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19 - « EL CID » ou l'acteur face à sa légende … (2ème partie)

 

 

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Il est étonnant de constater, près de soixante ans plus tard, qu’un projet aussi important que «  EL CID » sur le plan artistique et logistique, doté de surcroît d’un budget pharaonique pouvant faire craindre le pire en cas de dérapage technique ou humain, ait pu voir le jour avec autant d’approximations et de prises de risque ! Nous avons déjà évoqué dans la première partie, les soucis provoqués par l’absence d’un scénario digne de ce nom pendant la genèse du projet, mais voici qu’un deuxième obstacle de taille se présente à l’horizon, au moment où HESTON himself a enfin donné son accord et pris le bateau avec femme et enfant :

BRONSTON n’a toujours pas sa CHIMENE !

Or, pour des raisons à la fois commerciales et artistiques, le producteur a absolument besoin pour son « épic » d’une partenaire de poids ( si j’ose dire) pour son héros médiéval ; tout d’abord parce que le cinéma des sixties ne conçoit pas un film de cette ampleur sans que son acteur principal n’ait un « love interest », auquel cas le public féminin pourrait manquer à l’appel, ensuite parce que la légende du CID ne peut se matérialiser à l’écran sans le personnage de Dame CHIMENE, pièce essentielle de la tragédie.

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Ben BARZMAN ayant charpenté le scénario en partie autour de la pièce de CORNEILLE, donne effectivement une grande importance dramatique au personnage de CHIMENE, car son amour-haine pour RODRIGUE permet selon lui de donner une vraie humanité à ses deux héros ; il est pour lui impossible de sortir du carcan du film épique, pseudo-historique, sans ajouter une dimension quasi-shakespearienne à l’intrigue.

C’est d’ailleurs lui, et son influente épouse, qui vont insister auprès de BRONSTON pour qu’il persuade Sofia LOREN¹ d’accepter le rôle, en l’absence de toute candidate espagnole d’envergure suffisante ; et BRONSTON ne s’envole pour ROME qu’au moment ou HESTON arrive à MADRID, curieux timing quand on connait l’urgence du comédien à travailler le plus vite et le mieux possible, et ce premier retard n’arrangera pas les choses par la suite !

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(Sophia Loren Carlo Ponti)

Sofia est à l’époque en pleine gloire, ce dont va profiter son mari et producteur Carlo PONTI pour faire monter les enchères, et il sera un négociateur redoutable avec BRONSTON, qui a de toute façon besoin d’elle ! Compte tenu du récent succès de « LA CIOCIARA » de DE SICA, qui lui vaudra un Oscar de la meilleure actrice, LOREN ne peut que réclamer des conditions de contrat avantageuses, que l’on peut résumer ainsi  :

1) Cachet mirobolant,( on parlera d’1 million de dollars, chiffre sans doute exagéré) supérieur en tous cas à celui d’HESTON, qui en prendra d’ailleurs ombrage…

2) Temps de travail limité à 10 semaines

3) Présence obligatoire de sa propre équipe (maquilleuses, coiffeur, traducteur)

4) Droit de regard sur le script et toute modification jugée inopportune…

Ces conditions peuvent sembler délirantes, compte tenu du fait que le rôle de CHIMENE est quand même moins important que celui de RODRIGUE, présent lui dans la majorité des scènes, mais il faut savoir que les expériences hollywoodiennes de LOREN avaient été désastreuses auparavant, notamment un tournage orageux avec Cary GRANT, et elle ne souhaitait pas retrouver le même problème avec HESTON, bref, sa crainte de se retrouver courtisée et harcelée par une autre «  major star » d’HOLLYWOOD était bien réelle !

En fait, comme nous le savons tous, ces craintes vont s’avérer totalement injustifiées, et si des soucis vont très vite se présenter, ce ne sera pas sous la forme d’un conflit amoureux… car pendant que le « deal » se concrétise, HESTON bataille avec YORDAN pour améliorer le script, selon la formule «  mieux ne signifie pas bon ! » ce qui irrite profondément le pseudo «  screen-writer », persuadé de son côté que BARZMAN prend un peu ses aises avec l’aspect «  blockbuster » du projet, lui reprochant de trop développer le personnage de Dona URRACA ( Geneviève PAGE) au détriment de CHIMENE !

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(Geneviève Page)

On nage donc à ce moment en plein Odéon, car LOREN, depuis sa maison de ROME qu’elle ne quittera que pour le tournage, reçoit également le nouveau script et rentre dans une colère noire, car les changements apportés, selon elle, valorisent HESTON et diminuent considérablement sa présence à l’écran !

On notera avec amusement que ces conflits d’égos surdimensionnés se produisent donc AVANT que le moindre plan ait été tourné, ça promet !

Quant à celui qui doit tourner les plans en question, Tony MANN, il ne s’inquiète pas plus que ça, car il en a vu d’autres sur CIMARRON, qu’il vient de réaliser, où il a passé l’essentiel de son temps à empêcher Ann BAXTER et Maria SCHELL d’en venir aux mains ; MANN se concentre donc sur le choix des différents châteaux en Espagne ( c’est le cas de le dire) qui embelliront ce projet dans lequel il a toute confiance .

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LOREN va finalement mettre un bémol sur ses prétentions artistiques quand elle a vent d’un possible revirement de BRONSTON, qui la joue à l’intox en annonçant que Jeanne MOREAU est pressentie pour le rôle, ce qui va l’amener, sur les conseils de PONTI, à parapher illico le contrat et s’envoler dans toute sa gloire pour MADRID, où l’attendent une foule de paparazzi déchainés et un Chuck très calme, qui se demande, comme d’ailleurs vis-à-vis de toutes ses partenaires féminines, comment tout ça va pouvoir se passer !

A ce sujet, il est bon, quand même, d’éclaircir un peu les choses : si HESTON s’est souvent, du moins dans la première partie de sa carrière, montré difficile avec ses partenaires du beau sexe, ce n’est pas, contrairement à ce qui a souvent été écrit, par machisme ou par « autosuffisance virile », mais parce qu’il ne les trouvait pas suffisamment professionnelles et «  hard-working » ce qui n’est pas la même chose ; ainsi, il jugera dans ses «  JOURNALS » que LOREN est une  femme très estimable, d’une beauté tellement exceptionnelle qu’elle a peur que le moindre coup de vent puisse l’endommager ; peut-être est-elle davantage « star qu’actrice » ; il reconnaitra d’ailleurs s’être souvent trompé et avoir eu parfois un comportement désagréable,( notamment plus tard au sujet de Sofia), ce qui est tout à son honneur...

En attendant, le tournage peut enfin commencer le 14 novembre 1960, après des mois de conflits de basse-cour, avec pour le freiner, déjà quelques impératifs de taille dus, il faut le dire, à l’entourage de LOREN : Sofia en effet, refuse les horaires standards proposés par BRONSTON, à savoir 8h-17h, car elle ne peut se présenter avec tous ses atouts qu’à partir de 12h, et encore, AVANT maquillage, autant dire que le travail ne peut commencer qu’à partir de 14h ! à la grande colère d’HESTON, le producteur va donc se plier à ces exigences, et ce sera le début d’un conflit interne durable.

En effet, ce qui peut se comprendre, le Chuck est un «  early riser » un acteur qui aime travailler tôt, car c’est là qu’il pense être le plus vif, énergique et productif, et comme LOREN n’est pas prête avant le début de l’après-midi dans la majorité des cas, il doit supporter de longues heures d’attente, qui selon son biographe, l’excellent Michael MUNN, « sont parmi les rares choses qui le mettaient dans une vraie fureur, car il prenait les retards chroniques de sa co-star pour une marque de mépris envers l’équipe du film et lui-même » ;»

En fait, et on le sait bien maintenant, Sofia était une bonne personne fort appréciée de tous, mais le respect de son image était pour elle capital, d’où les nombreuses heures consacrées à sa toilette et sa coiffure, ce qui a peut-être été au détriment de son jeu ; elle va se montrer un peu raide et sans profondeur dans la première partie du film, pour lui donner davantage de substance et de la force dans la deuxième, un défaut que les détracteurs de l’œuvre ont souvent pris plaisir à souligner…

Description de cette image, également commentée ci-après

(Raf Vallone)

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La tension et disons-le, l’incompréhension entre les deux stars vont contribuer à un climat pesant et désagréable sur le plateau, car autant HESTON prend plaisir à travailler avec des acteurs qui connaissent leur texte et arrivent à l’heure, et dans ce domaine il n’aura pas à se plaindre avec les excellents Raf VALLONE, Gary RAYMOND et John FRASER, autant il n’arrive pas à « jouer la comédie » au sens strict avec Sofia, ce qui va rendre inefficaces la plupart de leurs scènes d’amour, élément pourtant crucial de l’ouvrage ! HESTON va d’ailleurs changer d’avis peu à peu au sujet de MANN, auquel il reproche très vite de ne pas diriger la compagnie d’une main assez ferme, et surtout de laisser Sofia faire à peu près ce qu’elle veut, quand elle veut ! le point culminant de cette incompréhension mutuelle va être atteint lors de la scène, pourtant fort belle à l’écran, de la mort du CID, rendue efficace uniquement grâce au savoir-faire de MANN, qui va alterner les gros plans de chacun des artistes et engager des doublures pour les champ-contrechamp, car à ce moment précis, même si les choses vont s’arranger en fin de tournage, les deux acteurs ne se parlent plus !

Avec le recul, on pourrait en déduire que la cause de cette «  zero chemistry » entre les comédiens ,préjudiciable à l’œuvre, leur est totalement imputable, mais on peut nuancer cette impression maintenant ; il semble surtout que MANN, dans son désir avoué de «  faire le plus grand film historique de tous les temps » ait consacré davantage d’énergie à l’action et au Mythe qu’à la passion amoureuse, ne prenant pas le temps de mettre en valeur leurs scènes, habitué qu’il était à traiter davantage les rapports entre hommes dans ses westerns ; c’est d’ailleurs un reproche que lui fera HESTON plus tard, frustré d’être passé à côté d’un chef-d’œuvre, parce que, selon lui, «  ce film était la meilleure histoire, potentiellement, qu’un film épique puisse proposer, mais Tony, qui était un homme décent et un bon metteur en scène, a commis de terribles erreurs et est passé à côté d’une occasion incroyable de faire le meilleur film historique de tous le temps ; l’oeuvre a trop de personnages, et trop de «  sous-intrigues » qui nuisent à la force originelle du sujet, et si MANN avait concentré ses efforts sur les personnages principaux plutôt que sur les scènes d’action, il aurait fait mieux que ce qui est un très beau film, mais pas un grand film »

Même si on peut approuver en partie ce jugement plutôt dur, qui peut se justifier en raison des évènements à venir que nous dévoilerons dans une troisième ( et dernière !) partie, on doit aussi dans ce cas, rendre en partie responsables des difficultés qui ont miné le tournage, à la fois Sofia et le Chuck lui-même , car s’il va tenir dans ce film un de ses plus beaux rôles et réellement donner à son RODRIGO une dimension mythique, il aura aussi par son attitude intolérante, compromis les chances de donner aussi une «  dimension humaine » supplémentaire à son personnage, de par le manque de chaleur et de sincérité donné à la relation RODRIGUE-CHIMENE …

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Et il sera conscient de ses erreurs passées quand il déclarera à Michael MUNN :

«  Comme disait Spencer TRACY, j’arrive au travail à l’heure, je connais mon texte et j’essaie de ne pas me prendre les pieds dans le décor ; c’est une sorte de névrose chez moi, je ne supporte pas les gens qui arrivent en retard, et ma réaction à ce sujet est parfois excessive, ce qui n’empêche pas ma névrose d’être meilleur marché que la leur ! mais je suis devenu plus tolérant depuis que j’ai travaillé avec Sofia, car beaucoup d’actrices sont en retard sur le plateau parce que les pressions sur leur physique sont supérieures à celles des hommes, ainsi que leurs angoisses, et cela se manifeste par une préoccupation excessive pour leur image, ce qui peut se comprendre, j’étais simplement beaucoup moins tolérant à l’époque, que maintenant »

On peut imaginer Sofia lisant ces lignes et disant «  Ok, Chuck, je pardonne »

ET c’est ce qu’elle a fait .

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A SUIVRE …

A CECILE pixiz-07-12-2019-14-08-17.jpg

 

 

 

 

 

 

 

¹ - Sofia : son prénom à l'état-civil, ou Sophia : son prénom au cinéma.

 

Commentaires

  • comme toujours, passionnant, émouvant, drôle, on ne sen lasse de ce grain de sel cher Renaud.....
    merci...merci...merci.....
    sylvia

  • Merci Sylvia pour ton joli commentaire à Renaud. Il le mérite. Oui, il a su mettre son humour qui n'appartient qu'à lui pour nous parler de ce film magnifique qu'était EL CID. Renaud a une jolie plume pour décrire les affres et les bonheurs de tournages. Rien n'était simple, avec un Chuck exigeant - ce en quoi on ne peut pas toujours lui donner tort. La Loren capricieuse mais pour laquelle aujourd'hui nous avons la même indulgence que Chuck a eu à son égard, plus tard, mais mieux vaut tard que jamais. Bientôt je vais publier la suite et fin de cet opus....Gros bisous.

  • Notre quelque peu "psycho-rigide" Chuck entrainé dans un tourbillon de priorités féminines ! C'est tout juste si la terre n'a pas tremblé dans la Ste Espagne !
    Merci Renaud et bravo !

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