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2 - " Charlton Heston une biographie " de Michael MUNN - (traduction par Adrien P. )

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PREMIERE PARTIE  

 Un nouveau visage, une nouvelle force

Le soir californien se posait sur Hollywood tandis que l'acteur encore jeune et assez méconnu passait en voiture dans les studios Paramount Pictures pour rentrer chez lui (si tant est que l'on puisse appeler « chez soi » un appartement dans un immeuble principalement occupé par des prostituées ! ) Sa vraie maison était là-bas, à New-York, où était sa femme et une carrière florissante sur scène et à la télévision. Ici, à Hollywood, il était un nouveau visage à l'écran n'ayant qu'un seul film à son actif. Ayant passé tout l'été à en faire la promotion, il devait accepter le fait qu'il n'avait pas vraiment mis la ville en émoi.

Ce n'est pas que la campagne de publicité de Paramount n'avait pas essayé de le promouvoir. De fait, les affiches de Dark City (La Main qui venge) semblaient crier : « Regardez bien cet homme... c'est un nouveau visage et une nouvelle force à l'écran. »

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Cela aurait pu être des paroles prophétiques, mais la médiocrité de Dark City montrait à peine cette « nouvelle force », même si ce visage était certainement bel et bien nouveau. À vingt-six ans, il y avait un je ne sais quoi de puissant et d'autoritaire sur son visage qui masquait sa timidité naturelle. Il arborait un nez cassé ; ses yeux bleus étaient enfoncés loin derrière des sourcils graves et son long front ridé était couronné d'épais cheveux châtains et ondulés. Sa carrure d'un mètre quatre-vingt-dix (1) s'était dernièrement élargie au niveau du torse et des épaules.

(1) généralement Charlton Heston est décrit comme mesurant 1m93

Tandis qu'il traversait les plateaux de tournage et les bureaux de Paramount Studio, il aperçut juste en face de lui une silhouette facilement reconnaissable. Dans les escaliers menant à l'immeuble de son propre bureau se tenait Cecil B. De Mille, avec à ses côtés sa secrétaire personnelle tenant un carnet de note à la main pour prendre en note la moindre de ses paroles, ou bien pour feuilleter les feuillets et relire ce qu'elle avait noté.

Le nom, la voix et le visage de De Mille étaient aussi connus du grand public que ceux de n'importe quelle vedette de cinéma. Il était le producteur/réalisateur le plus prestigieux et le plus puissant de Paramount puisqu'il avait été (par intermittence) dans la compagnie depuis sa création en 1914 par Adolf Zukor. Maintenant âgé de soixante-dix ans, il était un peu le patriarche de Paramount, et il était toujours aussi productif. C'était également une figure impressionnante dont le moindre mot pouvait embaucher ou renvoyer n'importe qui sur-le-champ.

Le jeune acteur, en voyant De Mille, était soudain face à un dilemme : devait-il aller au-devant du légendaire réalisateur ? En effet, De Mille le connaissait-il seulement ? Ne serait-il pas mieux de simplement continuer de rouler et de l'ignorer ? Il l'avait déjà rencontré auparavant lors d'une fête, mais le jeune acteur de New-York était toujours timide en rencontrant les gens pour la première fois ; il était encore très inexpérimenté et manquait de confiance en lui-même, alors que De Mille était aussi vieux et aussi chevronné que l'industrie du cinéma elle-même.

Comme l'a fait remarquer l'acteur, « J'étais très jeune, alors qu'il était très vieux et très impressionnant. »

Le jeune homme passa à toute vitesse, et au tout dernier moment, il salua d'un geste De Mille en souriant chaleureusement. Il aperçut tout juste De Mille lever la main vers lui en réponse, et était ravi d'avoir été reconnu par un si grand homme.

De Mille se tourna vers sa secrétaire et lui demanda : « Qui était-ce ? »

La secrétaire avait reconnu le conducteur. Elle commença à feuilleter son carnet à la recherche des informations qu'elle était certaine d'avoir écrites quelque part dedans. En trouvant, elle dit : « il s'appelle Charlton Heston, c'est un acteur venu de New-York. Il s'est absenté quelques mois. Il a fait un film : Dark City. Vous l'avez regardé à la maison il y a quelques semaines. Vous n'aviez pas aimé. »

« Oui, je m'en souviens », répondit-il, puis il ajouta : « mais j'ai bien aimé sa façon de me saluer. »

Charlton Heston, ignorant tout de l'avis de De Mille à son sujet, traversa le portail du studio, prit la Marathon Street, et se dirigea vers son appartement, situé quelque part derrière le Grauman's Chinese Theatre1.

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Charlton Heston retourna à New-York peu de temps après cela. Lydia, sa femme, était toujours sur le même tournage que quand Hal B. Wallis (producteur pour Paramount) avait traîné son mari à Hollywood. N'étant désormais plus très sûr que la moindre carrière l'attende dans le cinéma, Heston avait le sentiment qu'il restait encore des rôles pour lui au théâtre à New-York où il s'en sortait honorablement. En effet, tout ce qui comptait pour lui était de jouer, peu importe le médium. Il savait que les films étaient un échelon social supérieur rassurant s'il y parvenait, mais être payé pour jouer était pour lui la plus belle chose au monde. Ça et sa chère femme, son amour d'université Lydia.

Tandis qu'Heston reprenait ses petites habitudes sur la côte Est, Cecil B. De Mille était toujours sur la côte Ouest, occupé à préparer ce qu'il voulait être le plus grand, le plus spectaculaire film de cirque de tous les temps, judicieusement titré The Greatest Show on Earth (Sous le plus grand chapiteau du monde). Il avait déjà engagé le fabuleux Ringling Brothers Circus, déboursant $250,000 pour l'emploi de toute la troupe d'artistes, de techniciens, d'animaux domptés ainsi que le grand chapiteau. Il réfléchissait déjà au casting depuis l'automne de l'année 1950.

D'un seul coup, c'est comme s'il y avait une urgence pour la distribution des rôles des personnages du film. Les films de De Mille impliquaient du grand divertissement et beaucoup de spectateurs dans le monde entier. C'était un maître dans l'art de donner au public ce qu'il voulait voir, et aucun acteur avide d'être vu du grand public ne pouvait se permettre de décliner une offre de De Mille d'apparaître dans son film sur le cirque. Betty Hutton, par exemple, avait été jusqu'à lui envoyer une composition florale avec une réplique miniature d'elle-même sur un trapèze pour le convaincre qu'elle était parfaite pour son film. Mais quand De Mille l'a rencontrée, il lui a dit qu'elle était trop grosse des hanches pour pouvoir être trapéziste. Elle a donc promis de maigrir et qu'elle sauterait sans peur au trapèze s'il lui donnait le rôle. Il a accepté. 

Paulette Goddard était également nerveuse à l'idée d'être dans son film et elle voulait le rôle de la femme-éléphant. Elle a envoyé à De Mille2 un télégramme optimiste où l'on pouvait lire : « j'espère que toutes les rumeurs disant que je serai dans The Great Show on Earth sont vraies. Je reviendrai lundi pour la signature des contrats. »3 Ce n'était cependant pas elle qui allait signer les contrats : De Mille les a donnés à Gloria Grahame. Cornel Wilde était ravi de recevoir le rôle de « Great Sebastian » (« Le Grand Sebastien ») : Sa carrière était mal en point et avait besoin d'un petit coup de pouce, mais il n'était pas du tout le premier choix de De Mille. Ce dernier voulait Burt Lancaster pour ce rôle mais les frères Warner, pour qui il travaillait alors, ne l'auraient pas laissé partir. Pour ce qui est du rôle du docteur accusé de meurtre qui se cache sous un épais maquillage de clown, De Mille avait réussi à avoir l'acteur qu'il voulait, même si celui-ci ne manquait pas de travail : James Stewart. Son succès était à son apogée à ce moment-là et il en profitait pleinement.

Il restait encore à distribuer le rôle-clé de Brad, le directeur du cirque, et De Mille voulait un acteur à la fois robuste, exigeant, à la figure autoritaire et parfaitement sympathique. Il y avait un jeune acteur en particulier qui semblait être resté gravé dans sa mémoire et qui l'avait un jour salué de la main au studio Paramount. Il évalua donc la performance du jeune homme dans Dark City et découvrit qu'il avait également fait un autre film totalement méconnu. C'était un 16mm de Julius Caesar où Charlton Heston jouait Marc Antoine. De Mille s'en procura une copie et le visionna. Il était impressionné par l'amateurisme du film et la performance professionnelle d'Heston. Il décida donc d'offrir le rôle de Brad à Heston.

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Il était encore à New-York quand son agent, Herman Citron, lui téléphona pour lui apprendre que De Mille voulait qu'il joue dans son film sur le cirque. Heston devina tout de suite que ce pourrait être la chance de sa vie et comme il avait encore un contrat avec Hal B. Wallis et Paramount, il retourna immédiatement en Californie en emmenant Lydia avec lui. Heston trouva cette fois un logement plus respectable où Lydia serait confortablement installée pendant qu'il tournerait The Greatest Show on Earth même si, quand il partait dans des endroits comme Washington (DC)ou Sarasota4, elle venait généralement avec lui.

Faire ce film avec De Mille était une toute autre expérience en comparaison à Dark City. De Mille était le commandant en chef du cinéma : un homme qu'il fallait respecter, et parfois craindre. Il pouvait être aimable et attentionné à certains moments, et sans pitié à d'autres. Heston a dit :

"J'ai trouvé que De Mille était un homme tout à fait aimable, mais il pouvait être très strict. Il était sévère avec les directeurs assistants, les accessoiristes et l'équipe, mais il était courtois avec les acteurs à quelques très rares exceptions près.

Il appelait toujours les figurants « mesdames et messieurs », et s'il tournait un film en fin d'année qui nécessitait beaucoup de figurants, il se donnait du mal pour tourner des scènes avec les figurants une semaine avant noël pour qu'ils aient beaucoup de travail à cette période de l'année.

Je n'ai jamais été proche de lui, mais il a toujours été aimable avec moi."

 

Alors que Dark City était un film intimiste en noir et blanc à petit budget, The Greatest Show on Earth était un spectacle Technicolor avec de nombreuses scènes tournées dans le gigantesque chapiteau des Ringling Brothers. Le simple fait de tourner en Technicolor s'est avéré être un véritable défi pour Heston. Ce procédé requérait l'usage de puissantes lampes à arc qui inondaient la scène et éblouissaient les acteurs, surtout dans les scènes censées être en extérieur. Les yeux bleus d'Heston étaient très sensibles à la lumière et ils ont souvent souffert de ce traitement épuisant. Ce fut d'ailleurs le seul film d'Heston à employer le vieux procédé Technicolor trichrome qui nécessitait tant de lumière artificielle, mais comme Heston l'apprit plus tard, même les films en couleur5 dans lesquels il joua après nécessitaient de puissantes lampes à arc, irritant ses yeux durant les prochaines années à venir.

Heston découvrit que De Mille était un réalisateur qui donnait très peu d'indications à ses acteurs. Il considérait que l'interprète connaissait mieux que personne son travail, et il laissait une grande marge de manœuvre à ses artistes pour jouer leurs rôles. La plupart de ses indications venaient d'ailleurs directement du script. Il y avait rarement moins de quatre auteurs à collaborer à l'écriture du moindre scénario de film de De Mille. Ils travaillaient souvent des heures à essayer de simplement trouver ce que devait faire un acteur avec ses mains pour que, quand De Mille lisait le script, il n'ait pas à demander « et qu'est supposé faire cet homme avec ses mains pendant qu'il dit cette réplique ? »

Le travail d'Heston était alors d'étudier minutieusement le script, d'arriver à l'heure sur les lieux de tournage et d'apporter à son jeu la chimie particulière pour laquelle il avait été engagé. De Mille s'occupait plutôt de l'aspect technique en préparant les tournages grâce à des maquettes. Il faisait venir ses acteurs pour tourner la scène qu'il avait méticuleusement préparée, puis il passait une heure ou deux à faire des ajustements mineurs. Quand la caméra tournait, il s'attendait à ce que tout se passe sans encombre, et si quelqu'un ne faisait pas bien son travail, il l'incendiait sur-le-champ. Grâce à ses préparatifs complexes, il savait exactement ce qu'il voulait et le filmait en seulement quelques prises. Jamais il n'improvisait ou ne restait très longtemps sur une scène, contrairement à beaucoup de réalisateurs qui pensent qu'ils pourraient avoir besoin de quelque chose en plus à ajouter pendant le montage.

Pour beaucoup de débutants à l'écran, cela pouvait être une perspective intimidante, mais Heston gagna bien vite le respect et l'admiration du vieil homme. Heston, cependant, n'a jamais été assez proche du patriarche pour l'appeler autrement que « M. De Mille ». Peu y parvenaient à l'époque, ceci dit. En tout cas, il était certainement plus proche de lui que la plupart des gens, d'après Jesse Lasky Junior, l'un des auteurs réguliers de De Mille, qui dit que Charlton Heston était un des acteurs que De Mille aimait le plus.

Ce n'était pas un rôle particulièrement exigeant physiquement pour Heston, même si d'autres vedettes (comme Betty Hutton qui dut faire du trapèze) ont dû s'habituer à avoir des callosités aux mains. La seule scène réellement physique d'Heston était la fameuse séquence de l'accident de train, tournée sur un plateau de tournage de Paramount. Onze figurants et techniciens furent blessés lorsque les faux wagons firent des tonneaux. La scène exigeait d'Heston qu'il soit coincé sous les barreaux brisés d'une cage pour animaux. On avait utilisé des ridoirs (des outils permettant de lier bien fermement des tiges ou des fils de métal entre eux) pour tordre les débris sur lui, ce qui était très inconfortable.

Le simple fait d'être dans The Greatest Show on Earth était une sacrée expérience pour Heston, et il semble s'être immédiatement ajusté au jeu pour le cinéma. Du moins, ça n'a pas eu l'air trop difficile pour lui qui était jeune, enthousiaste et motivé. Ce n'est que dans les années à venir qu'il trouvera cela difficile, à force d'en découvrir un peu plus sur cet art.

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Le film une fois tourné, il devait faire preuve de patience et attendre la réaction du public et de la critique pour savoir s'il avait encore ses chances dans l'industrie du cinéma. Au mieux, ce film pouvait faire de lui une figure dominante du septième art ; au pire il pouvait retourner à New-York, ce qui ne lui aurait certainement pas été pénible.

Ainsi, The Greatest Show on Earth, sorti en 1952, a été un succès au box-office et atteignit rapidement la deuxième place dans le classement des plus gros succès de tous les temps du Variety. Il a également gagné un Best Picture Academy Award6 i. Charlton Heston, le petit nouveau, était certain d'avoir une chance de tirer quelque chose de ce nouveau succès.

De Mille reçut un jour une lettre d'une femme qui voulait féliciter le réalisateur d'avoir si bien saisi le goût authentique de la vie d'un cirque, et exprimer son admiration pour Hutton, Wilde et Stewart. Elle ajouta également dans sa lettre : « j'ai été impressionnée par le directeur de cirque, capable de si bien s'accorder avec les vrais acteurs. » Heston considère que c'est la meilleure remarque qu'il ait reçue à ce jour.

Toute l'attention et toutes les offres de rôle qu'il recevait maintenant ne suffisaient pourtant pas à inciter Heston à s'installer dans la communauté Hollywoodienne. Il avait encore du travail à New-York, donc lui et Lydia commencèrent à voyager entre les deux côtes, faisant des films à l'Ouest et du théâtre à l'Est.

Il avait de l'argent, maintenant, plus qu'il n'en n'avait jamais eu, et il le dépensa pour de bonnes raisons. Il acheta sept mille hectares d'une exploitation forestière autour du Russell Lake, dans le village reculé de St Helen, dans le Michigan, près de la frontière canadienne. C'était un endroit qu'il adorait, où il pouvait s'évader ; un lieu qui ravivait les souvenirs de ses plus belles années d'enfance. Ce fut sa première maison, et celle où il fut le plus heureux.

Il savait qu'il ne pourrait jamais vraiment rentrer chez lui, mais il ne pouvait pas s'empêcher d'essayer.

 

M. M.

A SUIVRE...

 

1 Cinéma inauguré le 18 mai 1927, il est classé monument historique-culturel de Los Angeles depuis le 5 juin 1968. Il est au 6928 Hollywood Boulevard, le long du Walk of Fame. C'est une des salles de cinéma les plus célèbres au monde

https://fr.wikipedia.org/wiki/Grauman%27s_Chinese_Theatre

2 « Dr Mille » dans la version originale, que j'interprète comme une faute de frappe plutôt que la dénomination « docteur Mille » qui ne serait pas pertinente.

3 J'ai préféré ici rétablir la syntaxe correcte plutôt que celle, hachée, typique d'un télégramme.

4 Deux villes de la côté Est des États-Unis, la première située dans le district de Columbia, la deuxième en Floride.

5 L'auteur parle de « single-strip colour film » (« film en couleur à une seule bande »). Le technicolor utilisait en fait la superposition de trois négatifs en noir et blanc (l'un sensible au rouge, l'autre au bleu, le dernier au vert) du film pour rendre toutes les couleurs du spectre visuel. La technique avançant, Technicolor fut peu à peu remplacé par des négatifs couleurs monopacks capables de saisir toutes les couleurs sur une seule pellicule, et c'est ce à quoi fait ici probablement référence l'auteur. (NDT)

 http://www.cinematheque.fr/article/760.html

6 Oscar du meilleur film, mais également un Best Story Award (récompense de la meilleure intrigue), il a été nominé pour le meilleur réalisateur, le meilleur montage, les meilleurs costumes et la meilleure couleur. L'obtention de cet oscar du meilleur film dans le contexte de l'époque pourrait cependant faire l'objet d'un article à part entière, mais je n'ai malheureusement pas encore trouvé de source francophone pour l'expliquer. Il a également reçu le Golden Globes du meilleur film dramatique et celui du meilleur réalisateur pour Cecil B. De Mille.

  https://fr.wikipedia.org/wiki/Sous_le_plus_grand_chapiteau_du_monde

 

 

 

 

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