Réalisé en 1965 par Franklin SCHAFFNER, « The war lord » (« Le seigneur de la guerre » en français) occupe une place à part dans la filmographie prestigieuse de Charlton HESTON. Il ne possède pas la notoriété des grands classiques qui ont fait la renommée de l’acteur (« Ben Hur », « El Cid », « Les dix commandements »), il n’a pas connu le succès de ces films cultes que sont « La planète des singes » et « Soleil vert », et, pourtant, grâce à l’émotion et la force lyrique qui se dégagent de cette improbable histoire d’amour entre un chevalier et une paysanne au cœur du moyen âge le plus sombre, il continue à fasciner les vrais admirateurs de l’artiste. En tout cas, ceux qui connaissent la « part d’ombre » chez ce comédien complexe s’y retrouvent parfaitement.
Car, si un film illustre bien le travail de Chuck en tant qu’aventurier du cinéma, c’est bien celui-ci ! Considérons les faits : en 1962, quand Heston prend connaissance de la pièce « The lovers » qui va inspirer le film, il est alors au sommet de sa gloire grâce aux films épiques précités et au triomphe des « 55 jours de Pékin ». Rien ne l’oblige donc à s’engager dans des choix risqués ou peu commerciaux, rien ne l’oblige à faire confiance à des scénaristes inconnus, rien, sinon un insatiable souci de perfection et son refus de la répétition d’une formule même gagnante. Lassé de cette image de héros mythique dont il pressent les limites, il va donc se lancer dans des projets différents sans jamais écouter son agent, Herman CITRON. « The war lord » ne sera que le premier d’une belle série qui fait des années 60, à notre avis, la période la plus riche de sa longue carrière.
« The war lord » fait partie des films de HESTON dont la conception et la réalisation ont été les plus difficiles. Fasciné par la pièce qu’il avait failli jouer à Broadway, il décide, dans un premier temps, d’en acheter les droits pour monter le projet et surtout obtenir un scénario qui soit filmable. Après avoir vainement tenté d’intéresser le producteur Sam BRONSTON à l’affaire, après le succès de « Pékin », il finit par obtenir l’accord d’Universal après près d’un an de démarches. John COLLIER, un écrivain peu connu, très peu familier des magouilles hollywoodiennes, finit par obtenir un scénario correct avec l’obligation, par le studio, de ne pas dépasser une durée de deux heures, ce qui s’avèrera crucial par la suite… L’excellent SCHAFFNER, bien connu de CHUCK pour l’avoir fait travailler au théâtre dans les années 45-50, n’est choisi qu’en été 1964 pour assurer la mise en scène. Quant au casting, il se met en place difficilement et CHUCK s’étonne que tant de bons comédiens passent à côté d’un sujet aussi original. Stanley BAKER est pressenti pour jouer Draco, le frère torturé de Chrysagon, Julie CHRISTIE pour jouer Bronwyn : tous deux se désistent ! HESTON et SCHAFFNER vont se rabattre sur l’excellent Richard BOONE pour jouer l’écuyer Bors et l’inconnue Rose-Mary FORSYTH, qui éclairera le film de sa beauté.
Pour des raisons budgétaires, Universal refuse de laisser la troupe filer en Angleterre, ce qui obligera l’équipe à choisir des marécages californiens qui feront parfaitement illusion. Mais c’est la coupe au bol, typiquement médiévale, choisie par CHUCK, qui fera grincer les dents des patrons d’Universal, soucieux de préserver le fameux sex-appeal du comédien, mais rien ne l’empêchera de rechercher à tout prix authenticité et réalisme, et le choix de cette coiffure peu glamour en fait partie. Les vrais problèmes commencent en fait après le tournage, en février 1965, quand Universal, qui souhaitait au départ un film d’aventures historique traditionnel, s’aperçoit qu’elle a laissé le champ libre à des trublions qui n’en ont fait qu’à leur tête, c’est-à-dire conter une histoire d’amour, de bruit et de fureur quasi shakespearienne, dans laquelle le côté épique est tout à fait secondaire. Furieux de voir leur projet initial détourné, les gens d’Universal vont donc insister sur les scènes de bataille pour en augmenter la durée à l’écran, au grand dam de HESTON qui souhaitait l’inverse. Ils vont couper dans les scènes intimistes et poétiques, malgré la fureur de SCHAFFNER, qui voulait préserver la magie de cette histoire située au cœur des ténèbres. HESTON, persuadé qu’il tient un de ses meilleurs rôles dans un de ses meilleurs films, va se battre contre toutes les décisions du studio, et surtout celle, cruciale, d’enlever le montage à SCHAFFNER, sous prétexte qu’il n’a pas livré, comme prévu, un négatif de deux heures ! Hélas, comme CHUCK le soulignera plus tard : « the one who pays the piper calls the tune ». En gros, ce sont les gens qui ont l’argent qui décident à la fin, point barre !
« The war lord », bien que charcuté au montage et amputé de plus de trente minutes, va néanmoins s’imposer au fil des ans comme un des plus beaux films de l’artiste. Succès très mitigé au box-office, il reste, malgré ce semi-échec commercial, un magnifique poème lyrique sur l’amour impossible qui unit un chevalier aigri par une vie de batailles et une jeune fille qui ne connaît du monde que son village et ses mœurs païennes : une vision pertinente de ce moyen-âge souvent édulcoré par Hollywood et qui apparaît enfin dans toute sa noirceur et ses angoisses religieuses. Illuminé par la photographie splendide de Russel METTY et le jeu shakespearien de CHUCK et d’une troupe formidable, il continue à nous hanter et nous émouvoir, même si on peut regretter de ne jamais connaître la version idéale que souhaitaient ses auteurs.
Auteur : Renaud
Script-girl : Cécile