer dans le processus créatif et jouer un rôle essentiel dans l’intégration des jeunes comédiens, notamment Rosalind CASH et Paul KOSLO. CHUCK passera une grande partie du tournage à lui éviter d’en venir aux mains avec son directeur de la photo, Russel METTY, figure légendaire d’Hollywood qui se targue de donner des leçons de mise en scène au nerveux Boris. Mais la préparation et la réalisation se passeront globalement sans accrocs, hormis la nécessité absolue de tourner beaucoup la nuit et très tôt le matin pour que les rues désertes d’un quartier de Los Angeles, bouclé pour l’occasion, ne laissent pas apparaître des figurants imprévus. Et CHUCK imposera Antony ZERBE, dont il pense qu’il est le seul à pouvoir jouer MATTHIAS, le fanatique leader de la « famille », cette secte de survivants qui pourchassent Neville quand la nuit tombe…

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    Boris SAGAL (1923-1981), metteur en scène talentueux mais tourmenté, disparu accidentellement pendant le tournage d’un épisode de « Twilight zone »

     

    « The Omega Man », sorti à l’été 1971, va être un grand succès public aux USA, ce qui aidera CHUCK à produire cet « Antony and Cleopatra » dont il rêve depuis longtemps. En partie démoli par la critique à sa sortie, traité de film fasciste par ceux qui n’en comprennent pas le message, il va devenir, au fil du temps, une œuvre culte, un film-référence, et, finalement, un intemporel classique de la science-fiction.

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    Anthony Zerbe dans le rôle de Matthias

    La richesse de son propos et la densité de son contenu justifient pleinement ce statut, et c’est ce dont nous traiterons prochainement…

    Auteur : Renaud
    Script-girl : Cécile

     

     

     

  • 24 - THE OMEGA MAN : chapitre 2 : DERRIERE LE MIROIR

    PUBLIE LE 5 JANVIER 2018 

    MAJ LE 30 MARS 2020

    MAJ LE 17 AOUT 2023

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     A première vue," THE OMEGA MAN" de Boris SAGAL, tel qu'on le perçoit maintenant près d'un demi-siècle aprés sa sortie, pourrait apparaitre, comme l'écrivait le critique anglais B Mac CABE en 1994 comme un " film hors de son temps"... IL est vrai que l'histoire de ce chercheur devenu par la force des choses le seul survivant d'un monde décimé par une guerre bactériologique, et livré à lui-même dans un LOS ANGELES désert, a quelque chose d'irréel, d'onirique, comme un cauchemar éveillé où le spectateur, fasciné, aurait tendance à s'identifier à ce héros. D'autant plus qu'il est joué par Charlton HESTON, icône rassurante pour le public de l'époque ; et pourtant, ce sujet apparemment "hors du temps" est au contraire bien ancré dans la réalité des années 70, grâce à l'habileté du scénario des époux CORRINGTON !

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    CERTES, la fin du film nous montre ce Christ moderne sacrifier sa vie et offrir son sang pour sauver ses frères repentis, et c'est d'ailleurs cette vision symbolique qui est restée dans bien des mémoires à la sortie du film, et l'a rendu impopulaire dans les médias bien-pensants, notamment européens, contrairement à "PLANET OF THE APES" et "SOYLENT GREEN" dont le discours écologique et libéral était limpide et cohérent, le discours du "SURVIVANT" parut nauséabond et HESTON fut,bien malgré lui, assimilé à un "Homo Americanus" sûr de son droit et toujours prêt à user de ses flingues pour éliminer les "sous-hommes" qui hantent les rues de la ville...Gérard LENNE parla de "Superman militaire" et même récemment, une critique de TELERAMA dont je tairai l'identité vit une relation évidente entre le personnage de NEVILLE et le président de la NRA dans ses vieux jours !
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    ON ne peut nier que le film fut conçu pour un large public par le staff de la WARNER pour être un "big money maker" et qu'ils n'avaient pas lésiné sur les moyens pour en faire un "blockbuster" de l'été 71, loin de toute considération intellectuelle ! mais comme toujours dans le cas des grosses productions de l'époque, il faut pouvoir se promener derrière le miroir, et distinguer, au- delà de l'apparence du film ; a priori un "thriller horrifique", les nombreux symboles et éléments contre-culturels qui sont présents dans son scénario et sa narration, et ne sont, à notre avis, aucunement le fruit du hasard !

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    Quand on voit HESTON-NEVILLE parcourir les rues dans sa décapotable en écoutant de la musique légère, et tirer sur tout ce qui bouge à l'occasion, on peut bien sûr en tant que spectateur procéder à une sorte d'identification à ce héros froid, méthodique et apparemment très à l'aise dans son environnement, mais on est en fait très vite confronté aux failles et aux doutes du personnage, à sa vraie nature : c'est en fait un angoissé, traumatisé par le souvenir d'une guerre impitoyable,tourmenté par sa frustration sexuelle (sous-entendue par certaines images) rongé par l'alcoolisme, et surtout désespérément seul, ne va t'il pas, dans une séquence mythique, visionner pour la énième fois WOODSTOCK, symbole d'une contre-culture à laquelle son passé de scientifique de l'armée devrait le rendre insensible ? petit à petit, l'image positive de ce héros fait place à de nombreuses zones d'ombre, la moindre n'étant pas la motivation haineuse qu'il éprouve pour la "famille", de prime abord un ramassis de mutants fanatiques, mais au fond surtout un groupe d'individus meurtris par "la peste" et rendus quasiment aveugles, et dont on peut comprendre le refus de tout ce que NEVILLE représente ! guidés par l'ancien journaliste MATHIAS, pour qui NEVILLE représente " le dernier des morts, symbole d'un passé ou la science offrait moins qu'elle détruisait " et surtout "un scientifique, un homme qui n'a jamais rien compris, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien à comprendre ",  ils ne peuvent qu'obéir à la logique que le destin leur a tracé....
     

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    C'est aussi là que le scénario des CORRINGTON devient très intéressant, car il renvoie en quelque sorte dos-à -dos NEVILLE et MATHIAS, chacun représentant une vision destructive de son prochain, l'un par son entêtement à éliminer tout ce qui lui rappelle la faillite de l'humanité, l'autre par son acharnement presque désoeuvré, à détruire la famille, soi-disant parce qu'elle le menace, mais surtout pour préserver à tout prix, son "habitat social", car NEVILLE , et c'est très bien souligné par le jeune DUTCH quand il se moque de son refus de changer de lieu d'habitation, tient avant tout à ne rien changer, conserver sa maison, ses objets, ses"gadgets"; tout ce qui le rattache à son passé, alors qu'il aurait pu depuis longtemps partir et trouver un nouveau sens à sa vie," c'est là que j'ai toujours vécu, et aucun fils de p...ne me fera jamais partir " ce que le film explique clairement, c'est que, tout comme MATHIAS, NEVILLE est une victime de son histoire et porte un fardeau bien trop lourd pour ses (même larges) épaules....c'est un aspect du film dont HESTON était très fier, et on ne peut que rendre hommage à la manière avec laquelle, par petites touches,  il est parvenu à mettre en lumière la détresse de son personnage.

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    C'est la rencontre de NEVILLE avec LISA, jeune femme noire déterminée, libre dans sa féminité et parfaitement capable de lui tenir tête, qui constitue le tournant du film, non pour aménager une happy-end de circonstances, mais pour provoquer en lui l'ouverture vers un monde nouveau, à fabriquer de toutes pièces puisque le précédent n'est plus que ruines... EN cela, le propos du film n'est nullement réactionnaire mais purement rousseauiste, puisqu'il prend en compte que seul un "nouveau monde" pourra effacer les torts de l'ancien ! "ou va t'on aller?"  demande un DUTCH un peu incrédule à NEVILLE  " loin, très loin de tout ce qui a déja été construit, là ou nous serons les premiers à faire quelque chose de nouveau" ce à quoi DUTCH répond : " un jardin d'EDEN ,mais nous nous méfierons du Serpent " à cet instant du film, NEVILLE semble avoir renoncé à ses démons, tout comme TAYLOR le misanthrope finissait par défendre ce qui reste de l'humanité dans APES....on est donc très loin, à ce stade de symbolique pas lourdingue grâce à l'écriture intelligente des époux CORRINGTON, d'une quelconque célébration de "l'homo americanus!"

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    Lorsque NEVILLE meurt, les bras en croix dans la fontaine au petit matin,il apparait effectivement comme un CHRIST rédempteur versant son sang pour permettre à ce qui reste de l'humanité de reprendre sa route, par son allusion à une religion unique, le propos peut paraitre outré , voire réactionnaire, mais on ne saurait l'éloigner du contexte : NEVILLE mort, DUTCH le jeune savant pacifique, qui représente la jeunesse et l'espérance, emmène avec lui LISA et quelques enfants que le sérum pourra sauver, et tourne ainsi le dos à la famille, symbole d'un passé promis à une mort prochaine, et aussi à NEVILLE, l'homme réformé, certes, mais néanmoins sacrifié pour que les survivants, en se libérant de tout ce qui est lié au vieux monde disparu, puissent tenter de ne pas en répéter les erreurs et donc en construire un autre....

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    De NOS JOURS, beaucoup d'amateurs de SF préfèrent APES ou SOYLENT à cet OMEGA MAN pas si facile à décrypter, mais je ne me range pas de cet avis, en dehors des qualités visuelles et de l'imagination certaine qui embellissent l'ouvrage à chaque vision, sans même évoquer l'excellente interprétation des trois principaux comédiens, la richesse et l'ambiguité du propos, justement, me semblent toujours captivantes et résistent plus que bien à l'usure du temps ; parce que, justement la question du devenir de notre humanité,traitée ici avec intelligence, reste un sujet intemporel et indémodable.
     
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    Merci à mon ami Renaud qui m'a dédicacé son interprétation du thème de "THE OMEGA MAN" que j'aime beaucoup et qui va me poursuivre pendant un bon bout de temps, mais ce n'est que du plaisir. La musique du film a été composée par Ron Grainer. 
  • 34 - " LA PLUS GRANDE HISTOIRE JAMAIS CONTÉE" de George STEVENS ( 1964)

     
    " Le plus grand fiasco jamais tourné", formule facile de l'historien Jean Tulard, ne mérite certainement pas le dédain critique et le relatif échec public qui ont accompagné la sortie du film de George STEVENS, un des pionniers d'Hollywood, peu connu pour son conformisme quand il mettait en scène" Une place au soleil" ou" L'homme des vallées perdues", mais qui devint à l'occasion de cette superproduction biblique la cible de plumitifs européens notamment, qui moquèrent son académisme et sa raideur..
     
     
    Sans dire que sa" plus grande histoire" est une relecture d'avant garde de la Passion du Christ, ce qui est plutôt le registre d'un PASOLINI ou d'un très extrémiste SCORCESE dans leurs versions respectives, son film se situe néanmoins à l'opposé de la vision sanguinolente de Mel GIBSON, et se rapproche de ce que WYLER a pu faire avec sobriété et tact dans" Ben-Hur", mais là ou WYLER avait caché le visage du Christ, STEVENS fait de Jésus le protagoniste essentiel, et bien évidemment le choix du comédien à qui revient cette ( lourde) tâche est forcément crucial.
     
    Max Von SYDOW, fantastique interprète bergmanien mais également à l'aise dans tous les genres, impose ici non seulement un regard saisissant de pureté et de détermination, mais aussi un calme, une sobriété, une apparence de détachement mêlés parfois à une presque fébrilité dans les moments forts, qui humanisent son personnage sans le désacraliser pour autant, et ce sans jamais faire de l'ombre à ses nombreux partenaires.
     
    Un tour de force qui disons-le, porte l'ouvrage à bout de bras, et permet de rendre acceptables les cassures de rythme et longueurs un peu contemplatives qui auraient profité d'un montage plus rigoureux.
     
    Pourquoi autant de temps consacré à l'épisode de la résurrection de Lazare, bien longuet et sauvé certes par un magnifique travelling final, pourquoi si peu d'émotion sur la montée au Golgotha, platement filmée et surtout gâchée par la surréaliste présence d'un John WAYNE totalement à côté de ses caligae ?
     
    On peut s'interroger, car à côté de ces erreurs, STEVENS fait preuve d'une belle maîtrise dans la plupart des scènes de nuit, et met parfaitement en scène le duel rhétorique entre Jean Baptiste et Hérode junior, aidé il est vrai par deux comédiens formidables.
     
    On s'est beaucoup gaussé de la distribution internationale choisie par l'auteur, mais là on a eu tort, car non seulement il parvient à placer avec une certaine discrétion dans les différents passages du film des comédiens connus mais pas forcément stars ( Van HEFLIN Caroll BAKER Roddy Mac DOWALL l'excellent Gary RAYMOND en Pierre, David Mac CALLUM en Judas) mais quand il doit les utiliser plus longuement, cela fonctionne très bien également.
     
    Parfaitement à l'aise en Baptiste, Charlton HESTON l'interprète avec une présence et une rage passionnée vraiment remarquables, et l'excellent José FERRER qui lui fait face n'est pas en reste, subtil et tourmenté pour camper un Hérode finalement marqué par le doute devant la puissance de la foi du Baptiste.
     
    Le point fort du film se situe à mon sens autour de ces trois comédiens essentiels, mais aussi dans le magnifique travail photographique de Leon SHAMROY" le caméraman le plus lent de l'histoire du cinéma"( selon HESTON toujours charitable..) mais qui réussit des prodiges dans les séquences nocturnes et les moments forts que constituent le baptême du Christ et la capture du Baptiste ensuite, c'est du grand art.
     
    Pas suffisant sans doute, pour que l'oeuvre, souvent trop lente, puisse accéder au statut de classique, mais bien assez pour que George STEVENS mérite le respect et une pointe d'admiration pour avoir tenté cette" vulgarisation grand public" de la naissance du Christianisme, car il aura essayé d'éviter les pièges de l'imagerie biblique bon marché, et surtout fait preuve d'une sincérité et d'une honnêteté profondes et indiscutables.
     

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    Peut être une image de 2 personnes

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  • 33 - HESTON et DE MILLE, histoire d’un conte d’Hollywood ( 3ème partie & fin)

    ⇒SUITE

    L’expérience égyptienne du tournage va trouver son point culminant lorsque De MILLE, sublimé par l’objectif malgré de graves problèmes de santé, va emmener toute l’équipe près du CAIRE, dans le décor de la Cité des Pharaons recréé pour l’occasion,  tour de force à couper le souffle mais qui n’est rien en comparaison de la séquence de l’Exode qu’il s’apprête à tourner ! Environ 10 000 figurants vont être employés, et 15 000 animaux de toutes sortes, chameaux( bien sûr !) mais aussi chevaux, ânes, pigeons, chiens, canards , chèvres, bref une ménagerie imposante que De MILLE, à son sommet dans les scènes de ce genre, va prendre tellement plaisir à contrôler dans ses moindres détails qu’HESTON se demandera sérieusement si la séquence va finir par être réalisée ! 


     Après cinq heures de préparation sous un soleil brûlant, De MILLE, assisté de son co-producteur WILCOXON et de 65 assistants mêlés à la foule et munis de talkie-walkies pour écouter les instructions du maitre, finira ( quand même)  par siffler le départ de l’action, non sans avoir corrigé tous les détails qui ont pu heurter son incroyable sens visuel, mais qui auraient échappé à tout futur spectateur normalement constitué !

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    Car il ne faut pas manquer de le (re) souligner, pour ce fils de pasteur qui approche la fin de son expérience terrestre, « THE TEN COMMANDEMENTS » est plus qu’un film, c’est un devoir, une mission  qu’il s’est donnée, celle de porter à l’écran le plus fidèlement possible :


    «  le plus grand drame de l’Histoire, la relation entre l’Homme et Dieu ; je veux que les gens qui voient ce film soient touchés par la beauté du spectacle, mais que le film leur apporte une meilleure compréhension de la vraie signification de ce schéma de vie que Dieu nous a donné à suivre ; car si nous ne respectons pas les Commandements, ce sont eux qui nous brisent »


    Cette louable ambition aura un coût, et pas seulement financier, car le cinéaste va souffrir d’une grave attaque cardiaque peu après l’ascension d’une échelle le menant à un poste de tournage situé au plus haut du décor ; emmené d’urgence au Caire, obligé par les docteurs de passer deux semaines sous une tente à oxygène avec interdiction absolue de faire le moindre effort, il va bien sûr passer outre ces recommandations et revenir sur le plateau trois jours après, comme galvanisé par quelque intervention divine, pour finir la mise en scène de l’Exode et commencer à réfléchir sur la suite du projet, car on n’a même pas tourné le tiers de l’ouvrage !

     

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    En tout cas, on en a fini avec la partie égyptienne du plan de travail, ce qui va chez HESTON provoquer un relâchement compréhensible, d’autant que son épouse Lydia  est enceinte de six mois du futur Fraser, un bonheur que la maisonnée HESTON attend avec impatience ; les décors de studio choisis pour poursuivre le tournage n’ont certes pas la magie de lieux authentiques, mais comme c’est du De MILLE, ils ne vont pas manquer de grandeur pour autant, notamment l’inénarrable orgie autour de la célébration du «  Veau d’Or »  qui prendra une semaine à tourner .


    Elle épuisera  d’ailleurs tellement les nombreux figurants irrités par les exigences du metteur en scène revenu en pleine forme, que l’une des jolies filles engagées pour cette gigantesque séquence de beuverie et  disons-le, de partouze inavouable, déclarera à un assistant :


    «  Bon dieu, Eddie, avec qui  dois-je coucher pour pouvoir sortir de ce film ? »


    Scène particulièrement réussie ceci dit, si on s’en tient aux canons de l’époque, même si bien sûr certaines poses de figurants ne manqueront pas de prêter à rire aujourd’hui, et finalement, osera t’on dire, peut-être supérieure à la séquence pourtant tellement vantée de «  la Mer Rouge » dont l’ouverture des eaux fera subir à l’armée égyptienne le poids de la toute- puissance de Dieu ! On a souvent comparé ce passage clé de l’ouvrage à la fameuse course de chars de BEN-HUR, et les deux occupent une place de choix dans l’imaginaire hestonien, mais force est de constater que le temps n’a pas  été clément avec la première des deux séquences ; la conception en est superbe et la présence d’HESTON  ainsi que son inimitable phrasé sont fascinants, mais  la réalisation technique des transparences ainsi que le découpage des figurants  dans le cadre de l’action principale paraissent aujourd’hui maladroits, grossiers, et nuisent beaucoup à l’efficacité émotionnelle du passage, ce que HESTON, beau joueur, ne manquera pas de souligner plus tard :


    « la scène de la Mer Rouge n’est pas aussi bonne que l’Exode, structurellement ou en résultat global ; en mettant de côté les considérations techniques qui rendent la séquence difficile, il faut qu’il y ait de la conviction, il faut y croire, et je suppose que maintenant, on pourrait la faire mieux ; il n’y a pas vraiment de performance dans cette scène, ma contribution  est «  purement chimique »( a chemical contribution)


    La foi de De MILLE dans son projet étant restée intacte pendant toute cette longue période,  il lui parut finalement facile d’en arriver à ce quasi –final symbolique, encore une fois totalement créé en studio, qui voit MOISE punir  son peuple pour s’être égaré loin des Commandements de Dieu, selon les propres mots du cinéaste : « les Hébreux n’étaient plus que démence et folie, devenus serviteurs du péché, soumis aux faiblesses de la chair, idolâtres, adultères, remplis d’iniquité et  de vanité, indignes de l’Amour de Dieu »


    Commentaire qui, parmi d’autres, comptait beaucoup pour De MILLE, et qu’il considérait comme indispensable  pour exprimer son point de vue sur la Foi et la destinée de l’Homme ; on peut d’ailleurs trouver ses propos pompeux et ronflants aujourd’hui, mais THE TEN COMMANDEMENTS a le mérite, au-delà du produit commercial qu’il a pu être également, d’être l’expression d’une totale sincérité de la part d’un Artiste qui sentait sa fin approcher,  et considérait l’ouvrage comme une nécessité absolue,  dans l’idée d’une transmission  de valeurs morales aux générations futures, peut-être naïve mais sûrement pas infondée ; De MILLE reste une personnalité complexe à tous points de vue, et il est parfois difficile de comprendre que c’est le même homme, qui ne s’est pas illustré lors de la fameuse «  chasse aux sorcières » des années 47 /50, faisant preuve d’une intolérance inacceptable, qui tint également ces propos  peu avant la sortie du film :


    « les centaines de milliers de personnes qui verront ce film feront un pèlerinage sur les lieux mêmes ou vécut MOISE, depuis les déserts de Shur et de Zin jusqu’aux pentes majestueuses et nues du Mont SINAI, jusqu’aux lieux saints où il reçut les Tables de la Loi ; est- ce trop  d’espérer que notre production aidera à faire ce que des siècles de tuerie et de conflit n’ont pas réussi à obtenir : rappeler aux millions de personnes de confession Chrétienne, Musulmane ou Juive qu’ils proviennent tous d’une source commune, que MOISE est le lien qui les unit et le Décalogue une loi de fraternité universelle ? »

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    Charlton HESTON, qui a toujours été un humaniste en dépit de ce qui a pu être écrit parfois à son sujet, a certainement été ému, poussé à donner le meilleur de lui-même par la conviction qui anima de bout en bout son metteur en scène, il n’y a aucun doute là-dessus, et il n’est pas étonnant que son interprétation de MOISE ait joué plus tard un rôle déterminant dans son image, un effet positif pour lui quant à l’obtention d’un statut de décideur, peut-être en partie négatif car il a contribué à lui donner une image de «  héros biblico-épique » qu’il n’était pas vraiment, ce que Burt LANCASTER ne manqua pas de souligner un peu durement un jour :


    «  Chuck est excellent, mais s’il s’est retrouvé coincé dans un personnage en toge ou en babouches aux yeux du public, c’est quand même un peu de sa faute »


    Quoiqu’il en soit, après quatre ans de préparation et de tournages titanesques,  le film se dirige une fois monté et présenté à grands renforts de publicité par De MILLE himself dans la capitale mormone de Salt Lake City, vers un triomphe également sans précédent ; le public va répondre présent dès cette première, les critiques vont, comme à l’accoutumée, plus ou moins le snober, les leaders religieux amis du cinéaste vont l’encenser,  mais surtout, la réussite au box-office sera totale, dépassant à elle seule tous les gains des précédents films de l’auteur !  pour son quinzième métrage, un HESTON encore jeune obtient là une reconnaissance qui lui permettra très vite  ( mais c’est bien lui …) de s’attaquer avec WELLES à un film d’auteur qui en comparaison ne sera vu par personne, et De MILLE  quant à lui, aura obtenu pour sa dernière réalisation, non pas la consécration, qui l’intéressait peu, mais, chose bien plus importante, le sentiment que sa foi et ses convictions se trouvaient partagées par des millions d’autres.


    Alors, soixante ans et quelques poussières après sa sortie en salles, que penser de cette œuvre, de ce monument, de cette «  pièce montée gigantesque » comme l’écrivait Pauline KAEL ? Qu’on y retrouve les excès, les gros effets, les grands sentiments, l’ »over-acting » et le Technicolor parfois dégoulinant du grand cinéma de l’époque ? oui, bien sûr, mais pour être objectif, disons aussi que l’émotion, le goût du Beau , la Passion  et la Démesure, le grand frisson lié aux grands projets  sont plus qu’au rendez-vous également, comme l’expression d’un « Age d’Or d’Hollywood » disparu, mais dont on n’a pas fini de  vanter les mérites.

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  • 32 - HESTON et DE MILLE, histoire d’un conte d’Hollywood ( 2ème partie)

     

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    Cecil Blount De MILLE n’était pas du genre à se reposer sur ses lauriers, même après un triomphe aussi  probant que son «  GREATEST SHOW ON EARTH » , c’est pourquoi quelques mois à peine après que son film ait battu tous les records de recette de l’année 1952, il se lança dans un projet qui lui tenait bien plus à cœur : réaliser le remake de «  THE TEN COMMANDMENTS » qu’il avait  mis en scène en 1923, estimant sans doute qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même !


    De multiples raisons ont pu être à l’origine de ce choix : économiques pour commencer, puisque le cinéma américain traversait la plus grande crise de son histoire, et se trouvant concurrencé par la télévision, devait à tout prix ramener les spectateurs dans les salles au moyen de grands spectacles «familiaux» ; philosophiques ensuite, puisque De MILLE , homme de grande foi religieuse, considérait ce projet comme une «  mission spirituelle » ; personnels pour conclure, car le metteur en scène, âgé de 76 ans, savait très bien que ce nouveau  projet serait vraisemblablement son dernier…


    C’est donc armé de ses convictions  et de l’assurance que le studio le suivrait dans son vœu de « réaliser  le plus grand film épique de l’Histoire du cinéma »  que De MILLE commença par prendre la décision capitale  de filmer la saga de MOISE   sur les lieux mêmes de son déroulement, c’est-à-dire en EGYPTE ! la première version avait été réalisée à moindres frais sur les dunes californiennes de GUADALUPE, près de LOS ANGELES, mais là, comme saisi d’un élan mystique, l’artiste  voulait «  the real thing », et chose étonnante quand on connait les difficultés financières des studios à l’époque, il obtint ce qu’il désirait !

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    (De Mille dirigeant le film "the ten commandments" en Egypte)


    Il faut dire que, fort de son passé de réalisateur de films historico-bibliques à succès, De MILLE  ne pouvait que convaincre les décideurs, d’autant que sa «  formule de persuasion » était globalement la même, celle qu’il asséna un beau jour à Adolphe ZUKOR qui se plaignait de ses dépassements de budget pharaoniques( c’est le cas de le dire…)
    « Monsieur ZUKOR, mes films vous coûtent beaucoup d’argent, mais dites -vous bien qu’à chaque dollar supplémentaire dépensé par moi pour améliorer notre film, c’est un spectateur de plus dans la salle ! »


    Logique de raisonnement impitoyable et indiscutable, qui lui permit donc d’obtenir le feu vert du studio pour ce qui serait au bout du compte, le budget  le plus élevé de l’Histoire d’Hollywood, plus de 13 millions de dollars, sans compter le « petit détail »de 9 mois de tournage !


    Pendant que l’artiste  se lançait dans une préparation méticuleuse de son projet tout au long de l’année 1953, le comédien qui nous intéresse ici se trouvait plus ou moins « dans le creux de la vague », obligé de jouer dans des séries B  certes plaisantes, mais qui ne lui offraient aucune perspective de sortir du rang ; n’oublions pas qu’à l’époque, Charlton HESTON a plus ou moins  renoncé à sa carrière théâtrale pour se lancer au cinéma, mais n’a obtenu pour le moment que des rôles d’aventurier ou de «  westerner » ou son réel talent de comédien n’est ni mis en valeur, ni  poussé vers ses limites, et pour un homme aussi ambitieux et passionné par son art que lui, la frustration à ce moment est immense.

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    Et comme De MILLE lui aura tendu la main pour faire décoller modestement sa carrière en 1951, c’est le même homme, comme dans un conte de fées moderne, qui va lui offrir le rôle de MOISE, et  cette fois lui permettre de faire prendre à sa carrière un tournant décisif !


    A vrai dire, il est tout à fait clair aujourd’hui que De MILLE n’eut aucun  doute profond quant à l’attribution du rôle du prophète, tant sa précédente collaboration avec HESTON avait été fructueuse ;  dès les premiers jours de tournage de « THE GREATEST SHOW ON EARTH », il a été impressionné par le professionnalisme du jeune homme, son enthousiasme et son charme naturel, et le fait qu’il ait trouvé, lors d’un voyage à ROME, une ressemblance frappante entre  le MOISE sculpté par Michel-Ange et les traits de l’acteur a certainement compté dans sa décision ; homme de spectacle avant tout plus que directeur d’acteurs, il considère la présence physique et l’aura d’un comédien comme essentielles, bien avant la diction ou l’expressivité !On sait que ce système de pensée comporte ses limites, comme on peut le constater en revoyant ( au hasard) un Victor MATURE par exemple dans son SAMSON AND DELILAH, mais force est de constater que dans son choix crucial, il aura fait mouche !

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    EST-CE  aussi  le cas en ce qui concerne le reste de l’imposant casting qu’il va mettre en place pendant toute l’année préparatoire au tournage ?   Il est évidemment facile de juger «  a postériori » des décisions qui correspondaient aux critères en vogue il y a plus de 60 ans, mais on ne peut manquer de le trouver cohérent : on y trouve des  comédiens de stature, comme Edward G ROBINSON  dans le rôle de l’infâme Dathan, Vincent PRICE , Sir Cedric HARDWICKE en Pharaon Sethi, une actrice de talent «  mais-qui-n’en-fait-qu’à-sa-tête »Ann BAXTER en Nefertari , plusieurs «  non-acteurs » c’est-à-dire davantage gravures de mode que vrais interprètes, comme John DEREK, Debra PAGET, et (moindrement) Yvonne De CARLO …
    ET … Yul BRYNNER !

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                                      Vincent Price                                                                                 Sir Cedric HARDWICKE

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                             Edward G. Robinson                                                                                                        Anne Baxter

               

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                                     John Dereck et Debra Paget                                                                                          Yul Brynner 

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    Un homme à part que  ce Yul,  ni mannequin-potiche ni comédien à part entière, mais très grosse personnalité, qui vient de triompher au théâtre puis à l’écran dans THE KING AND I, et qui sait à peu près tout faire : d’origine russe, ancien technicien de cirque à Paris , danseur, chanteur, guitariste, photographe, polyglotte, il fait de son charme et de sa force physique son atout premier car, homme d’une grande intelligence, il connait ses limites dans la diction et les joutes verbales ; dès qu’il se voit assigné le rôle essentiel de RAMSES, principal adversaire de MOISE, il va vivre son personnage à fond, et considérer HESTON comme son rival, à l’écran comme à la ville ; ce (relatif) antagonisme sera d’ailleurs bien exploité par De MILLE, qui obtiendra d’eux une alchimie réelle dans leurs nombreuses scènes communes, mais BRYNNER, qui s’est battu toute sa vie pour « devenir quelqu’un » et est prêt à tout pour arriver au sommet, conservera pendant tout le tournage une certaine distance avec ses collègues,  comportement qui deviendra un vaste sujet de moquerie  pendant la suite de sa carrière ! Georges SANDERS, sardonique comédien britannique, dressera d’ailleurs de lui un portrait pendant le tournage de «  SALOMON AND SHEBA » qui reste, surtout avec le recul, à mourir de rire :

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    « Quand Monsieur BRYNNER arriva sur le tournage de SALOMON pour remplacer mon regretté ami Tyrone POWER, il ne fit aucun doute pour toute l’équipe du film que nous allions assister à un évènement considérable : BRYNNER ne se déplaçait sur le plateau  qu’accompagné d’une troupe de secrétaires, chacun d’entre eux étant assigné à une tâche particulière : l’un d’entre eux avait pour vocation de lui allumer  puis éteindre ses cigarettes,  un autre avait pour rôle de veiller à ce que son noble crâne  restât immanquablement  vierge de toute souillure ou particule qui puisse porter ombrage à sa noble tête ; il avait également un troisième secrétaire dont la fonction ne me parut jamais vraiment définie, mais nul doute qu’elle devait être également essentielle » («  mémoires d’une fripouille »)


    Quoi que l’on puisse penser des frasques de BRYNNER, qui il faut bien l’admettre étaient fréquentes chez bien d’autres stars de l’époque, on saura reconnaitre qu’il a su faire de son Pharaon UN VRAI personnage, et non une « statue qui parle » comme on en a souvent vues chez De MILLE ,  lequel nous ne le savons faisait du spectacle sa priorité.


    ET spectacle il y aura, car toute l’équipe du film va se déplacer dans un premier temps en EGYPTE,  pour commencer en octobre 54 les prises de vues, sur les pentes du fameux Mont SINAI, lequel d’ailleurs n’existe pas sur les cartes de la  vaste Péninsule  ; c’est donc aux pieds de «  Gebel MUSA » ( la montagne de MOISE) que  va débuter le tournage, De MILLE ayant été persuadé par les religieux de l’ancien monastère de Sainte Catherine que cette montagne fut celle ou Dieu parla à MOISE !


    C’est donc un HESTON pieds nus qui va pratiquer cette ascension en marchant sur les pentes rocailleuses, expérience douloureuse mais sans commune mesure avec sa confrontation avec le chameau, animal indispensable pour faire voyager l’équipe technique et son matériel ,mais pour lequel il va assez vite éprouver une certaine répugnance ; ce sera le début d’une relation bien particulière entre Chuck et ce mammifère , poursuivie avec un succès comparable dix ans plus tard sur « KHARTOUM » : «  Dieu a créé toutes sortes d’animaux sur cette terre, mais il aurait franchement pu se passer d’inventer celui-ci ! »


    Difficultés certes secondaires par rapport à la tâche beaucoup plus difficile de  donner au Prophète l’épaisseur et l’humanité voulues, car sans une incarnation parfaite, dont il se sent à l’époque incapable, le film tombe à l’eau ! fidèle à sa méthode consistant à s’informer le plus possible sur le personnage qu’il doit jouer, HESTON  va totalement s’immerger dans l’étude de l’Ancien Testament, choisissant  de s’éloigner des acteurs et figurants pour mieux se pénétrer du rôle, passant de longs moments à marcher seul dans le désert, mais se défendant plus tard d’en avoir fait une «  expérience religieuse » :
    « C’est facile de dire «  j’ai marché sur le mont SINAI et j’ai rencontré Dieu » , je déteste ce genre de commentaire ! mais d’un autre côté, je ne peux pas dire que l’expérience ne m’a pas marqué non plus. Je dois dire que les premiers plans que j’ai tourné consistaient  à marcher pieds nus en bas du Mont SINAI, et on ne peut pas se sentir tout à fait le même après ça ! »

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    Le façonnement son personnage prendra  donc sa source dans les recherches de documents, dans le choix de costumes et  les différents maquillages qu’imposera fatalement son vieillissement progressif , mais bien sûr aussi dans la volonté délibérée du comédien de faire de MOISE un être humain, certes exceptionnel de par sa destinée, mais sans chercher à le statufier comme la tradition biblique chère à De MILLE l’exige ; il va en faire un être humble, un homme bon qui  devient un serviteur de Dieu et ne cherche aucune gloire, aucune récompense, anticipant son personnage dans EL CID et bien d’autres films.


     Et c’est en cela que son interprétation, y compris de nos jours, parait étonnamment moderne, et ce dans toutes les phases de l’ouvrage, en contraste avec le jeu outré et appuyé, bourré d’effets, de presque tous ses partenaires, notamment Ann BAXTER ; on a là la naissance d’un vrai comédien à l’écran, qui a compris que «  trop essayer ne fait qu’appuyer vos défauts » ( trying too hard only adds up to one’s deficiencies) .
    Réussite évidente à l’écran, mais qui n’empêchera pas le comédien, qui restera toute sa vie son meilleur critique, de considérer avec  objectivité que «  c’était un rôle énorme, comme de jouer le Christ, et donc presque injouable ; il se situait bien au-dessus de mes capacités à l’époque, et le serait encore aujourd’hui , j’oserais même dire qu’il était peut-être au-dessus des capacités de Laurence OLIVIER .Je pourrais le jouer mieux  maintenant, mais n’importe quel acteur pourrait dire cela de n’importe quel rôle ! »

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    A SUIVRE ⇒