ANTOINE ET CLEOPATRE : ( 3eme partie et fin)
APRES un tournage relativement difficile, qu’il considérera plus tard comme « un projet très professionnel, réalisé parfois dans des conditions de semi-amateurisme », Chuck HESTON se retrouve donc avec dans les mains un négatif de plus de trois heures, durée trop importante pour espérer une carrière commerciale honorable, ce qui va l’amener dès la fin des prises de vues à couper allégrement dans son premier « rough assembly » pour arriver à un métrage de deux heures quarante, ce qui n’est pas rien quand même !
Interrogé par divers puristes sur le bien–fondé de ces coupes, il déclarera sans ambages : « je suis sûr que SHAKESPEARE coupait SHAKESPEARE ! »
Ceci étant fait, il quitte l’Espagne dans un état de grande fatigue physique et morale, car les soucis de montage du film associés aux terribles migraines dont souffre sa LYDIA le préoccupent au plus haut point, jamais encore dans sa vie, il n’a ressenti autant de pression, car il a maintenant réalisé son rêve, mais il sait que le plus dur commence !
Et le plus dur pour lui, va être de s’asseoir dans son studio personnel à COLDWATER pour regarder l’ouvrage ; comme tout artiste, il est exigeant, et ce qu’il voit ne lui plait pas : le rythme est lent, la musique inexistante, les acteurs espagnols doivent refaire leurs voix, et tout cela rapidement, car l’ami SNELL, toujours entreprenant, a booké la première mondiale à LONDRES pour mars 72, ce qui laisse fort peu de temps pour rassurer notre héros…
L’excellent monteur britannique BOYD-PERKINS fait donc le voyage à LOS ANGELES pour superviser le montage chez l’acteur, celui-ci s’octroyant parfois un break pour satisfaire sa deuxième névrose ( le tennis ) mais restant néanmoins très près du technicien pour que les idées de mise en scène qu’il a expérimentées au tournage se retrouvent bien sur l’écran ; malgré quelques frictions bien normales quand on travaille dix heures par jour sur des bobines, les deux hommes trouveront le bon équilibre entre l’action et le texte, problème inévitable quand on filme SHAKESPEARE ..
A ce moment du projet, deux évènements positifs vont se produire, d’une part l’ami de longue date Richard JOHNSON va, sans demander un sou, refaire la voix de Fernando REY ( LEPIDE) et superviser toutes les voix espagnoles secondaires ! d’autre part, la musique originale ressemblant à du sous ROSZA, Peter SNELL a l’excellente idée d’embaucher un jeune compositeur anglais, John SCOTT, dont les partitions superbes vont totalement magnifier l’image, et devenir un des points forts de l’ouvrage !
John Scott
Tout cela paraît bel et bon, mais c’est au moment où il devrait s’occuper de la distribution future du film en EUROPE que Chuck se retrouve impliqué, sur l’initiative de son agent CITRON, dans un film MGM sans grande valeur artistique, « SKYJACKED » ( ALERTE A LA BOMBE ) pour deux raisons essentielles :
La première, c’est que, pour parler familièrement, CITRON en a « jusque- là » des grands délires artistiques de son poulain, et ce qu’il veut, c’est qu’il revienne aux « big money makers » dont il le sait capable, même si le contenu moyen du texte et la « haute valeur» du scénario n’échappent pas à HESTON... le voilà donc embarqué dans son premier « disaster film », et malheureusement ce ne sera pas le dernier !
La deuxième, plus insidieuse, c’est que KERKORIAN, patron de MGM, n’est pas un philantrope, et que, se souvenant parfaitement avoir prêté des « stock-shots » de BEN-HUR à l’artiste, il trouve logique que celui-ci signe pour ce film sans poser de questions, non sans en avoir touché un mot à Walter SELTZER ; c’est donc un peu « payback time » et le début d’une longue série de concessions commerciales auxquelles HESTON aura souvent à se plier à l’avenir …tout cela en tout cas tombe mal, car pendant qu’il combat les pirates de l’air pour l’irascible director John GUILLERMIN ( avec qui il aura des mots) il n’a plus la tête à son « labour of love » !
Finalement, l’équipe du film peut enfin se rendre à LONDRES pour la première du film le 2 mars, avec la sensation d’un devoir accompli, d’avoir réalisé une œuvre « honorable » dans tous les sens du terme, et on va voir ce qu’on va voir…hélas.
Charlton Heston et Hildegard Neil à la Première à Londres 2 mars 1972
Les critiques des grands journaux londoniens, généralement favorables à HESTON dont ils ont souvent apprécié le travail, vont rester plus que de marbre devant ce travail pourtant plein de passion et de générosité …ils vont allégrement s’en prendre à sa mise en scène, à la direction d’acteurs, refusant d’y voir la moindre qualité créative, s’acharner principalement sur la Cléo de Chuck ( Hildegard NEIL mettra longtemps à s’en remettre) et se contenter, dans certains cas, de mettre quelques bons points à l’acteur HESTON, qui il faut le dire, réalise une performance globalement splendide….pourquoi un tel rejet ? à priori, ce besoin très insulaire des Britanniques de protéger bec et ongle leur culture semble leur interdire de pouvoir apprécier qu’un américain puisse « avoir l’audace » de mettre en scène SHAKESPEARE ; c’est du moins l’explication que, beau joueur, HESTON donnera plus tard à ce véritable jeu de massacre dont son film va faire les frais, comme JULES CESAR deux ans plus tôt, à la différence que dans ce cas, le rejet pouvait un peu mieux se comprendre…
Malgré un calme et un sang-froid qui ne le quittent que rarement, HESTON encaisse, mais souffre ; il sait que le film n’aura pas de deuxième chance, et il a raison ; très vite, il disparait des écrans anglais, pour ne jamais être montré en France, ni dans le reste de l’EUROPE , à part l’Espagne ou un deal ancien avait été conclu avec des distributeurs, donc, en gros, le film ne sera quasiment vu par personne, ce qui permettra à divers imbéciles d’en dire du mal sans jamais l’avoir vu…
ET là , il faut se mettre à la place d’un artiste possédé par une œuvre, qui a tout donné y compris sa chemise, pour réaliser un rêve d’enfant, et qui se retrouve assassiné en quelques lignes, dans une sorte de consensus critique visant à « dégonfler le cigare » de la superstar hollywoodienne qui croit pouvoir s’attaquer à SHAKESPEARE !
Il ne sera pas ruiné, loin s’en faut, car le succès du médiocre SKYJACKED aidant, il va pouvoir peu à peu refaire surface, mais au prix d’implications dans des projets moins personnels, plus alimentaires, ou sa part de jeu et d’inventivité sera fatalement de plus en plus réduite ; le public américain ne veut pas le voir en toge dans le rôle d’un romain à qui l’amour fait perdre tout sens des réalités , il le veut en super héros au regard d’acier qui fait face aux éléments ou aux méchants de ce monde, et c’est ce qu’il aura, à part quelques heureuses exceptions, dans les années 70 ..sur le plan artistique, on ne peut que le regretter, car le potentiel dramatique confirmé par son interprétation d’ANTONY aurait mérité de s’épanouir bien plus…
L’après ANTONY sera donc marqué principalement par ce retour à un format beaucoup plus prévisible sur le plan cinématographique, et HESTON souvent, reviendra au théâtre, notamment pour jouer MACBETH, sachant pertinemment qu’il peut s’y exprimer autrement qu’en sauvant les passagers d’un 747, mais on ne peut s’empêcher de penser que la blessure était toujours là et ne s’est pas aisément refermée, c’est aussi, coïncidence ou conséquence, à cette époque que Chuck va passer dans les rangs républicains, après un demi-siècle d’allégeance au parti démocrate…
On peut donc considérer, sans tomber dans le phantasme du fan déçu cherchant à tout prix des explications rassurantes à une évolution qui lui déplait, qu’il y a bien un « avant » et un « après » ANTONY …
J’ai personnellement découvert ce film plus de trente ans après sa sortie, après en avoir beaucoup entendu parler, sans en avoir vu le moindre extrait alors que je connais ( presque) tous les autres films de l’artiste, et je me suis alors dit que cela avait valu la peine d’attendre…
C’est le film d’un homme mûr, fait avec l’enthousiasme et l’énergie d’un jeune homme, un spectacle magnifique sans les moyens qu’on imagine, une restitution vibrante d’un des plus beaux textes shakespeariens, un débordement de passion et d’idées filmiques que l’on pourrait croire étrangères au « sage » HESTON, un envoûtement mis en scène par l’envoûté lui-même, où les quelques défauts et faiblesses d’un metteur en scène débutant sont compensés largement par sa fascination débordante pour le sujet, c’est le film d’un véritable allumé.
ET donc, à mon point de vue, l’égal dans un genre différent, du FALSTAFF de WELLES ou de l’également superbe MACBETH de POLANSKI .
ET accessoirement, un des plus beaux rôles d’un très grand comédien, non ?
A Cécile...
Un hommage à ce grand film, avec quelques photos sur lesquelles figurent les répliques en français.
Merci Renaud.
PREMIERE D'ANTONY AND CLEOPATRA AU CINEMA ASTORIA DE LONDRES LE 2 MARS 1972 (document offert par Michael Munn)
En complément de ces excellents GRAINS DE SEL consacrés à ANTONY - CLEOPATRA - JULES CESAR, voici le soundtrack du film " ANTONY AND CLEOPATRA ", musique de John Scott, dont je ne me lasse pas.