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RENAUD VALLON : Le grain de sel de Renaud - Page 5

  • 14 - LA PLANETE DES SINGES , retour au sommet ( 1ère partie)

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    « Le projet intitulé «  LA PLANETE DES SINGES » est encore dans les limbes ; JACOBS essaie actuellement de réduire le budget à deux millions, ce qui parait risible, il veut aussi engager un réalisateur rompu à la télévision, ce qui me semble aussi être une erreur ; d’un certain côté, ce serait bon pour moi que ce projet se réalise, car c’est justement ce genre de «  script différent » qui m’intéresse … » ( JOURNALS, 3 novembre 65)


    Ces propos tirés des « journals » de l’artiste HESTON illustrent bien la difficulté éprouvée par les artistes pour monter un projet différent de la moyenne, surtout dans le contexte difficile de la crise sans précédent qui toucha HOLLYWOOD au milieu des années 60 ; en effet, l’heure n'est plus aux coûteux films épiques mais à un cinéma plus intimiste destiné à toucher les plus jeunes, et la notion même de «  superstar » commence à perdre beaucoup de son «  appeal » auprès des décideurs ; quant au plus grand studio de l'époque, la FOX, il n’est pas loin de la banqueroute au moment ou le fils de Darryl ZANUCK, Richard, reprend les commandes de la société pour «  faire des affaires » et non du grand art comme l’ambitionnait souvent son moraliste de père !


    Pour mener à bien un grand projet, il faut un inspirateur possédé par son idée fixe, et l’homme cité par HESTON dans ses “Journals”, Arthur P JACOBS est celui-ci ; homme de spectacle, agent artistique et producteur occasionnel, l’homme a pour lui une imagination débordante et une grande capacité de séduction, et surtout il entend réaliser tous ses rêves ; un de ceux-ci remonte à la petite enfance, quand il découvrit le « KING-KONG » de SCHOEDSACK et COOPER ! ébahi devant ce spectacle, il a vu grandir en lui cette obsession de faire un film où les singes seraient les protagonistes principaux, et c’est donc armé de cette conviction brûlante qu’il va littéralement harceler toutes les boîtes de production du moment, pour se voir essuyer un ‘NO’ global de la part de tous les décideurs, souvent assorti d’un commentaire goguenard… IL faut bien dire que l’époque ne se prête absolument pas à l’inventivité, et surtout s’il s’agit de science-fiction, genre considéré avec dédain par les producteurs, tout juste bon pour la série B, et donc pas du tout «  porteur » ce qui fait bien sûr beaucoup rire de nos jours, où la donne a été totalement inversée !

    richard D Zanuck.jpg        (Richard D. ZANNUCK)                 arthur P Jacobs.jpg       (Arthur P. JACOBS)                                  Rod_Serling scenariste de LA PLANETE DES SINGES 1968.jpg

                                                                                                                (Rod STERLING)

    JACOBS acquiert en effet , pour une somme moyenne, les droits d’un étrange roman français de Pierre BOULLE, qui vient de faire un triomphe avec LE PONT DE LA RIVIERE KWAI et s’étonne grandement qu’on puisse acheter les droits d’un roman qu’il juge «  inadaptable » mais JACOBS a eu le coup de foudre pour cette épopée où les singes sont les maîtres et les humains leurs esclaves ! armé de ce pitch qu’il juge prometteur, il s’expose donc aux quolibets les plus divers alors qu’il a fourni divers dessins et maquettes pour soutenir sa thèse, et fait appel au remarquable Rod STERLING pour mitonner une «  first draft » qui mette l’eau à la bouche des responsables de studio ; et comme rien n’y fait, il va donc proposer à une grande star de se joindre au projet, sans aucune garantie à proposer, si ce n’est son enthousiasme communicatif !

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    ( Charton HESTON )

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                                                  (Arthur P. JACOBS - Esward G. ROBINSON - Charlton HESTON (test)

    La grande star en question, HESTON himself, se demande justement à ce moment précis s’il en est encore une, car THE WAR LORD a été saboté par UNIVERSAL et son KHARTOUM chéri n’est pas promis à un grand avenir aux USA, il est donc dans une période de doute, sans pour autant être «  out of work » puisqu’il va bientôt tourner COUNTERPOINT, histoire d’un chef d’orchestre un peu fêlé, et qu’il va aussi refuser un western à gros budget qui se révélera un coûteux navet «  THE WAY WEST » .

    Seulement, voilà, tout ça est bel et bon mais ne l'émeut pas trop, alors que le pitch de JACOBS l’amuse et l’excite tout de suite, le voici donc, comme au temps de DUNDEE, prêt à faire le forcing pour imposer ce projet novateur aux obtus qui sont en place, enfin pas tout à fait, car il est toujours celui que WELLES appelait avec malice «  ce bon vieux Chuck fédérateur » c’est-à-dire un garçon courtois et diplomate, qui sait par exemple que son amitié avec ZANUCK junior pourrait bien aider leur petite entreprise…


    «  je suis allé cette après-midi aux studios de la FOX pour répéter une «  test- sequence » pour APES ,je suis pas sûr qu’il faille la faire vu que le film n’est pas encore approuvé par la compagnie, mais bon, j’ai accepté, alors autant la fermer et faire le job ! » ( JOURNALS, 7 mars 66)


    Ces quelques lignes illustrent bien la motivation de HESTON pour le projet, car ce «  test » va s’avérer décisif pour convaincre ZANUCK que, même s’ils sont imparfaits encore, les maquillages de singes proposés vont être convaincants, et non, «  les spectateurs ne rigoleront pas » ce qui est le souci de Dick ; celui-ci sera d’ailleurs un élément moteur du film, puisqu’il va consentir à lui donner le budget d’une grosse production, mais avec toujours une certaine naiveté de sa part ; en effet, APES ne sera toujours pour lui qu’une œuvre de divertissement, un «  big money maker » et les aspects politiques et philosophiques de l’ouvrage vont complétement lui échapper !

    Et comme le dit si bien HESTON à propos des déceptions que peut encaisser un artiste de cinéma devant la dure réalité du business, «  the one who pays the piper calls the tune » ; littéralement : «  c’est celui qui paye les musiciens qui leur dit quels airs ils doivent jouer »


    Donc, c’est bien ZANUCK junior, enfin rassuré quant aux possibilités de APES en tant que divertissement, tout en étant totalement inconscient des sous-entendus philosophiques et politiques dont Michael WILSON a parsemé sa nouvelle mouture du scénario, qui va payer l’orchestre, et faire démarrer le travail de tout ce beau monde à l’été 1967, ce fameux «  summer of love » qui marquera, pour d’autres raisons, la deuxième moitié du 20ème siècle !


    Aspects qui sont d’une importance capitale, pas tellement pour Rod STERLING qui va surtout s’employer à créer le décor et l’atmosphère de cette planète pas comme les autres, mais surtout pour Michael WILSON, écrivain remarquable et plus que soupçonné d’obédience communiste pendant la chasse aux sorcières de 47, auquel JACOBS va laisser les coudées franches pour apporter son grain de sel et donner une portée philosophique au sujet, notamment en écrivant une scène de procès d’anthologie, à laquelle HESTON, toujours fort libéral à l’époque, va parfaitement adhérer !

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    (Mike Wilson)


    « je viens de lire 70 pages du nouveau script de Mike WILSON pour APES, c’est sensationnel, et me parait une nette amélioration par rapport au premier scénario de STERLING ,il faut maintenant que j’aille de l’avant en ce qui concerne les nouveaux personnages qu’il a conçus » ( JOURNALS, 25 janvier 67)


    C’est aussi à ce moment, peu avant le tournage de ce WILL PENNY qui compte tout autant pour lui, que HESTON va jouer à son avantage de son statut de superstar pour imposer à la mise en scène son copain de longue date, Franklin SCHAFFNER, avec lequel il a partagé l’expérience créative mais douloureuse de THE WAR LORD, convaincu qu’il est de l’inventivité et de l’énergie de cet excellent capitaine ; l’avenir lui donnera raison, car SCHAFFNER va se passionner pour le projet, et contribuer à faire de ce «  space opera » qui pourrait rester banal, une véritable réflexion sur l’avenir de l’humanité …


    « Frank et moi avons travaillé ensemble de nombreuses fois et on s’entend bien,ZANUCK lui a donné sa confiance dés le début du tournage, et ne l’a jamais regretté, vu ses énormes capacités créatives et son sens visuel hors du commun » ( cité par Michael MUNN dans sa biographie,1986)


    On voit donc que, malgré les difficultés rencontrées, l’énergie et la complicité combinées de JACOBS et HESTON ont eu raison des réticences plus ou moins légitimes selon lesquelles un tel projet ne tenait pas, et il est également évident que l’un n’aurait rien pu faire sans l’autre ! tout comme il est intéressant, avant de refermer ce premier volet consacré à APES , de citer cette réflexion de l’artiste en marge de ses débats souvent animés avec Herman CITRON, qu’on ne saurait limiter non plus à un rôle d’homme d’affaires uniquement intéressé par le devenir financier de son poulain :


    « Herman pense qu’il n’est pas bon pour moi de «  mendier » pour un projet, et je vois bien son point de vue, il pense que ça ternit mon image de «  vedette très demandée »,mais je me dois d’ avancer avec circonspection sur ce film ;après qu’un acteur ait atteint un certain degré de réussite, il est supposé attendre dans un glorieux isolement que d’humbles scribouillards déposent leurs offres sur le pas de sa porte, et les choses sont différentes quand c’est l’acteur lui-même qui doit déposer humblement ses offres sur le pas de la porte des autres »( JOURNALS, 20 avril 67)

    A Cécile forever

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    A SUIVRE …

     

     

    QUELQUES PHOTOS DES ESSAIS ET MAQUETTES POUR " PLANET OF THE APES "

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    (photos extraites du livre : " LA PLANETE DES SINGES " de Joe FORDHAM et Jeff BOND " 

  • 13 - LES CINQUANTE CINQ JOURS DE PEKIN , Ou la fin de l’âge d’or d’ HOLLYWOOD ….

     

     

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    DANS la filmographie de l’artiste HESTON, une œuvre comme «  les 55 JOURS DE PEKIN » est souvent vue par la critique et même par ses fans comme un film un peu bancal, mal conçu et réalisé dans des conditions difficiles, et du coup, très peu d’amateurs lui trouvent quelque crédit, même si la récente ressortie du film en BLURAY a quelque peu remis les choses en perspective, notamment le soi-disant calvaire de son réalisateur Nicholas RAY, qu’on a tôt fait de considérer comme un auteur martyr injustement sacrifié par le système hollywoodien !

    En fait, comme souvent dans le cas d’une production aussi énorme que celle-ci, mettant en œuvre des moyens colossaux pour l’époque et faisant cohabiter pendant plusieurs mois un  groupe d’individus aux égos de la taille d’une pastèque, rien ne peut être aussi simple que les critiques de cinéma veulent bien le dire, et il apparait maintenant, avec le recul du temps, que ce «  FIFTY-FIVE DAYS IN PEKING » est loin d’être une œuvre négligeable, et doit certainement, finalement, beaucoup de son intêret aux conditions délirantes dans lesquelles il a été réalisé !

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    Le premier obstacle qui va se dresser presque chronologiquement, sur la route de ce spectacle mammouth imaginé par le producteur filou Sam BRONSTON va en effet être de taille, puisque cet homme, fort du triomphe de son EL CID, et qui n’a qu’une idée en tête au début de l’année 1962 , retrouver son cher ( dans tous les sens du terme) Charlton HESTON , commence ses préparatifs sans aucun vrai scénario, juste un «  pitch » hâtivement proposé par Philip YORDAN , scénariste à ses heures mais surtout «  vendeur » de tout premier ordre ! YORDAN s’est en effet «  fait un nom » dans le métier comme scénariste, sans avoir quasiment jamais rien écrit, vu que sa spécialité est de faire travailler à sa place des auteurs blacklistés et donc peu chers, auxquels il permet d’écrire tout en empochant l’essentiel des dividendes… fort de cette éthique d’une haute valeur morale, il va donc suivre à peu près le même chemin pour «  vendre » le projet à HESTON, sous la forme d’un traquenard agrémenté d’une bonne bouteille du meilleur malt, lors d’un vol MADRID- LOS ANGELES !

    Chuck va donc donner son accord de principe, d’autant qu’il admire le deuxième larron également présent sur ce vol, Nicholas RAY himself, qui vient de tourner KING OF KINGS pour BRONSTON avec un certain succès, et se verrait bien retenter un coup semblable avec, en plus, la présence de la mégastar que par ailleurs il apprécie ; autant pour « l’artiste maudit » que certains imaginent, c’est d’un homme d’affaires avisé qu’il s’agit, et il va d’ailleurs négocier un contrat avec BRONSTON d’un million de dollars ( !!!) qui en fera le réalisateur le mieux payé de l’époque !

    De quoi traite donc ce fameux «  pitch » qui a tout de suite plu à HESTON, grand amateur d’histoire ? Il y est question de la rebellion , en 1900, de nationalistes chinois, les « BOXERS » contre l’impérialisme européen et américain qui vise à l’époque à prendre le contrôle économique de la CHINE, en profitant de la faiblesse de son impératrice et surtout des divisions au sein de la classe politique dirigeante ; mais autant le décor et les faits historiques seront rapidement bien plantés et apparemment, plutôt véridiques, autant la faiblesse insigne du premier script et des personnages censés y évoluer vont très vite apparaitre comme des obstacles majeurs, HESTON se montrant particulièrement consterné devant la platitude de ses répliques et la façon dont son futur commandant LEWIS est décrit, une sorte d’ ersatz de John WAYNE dans ses pires moments ; mais comme il s’est engagé dans le projet, tout ce qu’il peut espérer faire, c’est limiter la casse en humanisant son personnage et en réécrivant pratiquement tous ses dialogues, à l’instar de sa co-vedette David NIVEN, choisi pour incarner l’ambassadeur britannique Sir Arthur ROBERTSON, et avec qui il aura une excellente relation pendant tout le tournage ! il dira même en substance dans ses mémoires : «  quand un acteur censé jouer finit par écrire ses propres répliques, c’est qu’il y a un souci du côté du scénariste »

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    La réalisation doit donc commencer pendant l’été 62, dans le cadre somptueux d’un ancien champ de blé, «  LAS MATAS » acheté par BRONSTON pour y planter le décor de sa future «  FALL OF THE ROMAN EMPIRE », ajourné en catastrophe vu le refus catégorique de HESTON de /

    a) accepter un scénario pareil

    b) retravailler avec Sophia LOREN, ce qui confirme sa noble conception du métier, car franchement, quel acteur au monde à part lui n’aurait pas souhaité travailler DEUX FOIS avec Sophia ? quoi qu’il en soit, l’équipe de scénaristes de YORDAN, composée de messieurs GORDON, BARZMAN et HAMER ( et oui, rien moins que l’auteur de NOBLESSE OBLIGE !) va tenter de faire une recherche poussée sur le plan historique, mais sans tout à fait comprendre la démarche des BOXERS, et donc en tombant dans un schématisme bons / méchants parfois puéril, qui fera dire à l’excellent pince-sans rire qu’est NIVEN : «  c’est le western le plus coûteux auquel j’ai pu participer, et sans jamais le savoir ! »

    C’est d’ailleurs au niveau de la révision d’un scénario discutable qu’il faut reconnaitre l’apport important de Nick RAY, qui donc, contrairement à ce qu’ont souvent prétendu à tort les critiques, était parfaitement motivé par le film, car il va apporter sa «  touche « » personnelle en s’attachant au personnage de la petite Theresa, fille d’un collègue du Major tué au combat, avec laquelle celui-ci développera une relation d’abord maladroite, se rapprochant d’elle au fil des évènements, sans qu’on tombe dans le pathos et le convenu ; et ce seront d’ailleurs, les scènes les plus intéressantes à jouer pour Chuck, grâce en grande partie à la direction d’acteurs subtile du cinéaste !

    Un autre ajout important et quasi inévitable dans une «  grosse machine » de ce genre va être l’insertion artificielle d’une romance orageuse au milieu de toute cette pagaille, mettant aux prises une aristocrate russe au passé trouble rejetée par les siens et notre fameux major ( who else ?), ce qui, on s’en doute, sera vu par l’artiste comme un coup bas supplémentaire ; beau joueur, HESTON se met en quête d’une actrice à la sensibilité européenne et propose MOREAU, MERCOURI et d’autres à BRONSTON, lequel va littéralement fondre en larmes devant lui lors d’un déjeuner pour tenter de lui imposer Ava GARDNER, typique femme fatale américaine ! comme le CHUCK a du cœur, il finit par capituler ( n’oublions pas qu’il a droit de regard sur le casting) et ce sera le début d’une relation disons, difficile, avec cette icone hollywoodienne déjà dévorée par le démon de l’alcool et qui va, tranquillement mais sûrement, faire du tournage un enfer.

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    Ava traverse à l’époque une période sentimentalement délicate, mais là ou d’autres se contenteraient de faire le travail sans que leurs problèmes personnels interviennent, cet état va avoir sur son jeu déjà hésitant une influence déplorable : incapable de dire son texte sans fautes, elle oblige les scénaristes à tailler dans ses dialogues, se montre colérique envers ses partenaires, arrive souvent en retard, parfois ivre, fait subir aux scénaristes les pires sarcasmes ( elle dira même à propos de BARZMAN, de confession israélite, qu’il est dommage qu’HITLER ne se soit pas occupé de son cas), bref, provoque un chaos bien supérieur à ce qu’on peut normalement attendre d’une star de l’époque, et SURTOUT, elle déteste Nick RAY .

    Celui-ci, qui jusque là avait pris le film à cœur et proposé d’excellentes idées à ses acteurs pour les scènes intimistes ou il excelle, avait gagné la confiance d’HESTON, à tel point que les deux hommes envisageaient le tournage d’une future épopée sur la Croisade des enfants, c’est dire qu’entre eux, le courant passait bien ! hélas, il va beaucoup moins bien passer quand HESTON, furieux de voir son « metteur » traité comme un paillasson par Ava et surtout incapable de la faire rentrer dans le rang suite à ses nombreux retards, va commencer à se demander si RAY, malgré son talent, est bien le bon capitaine pour ce navire à la dérive !

    Cette question, il ne se la posera pas longtemps, hélas pour Nick , car celui-ci, épuisé par les journées de tournage sous un soleil de plomb, sa propre addiction au whisky et les harcèlements constants de « la » GARDNER, va faire une attaque cardiaque foudroyante à laquelle il survivra miraculeusement ! Certains y verront une « maladie diplomatique », en tous cas, son retrait va mettre la compagnie dans la panique la plus complète, car les investissements bancaires concédés par BRONSTON sont tels qu’il est capital de finir cette «  godamm picture ! »

    HESTON va se montrer, dans ces circonstances difficiles, particulièrement efficace pour rattraper les jours de retard accumulés par la production, à tel point qu’on lui décernera sur le plateau le titre de «  meilleur premier assistant non officiel », puisqu’il va proposer d’intégrer l’excellent Guy GREEN, avec qui il vient de réussir «  DIAMOND HEAD » à la mise en scène, tandis qu’Andrew MARTON s’occupe des scènes de combat autour des légations européennes. Dormant au maximum quatre heures par nuit pendant plusieurs semaines, il va cumuler les scènes dialoguées avec les séquences d’action sans jamais faiblir, prenant un peu de repos quand il n’est pas impliqué ( ce qui est rare dans le film) pendant que les deux metteurs en scène travaillent séparément dans des décors différents , la nuit pour l’un, le jour pour l’autre ! un exploit logistique formidable ou il aura pris plus que sa part, sans pour autant perdre de vue que ce film reste bancal, que son scénario même remanié reste faible, et que plus jamais on ne le reprendra à accepter un travail sans un script bien finalisé ! ( en fait, il fera la même erreur deux ans plus tard sur MAJOR DUNDEE, comme quoi…)

    Bien que GARDNER, consciente de ses erreurs , tentera de s’amender en se montrant plus docile avec GREEN qui de toute façon ne se laisse pas faire, HESTON ne lui pardonnera jamais vraiment son comportement lors du tournage, malgré son admiration pour certains aspects du personnage ; il évoquera d’ailleurs avec émotion dans ses «  journals » cette scène nocturne en plein MADRID ou Ava, sérieusement esquintée, se grisera à faire des passes de toréador avec son manteau devant un défilé de voitures et donc d’automobilistes médusés, concluant sa description par ces mots : «  she was absolutely marvelous »

    Malgré les prédictions de nombreux professionnels présents sur le tournage, le film sera plutôt très bien reçu en EUROPE, non par la critique qui va globalement le massacrer mais par un public enthousiaste, et même si la réception aux USA sera moyenne ( «  qui connait dans ce pays la révolte des Boxers ? » dira son ami Kirk DOUGLAS) HESTON va nuancer son jugement impitoyable au début, sur ce qu’il considère comme « un beau sujet historique maltraité par ses auteurs » ; au fil du temps, il va même lui reconnaitre les qualités d’une certaine «  flamboyance », et c’est ce qu’on est tenté de penser aujourd’hui en tant que cinéphile …


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    C’est un film fondé contrairement à ce qui a été dit, sur une base historique sérieuse et documentée, et ceux qui disent le contraire ne sont pas forcément les mieux informés sur ce soulèvement crucial pour la CHINE, car il préfigure la future révolution populaire ; on peut lui reprocher un point de vue européen au détriment de l’objectivité, mais n’en va-t-il pas de même dans le cas de productions asiatiques mettant en scène des Européens ? il est donc un peu facile de le juger sur des critères de réflexion d’aujourd’hui ;on peut par contre en déplorer les «  trous » scénaristiques, la gestion par-dessus la jambe de la relation amoureuse très mal développée, mais on peut aussi en admirer la mise en scène ,ou parfois on retrouve des fulgurances typiques d’un RAY «  at his best », la magie des décors, la somptuosité de sa photographie et ces moments savoureux entre d’excellents acteurs dans des styles différents, HESTON,NIVEN, IRELAND en sergent bougon un peu «  fordien » et Harry ANDREWS qui campe un prêtre truculent, en apprécier sans honte le faste, le glamour et la sentimentalité débordante de ce qui reste, après tout, un des derniers films marquants de cet âge d’or d’HOLLYWOOD, cette époque ou on fabriquait du rêve en suant sang et eau sans le confort des ordinateurs pour faire le travail à la place de figurants et de techniciens besogneux, cette époque pleine de magie et d’excès aussi, ou les stars qui brillaient au firmament faisaient plus que mériter leur place.

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    A ma chère CECILE, qui adorait particulièrement la scène finale, ou THERESA retrouve son major …

    «  come, take my hand »

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    " COME, TAKE MY HAND "...

    En mémoire de Cécile que je n'oublie pas,  qui a contribué au blog avec Renaud.


    Cher Renaud, j'ajoute également cette video de l'interview de Charlton, durant une pause lors du tournage des 55 JOURS DE PEKIN.

     

     

  • 12 - «  LES TROIS MOUSQUETAIRES  » , ou la rencontre de deux géants…

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    Oliver REED (Athos) - Michael YORK (d'Artagnan) - Richard CHAMBERLAIN (Aramis)  - Frank FINLAY (Porthos)

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    «  JE n’ai jamais compris pourquoi les français révèrent NAPOLEON, un homme qui a contribué à détruire leur pays, et ignorent complétement RICHELIEU, qui peut être considéré comme le fondateur d’un Etat moderne »…


    CES propos, même s’ils manquent de nuances et illustrent une certaine méconnaissance de l’histoire de France, tenus par Charlton HESTON dans son autobiographie, n’en sont pas moins révélateurs de la curiosité intellectuelle et du besoin incessant d’apprendre qui caractérisent le comédien mais aussi l’homme, même s’il a pu souvent se montrer excessif et porter des jugements disons «  arbitraires » sur des sujets qu’il connaissait peu.


    Tous les admirateurs de l’artiste savent pertinemment qu’il avait une véritable passion pour les «  grands personnages » de l’histoire, et qu’il avait une nette préférence pour interpréter ces «  géants » plutôt que des personnages contemporains qui l’attiraient moins ; cette fascination a pu être jugée par ses critiques comme une forme d’élitisme méprisant, mais rien n’est plus faux : HESTON souhaita toute sa vie s’améliorer en tant qu’acteur ( ce qu’il fit !), et trouvait justement que jouer des flics ou des shérifs qui avaient déjà été sur-utilisés à l’écran, ne le ferait jamais autant progresser que de tenter d’approcher, « d’investir » des personnages complexes et hors du commun ! d’où son choix de redonner vie à Moïse, Gordon pacha , El Cid , Andrew Jackson, et dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, Armand du Plessis, cardinal duc de Richelieu…

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    HESTON avait été au départ, approché par les frères SALKIND, producteurs de renom, pour jouer en fait ATHOS, comte de La Fère, dans une nouvelle adaptation luxueuse et plutôt satirique du chef d’œuvre de DUMAS, le tout pour un cachet vertigineux qui lui fit dire avec humour que « si tous les comédiens étaient rémunérés de la même manière, ils devraient aussi faire de la figuration pour couvrir les frais de production !» Jouer ATHOS ne l’amusait pas plus que ça, et il avait aussi des doutes quand à l’idée de tourner en comédie un ouvrage aussi sérieux et renommé ; c’est quand il apprit que le metteur en scène serait Richard LESTER, qu’il commença à s’intéresser au projet, d’autant plus que l’année 1973 s’annonçait pour lui plutôt calme côté tournages…

    (Richard Lester)
    Richard LESTER s’était fait en quelques années une réputation, formidable dans le milieu, grâce à son sens de l’humour, sa virtuosité caméra en main et son sens aigu du rythme et du montage, qu’on pourrait rapprocher pour nous Français d’un Jean-Paul RAPPENEAU ; son talent avait su faire des BEATLES des stars de l’écran avec l’excellent «  A HARD DAY’S NIGHT » et il avait su capter le tourbillon du « swinging LONDON » des sixties grâce à PETULIA, un autre grand succès artistique et commercial ; malheureusement, son dernier opus «  THE BED-SITTING ROOM » avait été un four complet jusqu’à ruiner sa maison de production ! il se trouvait donc, comme on dit, dans l’impasse, n’ayant pas tourné depuis quatre ans, et prenait donc très au sérieux la chance à lui donnée par les SALKIND de refaire surface avec un sujet excitant pour lui…


    C’est donc LESTER, toujours prompt à développer des idées originales, qui va insister pour garder HESTON dans le casting, malgré son refus de s’engager pour plusieurs mois sur un personnage qui ne l’inspire pas, et n’a selon lui, «  pas grand-chose à jouer » ; quand HESTON lui suggère de lui donner un petit rôle sans forcément passer beaucoup de temps en Espagne, LESTER lui propose alors, fidèle à son approche non conventionnelle, de jouer RICHELIEU, personnage certes central à l’intrigue et disons capital, mais présent dans un nombre restreint de scènes, ce qui convient parfaitement à Chuck ! Celui-ci ne manquera pas de souligner que «  rarement un personnage secondaire à l’écran aura vu son nom autant prononcé dans un film » !

     
    Beaucoup a été dit sur ce choix inattendu de faire jouer par un américain un rôle aussi typiquement européen, et certains se sont gaussés de cette star américaine tentant de recréer un personnage aussi étranger à sa propre culture ; en effet, quel besoin avait donc LESTER d’employer HESTON, alors qu’il faisait jouer le rôle du Roi par CASSEL ( excellent au demeurant) et aurait pu employer un autre «  frenchie » pour jouer le cardinal ! disons que ce besoin de LESTER allait parfaitement de soi avec la fantaisie, l’impertinence et l’humour passablement déjanté qui caractérisent son cinéma ; de même que DUMAS n’avait cure de «  faire des enfants à l’histoire si ce sont de beaux enfants », LESTER fera donc à son tour de charmants bambins à DUMAS, dans une adaptation de Mc Donald FRASER absolument délirante, ou tous les personnages font preuve tour à tour de bouffonnerie et parfois de stupidité, servis par des comédiens anglo-saxons jouant parfaitement le jeu de la satire et de la comédie !


    Tous ?


    Tous, sauf un ,évidemment, on aura facilement deviné qui…


    Car si HESTON, loin d’être l’insupportable Wasp coincé et rigide que ses détracteurs imaginent, adore la comédie et souhaite au départ rentrer à fond dans la danse de la parodie, il se voit sur ce coup opposer un veto catégorique à ce niveau par LESTER himself ! pourquoi ? Et bien justement, parce que RICHELIEU étant à priori le « méchant » de l’histoire, il n’y a selon le metteur aucune raison de l’aborder sous l’angle de la comédie, mais bien lieu d’en faire, au contraire, cette éminence impitoyable, sans autre scrupule que la défense de l’Etat à tout prix, et dans ce but, RICHELIEU doit être « un antagoniste crédible »,donc exit la tentation du pastiche, il sera joué « straight » et en sera donc, par contraste avec tous les joyeux bretteurs insouciants qui peuplent l’ouvrage, d’autant plus inquiétant !

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    Marché conclu entre les deux hommes, qui vont s’amuser comme des fous pendant le tournage, même si les dix jours prévus au départ vont se transformer assez rapidement en quatre semaines, ce que la star accepte de bon cœur ; il échappe ainsi à une situation difficile avec Lydia, son épouse avec laquelle il a failli rompre pour de bon peu de temps avant, et surtout, il vit une expérience de tournage inoubliable, avec une équipe de comédiens de haut niveau !


    Tous ( ou presque) sont en admiration devant cette icone hollywoodienne, son charisme et son talent, et Michael YORK lui-même, dans une interview de 2002 pour le DVD sorti cette année-là, ne tarit pas d’éloges sur le personnage HESTON, tout comme son complice FINLAY ( PORTHOS), parlant même de sa troupe de «  jeunes parvenus britanniques confrontés à ce qui se fait de mieux » avec beaucoup de tendresse et d’humour.

     

    Le seul de la troupe à ne pas avoir trop tenu compte de la «  gravitas » de la mégastar semble être, et on comprend pourquoi vu son caractère d’éternel trublion, l’ami Oliver REED, qui a justement hérité du rôle d’ATHOS auquel il apportera une profondeur inoubliable ; dès le premier soir, à peine arrivé à l’hôtel, HESTON se verra apostrophé par REED d’un « hey, Chuck ! » retentissant depuis le bar de l’établissement, à l’issue de quoi ils se livreront à une puissante session alcoolique dont REED sortira comme à l’accoutumée, vainqueur, et HESTON particulièrement amoindri, au point qu’il avouera souhaiter «  ne plus jamais être confronté à un acteur britannique dans un bar ! »


    L’amusement est une chose et le travail en est une autre, et il faut bien dire qu’à ce niveau, le «  Chuck » sait toujours se faire respecter ; ayant pris la mesure d’un personnage qu’il considère comme « le seul à montrer une réelle intelligence, tous les autres sont des idiots » ( toujours dans la nuance, notre héros…) il va s’employer à faire ressortir toutes ses qualités, pas seulement sa duplicité et sa rouerie, mais aussi son sens aigu du devoir et son respect de l’Etat auquel il voue toute son énergie ; un peu trop grand pour le rôle, il compense ce handicap par une subtile claudication qui l’ « humanise », tout en usant avec talent de sa subtile diction mélodieuse, ou chaque mot semble ciselé et pesé, héritage de son récent vécu théâtral ( il vient de jouer THE CRUCIBLE de MILLER ) et de sa fameuse présence physique naturelle, fort inquiétante effectivement dans ses scènes.


    La plupart du temps confronté à Jean-Pierre CASSEL dans le rôle du Roi et surtout à Christopher LEE, excellent ROCHEFORT, il prend un plaisir certain à ces échanges savoureux, et sera particulièrement impressionné par Faye DUNAWAY, qui compose une Milady haineuse et impitoyable ; on voit à quel point le casting conçu et défendu bec et ongles par LESTER porte ses fruits, contribuant tout autant que le choix des décors et des costumes parfaitement délirant, à la réussite totale de cet opus !

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    (Jean-Pierre Cassel : Louis XIII)

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    (Christopher Lee : Rochefort)


    A la fin du tournage, Chuck note d’ailleurs dans ses «  journals » la phrase suivante :


    « pour résumer, maintenant que c’est terminé, je serais fort surpris que cette production ne marche pas ; le script est magnifique, tous les acteurs sont bons, et LESTER est encore meilleur, j’ai un très bon feeling sur ce film, vraiment »


    Venant d’un artiste qui avoue avec humour s’être souvent trompé sur ses prévisions quand au succès de ses films, le compliment pourrait augurer donc d’un futur échec, mais il n’en sera rien : le film sera un triomphe lors de sa première parisienne, et fera un tabac dans toute l’Europe , avec un début timide aux USA, très vite compensé par un bouche à oreille plus que positif, qui en fera la meilleure recette d’un film européen pour l’année 73, ce qui n’est pas rien !


    TOUT est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? pas tout à fait, car une légère «  crapulerie » s’est quand même immiscée dans ce tableau idyllique ; en effet, peu de temps après la fin du tournage, constatant qu’ils disposaient d’un métrage de longue durée ( ce qu’ils savaient depuis le départ) les frères SALKIND vont, à la surprise des comédiens impliqués, scinder le film en deux parties pour sortir la première époque fin 73 et la deuxième l’année suivante, choix certes courageux dans le cas où le premier film aurait fait un flop rendant inutile la sortie du deuxième, mais particulièrement contestable vis-à-vis des acteurs prévenus au dernier moment !


    La colère de certains ( LEE, DUNAWAY, WARD) sera telle qu’ils refuseront d’entendre parler des brothers SALKIND pendant de longues années, d’autres préfereront adopter une position plus « diplomatique » notamment YORK, et surtout REED et HESTON , qui retravailleront même avec eux plus tard pour THE PRINCE AND THE PAUPER, avec un succès moindre cependant…

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    (Rachel Welch : Madame Bonassieu - Geraldine Chaplin : Reine d'Autriche - Faye Donoway : Milady)


    AH, les éternelles errances et magouilles du show-biz ! mais comme en tant que spectateurs, nous en ignorons la plupart des mécanismes, contentons-nous d’apprécier pour l’éternité ce petit chef d’œuvre d’humour et de fantaisie, ou la création de RICHELIEU par l’artiste reste une de ses grandes performances des années 70 !

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    A MA CECILE, mon éternelle script-girl...

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  • 11 - NUMBER ONE, ou HESTON en « anti-héros »

    MAJ le 31 mars 2019 

    MAJ le 23 mars 2019 

     

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    S’il fallait rechercher dans la filmographie de Charlton HESTON un “ bon” film qui n’a quasiment été vu par personne et dont même certains de ses admirateurs ignorent jusqu’à l’existence, on pourrait sans trop s’avancer citer « NUMBER ONE » , production qui ne fut que très peu montrée aux USA et dont la distribution européenne fut pratiquement inexistante, comme pour rappeler à ceux qui feignent de l’ignorer que HESTON ne se contenta jamais, même au sommet de sa gloire, du statut de superstar et fut, à l’instar d’un PECK ou d’un LANCASTER, un artiste inspiré toujours prêt, du moins à ce stade de sa carrière, à prendre les risques qui s’imposaient.

    En effet , peu de temps après s’être engagé dans le projet de « PLANET OF THE APES » alors que la plupart des studios avaient trouvé l’idée de «  singes parlants » totalement ridicule et surtout invendable, HESTON remet sur le tapis un projet intitulé au départ «  PRO » soutenu par son ami Walter SELTZER, dont le thème était la fin de carrière d’un footballeur vedette de la NFL dont le parcours jusqu’ici glorieux se trouve compromis par des blessures diverses et surtout son incapacité à s’adapter au monde moderne ; conscient que ce sujet ne risquait d’intéresser qu’une clientèle américaine, et que donc le manque d’impact d’un tel projet sur l’EUROPE ou l’ASIE allait jouer en sa défaveur, les deux hommes décident donc de proposer l’idée, le « treatment » à la nouvelle équipe de UNITED ARTISTS qui vient de se mettre en place et recherche justement des «  peu coûteux » !

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    La belle affaire, se disent-ils, et ils ont partiellement raison, car David et Arnold PICKER, superviseurs de tous les projets chez ARTISTS, voient d’un bon œil qu’une star oscarisée accepte de travailler pour eux pour un salaire modeste et un pourcentage sur les profits qui parait plutôt aléatoire…l’agent «  iceman » CITRON va bien sûr s’inquiéter que son poulain tente l’aventure, tout comme il s’était opposé au western WILL PENNY réalisé l’année précédente par Tom GRIES, dont il craignait l’inexpérience ; on peut donc imaginer la tête du cher homme quand SELTZER lui annonce que GRIES mettra aussi en scène l’histoire du footballeur déchu…

    Concernant le choix du « metteur », les versions différent, car même si HESTON avait eu le courage de tenter l’expérience GRIES pour WILL PENNY, il n’avait surtout pas eu le choix, car en tant qu’auteur du scénario, GRIES ne voulait pas le vendre s’il ne mettait pas en scène ! pour NUMBER ONE, le cas est différent, car il n’est nullement auteur du scénario, et dans ses « journals » le comédien évoque clairement son envie d’utiliser les talents supérieurs d’un HUSTON et même d’un STEVENS, sans intéresser aucun des deux, et c’est contre mauvaise fortune bon cœur qu’il a fini par marcher avec GRIES ….

    Dans ses mêmes « journals » passionnants à plus d’un titre quand on veut comprendre comment se fabrique ou pas un film, il évoque aussi une industrie hollywoodienne en plein chaos, ou la moitié des lieux de tournage et autres «  sound stages » sont quasiment laissés à l’abandon par manque d’activité et chômage technique ; «  la ressortie de BEN-HUR va surtout aider la MGM à payer la note d’électricité de studios désespérément vides », note-t’il pendant l’été 68 ….

    C’est donc dans un climat morose et peu dynamique, à une époque ou HOLLYWOOD traverse une crise sans précédent, accentuée par le flop de comédies musicales ou films de guerre hors de prix ( MISTER DOOLITLE, STAR, TORA TORA TORA) que ce petit film UA va se construire, dans l’indifférence générale, il faut bien le dire !

    HESTON, toujours très professionnel dans ses choix et ses recherches, va se lancer dans la préparation du film avec deux objectifs : en savoir autant que possible sur le football américain ( souvenir de jeunesse pas forcément grandiose puisqu’il s’est cassé le nez lors d’un match)et surtout parvenir à une condition physique acceptable pour rivaliser avec les vrais pros ( du moins à l’écran) et donc être crédible pour le public !

    Ainsi que l’explique son biographe Marc ELIOT, le comédien possède à l’époque le corps certes musclé d’un joueur de tennis de bon niveau, mais pas du tout le torse et les épaules d’un joueur moyen de la NFL, va falloir travailler ! et voilà notre héros obligé de suivre un training à la LANCASTER, mais sans avoir forcément l’aisance naturelle requise ; qu’importe, il va apprendre, travailler, écouter, lancer le ballon, plaquer, le tout deux heures par jour cinq jours par semaine pendant deux mois, sans jamais se plaindre, devenir proche de l’équipe des NEW ORLEANS SAINTS engagés pour le tournage et qui ne tariront pas d’éloges sur la simplicité de la star et sa volonté farouche… de ne pas être ridicule ! ET il ne le sera pas, grâce à cette préparation difficile, et aussi l’aide du comédien Bruce DERN appelé à jouer un second rôle important, qui va carrément lui apprendre à courir pour éliminer son surpoids, obsession de l’acteur à l’époque, non par narcissisme, mais par besoin de préserver une apparence correcte pour les fans qui le font vivre !

    LE tournage, réduit contractuellement à quatre semaines, peut donc commencer sans trop de soucis, sauf que le comédien va se retrouver confronté à un de ses démons intérieurs : maintenant qu’il a saisi l’apparence ( outer se) du personnage et son background social, comment définir le vrai caractère ,le «  inner se »de ce CATLAN qu’il avoue dans ses « journals » tout simplement «  ne pas comprendre » !

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    BRUCE DERN

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    En effet, il a déjà joué des personnages habités, ou névrosés, ou antipathiques, c’est même une de ses caractéristiques, mais ce CATLAN, obsédé par lui-même, réclamant l’attention de son épouse alors qu’il ne s’intéresse pas à son travail, tentant une liaison avec une femme plus jeune pour oublier qu’il prend lui-même de l’âge, refusant toute réinsertion même honorable, lui échappe, il ne le comprend pas, et surtout, il ne l’aime pas vraiment ; or, il dira lui-même souvent, pour bien jouer un personnage, il faut l’apprécier un minimum ; il va donc tenter de se l’approprier, mais sans réussir totalement à l’incarner, du moins selon ses critères élevés…

    UN autre souci, celui-là lié à une dualité typiquement « hestonienne » va aussi faire jour, c’est le sens à donner à « son » film, doit-on se contenter d’une approche documentaire expliquant au public ce qu’est la vie d’un sportif pro américain, ou doit-on se servir de l’histoire comme pour symboliser les défauts d’une société américaine fondée sur le pouvoir de l’argent et qui laisse impitoyablement sur le carreau tous ses « losers », même magnifiques ?

    HESTON, qui est à l’époque dans le clan des libéraux, est loin d’ignorer les tares et les vices Du système en question, mais contrairement à un LANCASTER qui au même moment produit avec THE SWIMMER une dénonciation féroce de l’ « american way of life », ne souhaitera pas aller aussi loin, car s’il tente de comprendre le cas de cet individu qui s’isole peu à peu du milieu qui l’a nourri, il n’est pas à l’aise avec la notion de «  loser » qu’il perçoit comme dangereuse et débilitante, c’est trop pour lui, et il va tout faire pour que le film reste un constat amer, sans pour autant remettre en cause le système qui a construit CATLAN ; d’ailleurs, Elia KAZAN, intrigué par ses choix du moment, et voyant en lui un pessimiste qui finalement n’existe pas vraiment, se verra opposer un refus cinglant quand il lui proposera le premier rôle de son nouveau film, «L’ARRANGEMENT », ce qui n’est pas étonnant «  it’s a loser’s story, with a loser for protagonist » !

     

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                   (avec Jessica Walter)                                                                                    (avec Diana  Muldaur)

     Cependant, même si on touche avec ce film les limites de l’engagement social et sociétal de la star, on ne peut qu’admirer l’aisance avec laquelle il pose le personnage de CATLAN, et ce dès le début du film, sans utiliser les effets qui lui ont servi si bien jusque là ; tour à tour violent et buté, doux et compréhensif, capable, et c’est un peu une nouveauté, de parfaitement ciseler son jeu dans les nombreuses scènes avec ses deux excellentes partenaires féminines, Jessica WALTER et surtout Diana MULDAUR, physiquement crédible dans les scènes de match comme dans les dialogues avec le cynique Bruce DERN, il n’est pas loin du sans-faute, dans la droite lignée de WILL PENNY, ou il fut tout aussi remarquable en héros westernien vieilli et vulnérable, ce qui est aussi le cas ici. C’est un grand rôle, indubitablement !

    Ce que l’on peut reprocher au film, ce n’est pas tant le jeu des acteurs, ou la construction logique et implacable d’un scénario qui pourrait s’intituler «  la chute d’un héros » mais plutôt la mise en scène finalement souvent statique et mollassonne de GRIES, qui ne laisse pas, et c’est dommage, le film s’envoler sur la fin, et ne met pas assez en valeur un dénouement pourtant bouleversant ; quand CATLAN git, blessé au sol après ce qui aura été le match de trop, on pourrait espérer une réalisation qui soit digne du tragique de la situation, mais GRIES s’y refuse en se concentrant sur le visage dépité de l’épouse ( WALTER) et un panoramique arrière assez convenu, on ne peut que rêver à ce qu’un HUSTON ou un WYLER auraient su faire d’un tel matériau !

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    Ces réserves étant faites, on ne peut que louer l’artiste et ses collaborateurs d’avoir cru en cette histoire finalement dérangeante et originale, à une époque ou le cinéma américain n’en avait plus que pour les films de jeunes à la EASY RIDER ou les polars cyniques à la BULLIT ; et franchement, si les films précités ont bien mieux fonctionné au box-office du moment, il est amusant de constater à quel point ils nous paraissent aujourd’hui souvent datés et lourdingues, là ou justement, des « petits films » comme NUMBER ONE et THE SWIMMER, pour n’en citer que deux, ont gardé toute leur pertinence et leur force émotionnelle…

    A CECILE …

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  • 10 - LE SEIGNEUR D’HAWAI ...

    MAJ le 5/10/2016

     

    OU QUAND L’ACTEUR ET LE CITOYEN NE FONT QU’UN …..

    (1962)

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    Dans sa fameuse autobiographie «  IN THE ARENA » ou le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’y pratique pas la langue de bois, Chuck HESTON explique que les interminables vols transatlantiques sont un moment idéal pour parler films, et notamment pour proposer un «  pitch », en gros un résumé d’intrigue, à tout comédien désireux de passer le temps le mieux possible … c’est ce qui lui arrive début 1962, lorsqu’un traquenard organisé par Phil YORDAN et Nicholas RAY, le tout favorisé par l’absorption d’une bouteille du meilleur malt, leur permet d’obtenir l’accord de principe de la star pour un futur « épic » sans scénario, « 55 DAYS IN PEKING » !

    A peine débarqué à NEW YORK et conscient qu’il s’est sans doute engagé à la légère, HESTON va donc passer un certain temps à d’une part, refuser poliment de participer à «THE FALL OF THE ROMAN EMPIRE» que BRONSTON lui propose avec insistance, sous prétexte que le scénario est mauvais, et d’autre part, à s’intéresser de près à ce projet PEKING, qui n’a pas de scénario du tout ; la logique de ce choix n’est pas évidente, et d’ailleurs, Chuck en retirera la leçon suivante, ne jamais accepter quoi que ce soit sans un script et des dialogues valables.

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    Désireux de retrouver un peu d’activité pendant cette période de préparation d’une grande production BRONSTON, il peut donc se consacrer à un film au budget bien moindre, mais qui a le mérite d’avoir un scénario bien défini sur un thème qui lui importe : le racisme et les formes de ségrégation qui en découlent, «  DIAMOND HEAD », qu’il a décidé de tourner rapidement, raconte en effet l’histoire d’un riche planteur d’HAWAI dont la sœur est amoureuse d’un métis d’une classe inférieure, et de son refus obstiné de la laisser vivre sa vie avec l’homme de son choix .

     

    Comme son personnage est lui-même amoureux d’une Eurasienne à laquelle il refuse néanmoins le bonheur d’avoir un enfant avec lui, HESTON se retrouve à incarner un individu égoiste, violent et négatif, porteur de valeurs qui lui sont étrangères, et c’est ce qu’il trouve intéressant ; sans doute, bien que la mode ne soit pas encore celle de la parité cinématographique entre blancs et noirs, voit-il là une occasion de mettre ses idées de démocrate en pratique ! il est vrai aussi que la minorité évoquée dans le film n’est pas la population noire, mais celle des « iliens » d’HAWAI, mis à l’écart de la communauté blanche dans une forme d’apartheid déguisé… néanmoins, la symbolique est claire, et même si le sujet d’actualité un peu trop «  chaud » est soigneusement évité, le fond du problème est le même, celui de l’égalité des droits et des chances de toutes les ethnies, dans un système démocratique.

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    Donc, aborder ce personnage de « King » HOWLAND n’est pas un problème pour lui, mais plutôt un vrai plaisir ; il a déjà abordé pas mal de rôles antipathiques avant, mais c’était à ses débuts, ou le risque d’être identifié à un «  heavy » n’était pas bien grand ; or, il est devenu une star, qui plus est dans des incarnations «  positives » et le public a de lui cette image rassurante ! DIAMOND HEAD va donc être la première véritable occasion pour lui de casser cette aura en jouant ce qu’on n’attend plus de lui : pas forcément un vrai « méchant » mais un individu incapable de compassion et de compréhension dés que ses privilèges de classe et de caste lui paraissent menacés ! plus tard, il va collectionner ces personnages difficiles et refuser de jouer les héros, il en fera presque une routine, mais, à notre impression, DIAMOND HEAD est bien le premier d’une longue série.

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    IL est amusant de constater qu’au départ, le script a été conçu pour Clark GABLE, abonné aux rôles de planteur ou d’aventurier dur à cuire, et que depuis son décès, on a tenté de « refiler » les scénarii qui lui étaient proposés aux nouvelles vedettes du moment. Chuck le sait et n’en prend pas ombrage, il va simplement essayer de comprendre ce faux héros, d’éviter tout effet et tout romanesque pour mieux en faire apparaitre les zones d’ombre, ce dont GABLE, de par son statut de mégastar, n’était pas capable. Globalement satisfait du script, il va avoir, selon ses mémoires, une influence capitale sur un aspect destiné à « humaniser » son personnage, à savoir le souvenir de la mort de sa femme et de son fils par noyade, qui l’empêche de vivre une vie normale et de s’autoriser le bonheur d’un enfant avec sa maitresse eurasienne. Par d’autres petites touches subtiles, il va aussi épaissir sa relation avec le personnage de sa sœur, jouée plutôt bien d’ailleurs par Yvette MIMIEUX : on sent bien sûr l’autorité cassante de celui qui veut jouer au père, mais aussi l’ambiguité de ses positions, la jalousie qui le consume, bien plus que l’expression d’un racisme « ordinaire » ; sans dire qu’il s’agit d’une interprétation exceptionnelle, car d’autres, supérieures, sont à venir, on sent vraiment ici la volonté de gratter la surface et d’aller plus loin que ce que lui proposait le scénario «  bien-pensant » initial.

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    Très confiant quant à la tournure que prend ce qu’il appelle lui-même «  une tragédie intimiste », HESTON ne tarit pas d’éloges sur son metteur en scène, l’Anglais Guy GREEN, vif, précis et imaginatif, à tel point que la séquence du rêve aquatique de la jeune sœur, chargée d’un érotisme torride pour l’époque, va même lui faire un peu froncer les sourcils ! Il reste un artiste pudique, en difficultés quand il s’agit d’exprimer ses émotions, mais même dans ce domaine, il va être en progrès, sa relation avec la jeune Chinoise jouée par France NUYEN, étant pour une fois assumée par l’acteur avec la passion et la fièvre requises.

     

    Le point faible du film, malheureusement, va se trouver là ou justement, on aurait dû trouver force et crédibilité : les deux acteurs censés incarner les frères KAHANA, ceux par lesquels le scandale arrive, ont beau se démener et tenter d’incarner au mieux la jeunesse et la révolte, rien ne se passe qui donne vraiment envie de pencher de leur côté, ce qui est un peu un comble ! Il se peut que, conscients de l’énorme présence d’HESTON, CHAKIRIS et DARREN n’aient pu s’exprimer comme ils le voulaient, mais leur ( relative) médiocrité dessert quelque peu, la puissance dramatique du sujet.

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    Pas autant cependant, que les tripatouillages auxquels va se livrer le producteur Columbia maison, le nommé Jerry BRESLER, dès que sa vedette aura eu le dos tourné ! C’est en effet un « money maker » sans états d’âme que ce BRESLER, au sujet duquel Guy GREEN disait en riant à HESTON au début du tournage : «  il est sympa, mais comment un exécutif quelconque peut- il se vanter d’avoir fait un film appelé : «  GIDGET GOES HAWAIIAN » ?

     

     

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     Sans beaucoup toucher au sujet ni à son intrigue principale, BRESLER va donc demander à ce que le film finisse sur une note positive, à savoir l’acceptation par HESTON de l’enfant qu’il a eu de sa maitresse décédée, alors qu’il était prévu que, justement, « King » se retrouve seul dans son immense plantation, livré à ses démons personnels ; tenu à son contrat avec Columbia, Chuck devra donc se résoudre à jouer une scène globalement indéfendable, et se tiendra sur ses gardes quand il croisera de nouveau la route de BRESLER, deux ans plus tard pour un certain «  MAJOR DUNDEE » !

    BRESLER va aussi et surtout, amoindrir la portée du récit en coupant plusieurs scènes (notamment celles de confrontations entre HESTON et CHAKIRIS, environ 3 minutes, ce qui est énorme) uniquement dans le souci de rendre le personnage de HOWLAND plus acceptable, là ou le comédien s’était efforcé de faire l’inverse ! On est là au cœur de la contradiction hollywoodienne entre le pouvoir de l’argent et le travail des créatifs, qui dépend hélas des hommes d’argent, situation vécue de façon souvent amère par l’artiste durant sa carrière.

    Curieusement, ou disons plutôt miraculeusement, le film va rester cohérent et solide, en grande partie grâce aux astuces de GREEN qui s’est arrangé pour qu’un seul montage soit possible sur toutes les scènes dialoguées ! HESTON lui sera tellement reconnaissant de sa vivacité qu’il le recommandera à BRONSTON pour, littéralement, sauver un 55 DAYS IN PEKING bien mal en point l’année suivante.

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    Quand on regarde le film de nos jours, même si on peut considérer que certaines scènes ont vieilli, ou que le rythme manque parfois un peu du « swing » des grands mélodrames, on reste convaincu par la fermeté du propos et des idées défendues, à une époque ou l’Amérique blanche avait bien du mal à accepter ses minorités et à leur trouver une place dans son système politique ; il n’était donc sûrement pas facile de réaliser un tel projet, quitte à être impopulaire auprès du grand public, et HESTON a su assumer ce risque, et se montrer en accord avec son anti-racisme naturel, qui restera un de ses principes forts, toute son existence.

    Dans ce sens, on peut donc dire que, dans le cas de ce DIAMOND HEAD finalement réussi , l’artiste et le citoyen n’ont fait qu’un .

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    A Cécile, toujours...

     

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