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8 - " Charlton Heston une biographie " de Michael MUNN - (traduction par Adrien P. )

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New York

 

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L'unique robinet ne faisait couler que de l'eau froide. Il n'y avait que très peu de place. Le loyer coûtait quarante dollars par mois, mais les cafards étaient fournis avec l'appartement. Ça n'avait pas meilleure allure vu de l'extérieur, situé au-dessus d'un magasin à la peinture bleue-sale et écaillée.

Au moins, ici, dans la quarante-cinquième rue de ce qu'on appelle judicieusement la cuisine de l'Enfer à New-York1, Charlton et Lydia pouvaient vivre près du quartier des théâtres, et c'était tout ce qui comptait : être près de là où il y avait du travail. Seul problème : ils ne trouvaient pas de travail... mais ils ne se sont pas laissés abattre.

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Comme le dit Lydia, « c'était, disons, pittoresque ! On ne remarque pas si la vie est dure ou non. Quand on est jeune, on aime la vie et on suit le rythme. »

Regardant vers le sud sur Ninth Avenue depuis la 49th Street

Hell's Kitchen (quartier Manhattan)

Ils avaient tous les deux 22 ans et ils étaient heureux d'être à New-York, d'être à portée de marche des bureaux de casting, d'être vu par des agents et des directeurs de casting, mais seulement pour s'entendre dire « Ne nous appelle pas, petit... » et d'être presque ruinés sans encore mourir de faim. Ils mangeaient car Lydia réussissait à décrocher des emplois de mannequin. Charlton continuait ses tournées, s'habituant à ce qu'on lui ferme la porte au nez. Il n'a cependant jamais abandonné. Il savait qu'il y avait un rôle qui l'attendait au théâtre, quelque part, et donc quand David Bradley vint le trouver avec l'idée de filmer MacBeth et qu'il offrit à Heston le rôle principal, Charlton refusa. Il aida quand même Bradley à planifier le tournage ainsi qu'à concevoir les accessoires et à esquisser les costumes.

Il s'avéra que ce fut la carrière d'actrice de Lydia qui commença à décoller. Charlton devint donc modèle. Il fut recruté par la Arts Students League2 pour poser nu dans les cours de modèle vivant en échange d'un dollar et demi par heure, plus du thé et des cookies gratuits.

Charlton s'en souvient avec humour :

« À l'époque, les mannequins masculins pour les étudiants en art devaient porter des petits slips de sport. Ma femme s'en sortait très bien en tant qu'actrice alors que ma carrière n'avait pas encore commencé, et elle me fit un petit slip gris en velours.»

 

Tandis que Lydia continuait à travailler, Charlton continuait à être sans emploi. Il aurait dû être complètement démoralisé, mais il était encore très optimiste. Il continua de chercher, continua à voir se fermer des portes au nez. Il continua de s'occuper. Il avait dessiné pendant une grande partie de sa vie, et donc pendant que Lydia rencontrait le succès dans Detective Story, il restait à la maison à dessiner. Il montait parfois au Payne Whitney Hospital où un ami, Jolly West, travaillait en section psychiatrique, et quand il était de garde de nuit, ils jouaient ensemble aux échecs.

Jolly West, qui finira par être un scientifique reconnu, était un des amis de Charlton durant ces années difficiles. Ce sont ces amis-là qui restèrent ses amis envers et contre tout. La plupart étaient dans la même galère : sans emploi, vivant dans de petits appartements, à élever des cafards. Pour eux, il était Chuck Heston, Chuck étant une altération américaine de Charlie, et c'était ce qui ressemblait le plus à un diminutif de Charlton. Au moins, personne ne pouvait confondre Chuck et Charlotte !

Le premier noël de Charlton et de Lydia dans cet appartement à l'eau froide ne fut pas vraiment extraordinaire. Ils n'avaient tout simplement pas assez d'argent pour s'offrir de superbes cadeaux. Chuck a cependant réussi à amasser suffisamment d'argent pour acheter à Lydia un chapeau vert en laine. Ce n'était pas grand-chose, mais elle l'adorait parce qu'il l'avait acheté pour elle.

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Le nouvel an leur offrit enfin du réconfort. Ce n'était pas Broadway, mais c'était un travail d'acteur. Ils se retrouvèrent à Asheville, en Caroline du Nord³, dans une pièce donnée au Thomas Wolfe Memorial Theater. Ils avaient prévu de ne jouer qu'une seule pièce, gagner un peu d'argent puis repartir à la conquête de Broadway, mais ils découvrirent à Asheville une toute autre attitude vis-à-vis des nouveaux arrivants. On écoutait et on respectait leurs avis, et ils y devinrent co-directeurs du Thomas Wolfe Memorial Theater en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Ils restèrent donc quelques temps à jouer, diriger et même donner des cours. Ils firent six pièces au total, parmi lesquelles Kiss and Tell, State of the Union et leur dernière pièce là-bas, The Glass Menagerie.

Ils retournèrent à New-York pendant l'automne de 1947, pleins de confiance et d'optimisme indéfectibles. Peu de temps après, Charlton parvint à être auditionné pour la prestigieuse Katharine Cornell Company qui montait à ce moment-là Antoine et Cléopâtre au Martha Beck Theater à Broadway. Il fut remarqué par Guthrie McClintic, l'époux de Cornell, qui dirigeait la pièce. Charlton lut les répliques de Proculeius4 dans le bureau de McClintic dans le RCA Building5. Il obtint le rôle, mais il n'eut pas l'impression que ce fut grâce à la moindre démonstration de talent pour le jeu d'acteur.

 

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Première apparition sur scène de Charlton Heston dans "Antoine et Cléopâtre" en 1947 dans le rôle de Proculeius (je l'ai désigné sur la photo (personnage 1er à gauche sur les marches)

« Je suis sûr que j'ai décroché le rôle parce que je mesure plus d'un mètre quatre-vingt-dix et que miss Cornell, comme la plupart des femmes de grande taille, aime être entourée d'acteurs de haute stature, » dit-il. Il eut le rôle néanmoins, et il avait hâte de sortir du hall de marbre pour appeler Lydia et lui apprendre la bonne nouvelle. La pièce rencontra un succès spectaculaire et fut jouée pendant sept mois, un record pour Antoine et Cléopâtre (Cette pièce est généralement considérée comme parmi les plus difficiles de Shakespeare à adapter à la scène).6

Charlton ne l'apprit pas tout de suite, mais il faisait mal tous les soirs à Katharine Cornell qui interprétait Cléopâtre. Dans la scène où il l'enlève de son mausolée7, il devait la serrer contre sa hanche, et à chaque fois qu'il le faisait, son épée la frappait violemment à la cuisse. Il n'y avait pas pris garde jusqu'à ce qu'un soir juste avant la levée du rideau, le metteur en scène lui ordonna de rejoindre miss Cornell dans son dressing. Il se figea un instant, s'imaginant qu'il allait être renvoyé pour une raison ou pour une autre. Il se raisonna ensuite et se dit qu'elle ne renverrait pas elle-même qui que ce soit. Il s'imagina qu'elle allait peut-être tenter de le séduire. Il commença à transpirer.

Il arriva dans sa loge et la trouva, sublime dans une robe de soie rouge. « Chuck, je veux te montrer quelque chose », dit-elle. Il déglutit tandis qu'elle ouvrait sa robe et dévoilait une énorme ecchymose sur sa cuisse. « Tous les soirs, quand tu m'enlèves dans la scène du mausolée, ton épée me tape. Penses-tu que tu pourrais la retirer pour cette scène ? » Heston eut un soupir de soulagement, assura qu'il pouvait puis se retira. Quand la pièce cessa d'être jouée, Chuck fut de nouveau un acteur sans emploi, et ça n'a pas fait de mal que la télévision vienne à lui.

C'était alors l'âge d'or de la télévision en direct8, quand les pièces étaient jouées pour un large public, mettant la même pression aux acteurs et donnant le même sentiment d'accomplissement que le théâtre. Mais la télévision ne dupait pas les stars du théâtre parce que ça ne payait pas assez, et les stars de cinéma n'avaient pas le droit de passer à la télévision9. La télévision en direct se reposait alors surtout sur les jeunes talents, tant pour les acteurs que pour les metteurs en scène. Il y eut tout une génération de futures stars du cinéma et de réalisateurs qui se firent les dents sur la télévision en direct, et Charlton Heston en fit partie.

Il décrocha un petit rôle dans Julius Caesar, une production dans laquelle les producteurs étaient déterminés à ne prendre que des acteurs ayant déjà joué Shakespeare à Broadway. Cela limita en fait leur choix puisqu’aucun grand nom du théâtre ne se serait abaissé à jouer à la télévision, ce qui fit que tous les acteurs étaient des inconnus comme Charlton Heston : ils avaient réussi des choses mais leurs noms n'étaient pas encore trop imposants.

LES DEBUTS D'UN JEUNE ACTEUR PROMETTEUR

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Photos extraites de ANTONY AND CLEOPATRA (1947) et JULIUS CAESAR (1950)

Pendant une répétition, l'acteur qui jouait Brutus dut retourner chez lui à cause d'un mal de gorge. Le réalisateur demanda un volontaire pour lire les répliques de Brutus pour la journée pour permettre de répéter la scène de l'oraison funèbre. Charlton n'était pas du genre à décliner une offre — n'importe quelle offre — et il se proposa pour jouer Brutus pour la journée.

Il enchaîna avec une saison estivale au Straw hat Theater de Mt Gretna, Pennsylvania, puis il alla à Boston à noël pour être la doublure du rôle principal de Leaf and Bough. Lydia était retournée travailler à New York. Elle lui envoya une ceinture et ils fêtèrent noël chacun de son côté cette année-là. La pièce était censée aller à Broadway, mais il y avait quelques soucis avec l'acteur principal. L'auteur invita Charlton pour boire un verre et, à son grand étonnement et son grand plaisir, lui dit « Peux-tu reprendre ce rôle dès demain ? » Il devint l'acteur principal le lendemain et le resta jusqu'à Broadway. Ce fut un moment important pour Heston, quand il grimpa sur la scène du Broadway's Cort Theater pour jouer le rôle principal.

Les sommets vertigineux qu'atteignent les vedettes de Broadway ne font cependant pas long-feu : la pièce fut un échec et fut interrompu après trois séances.

Cinq heures trente, heure de New-York. La lumière des caméras s'allume10. Charlton Heston se lance dans le rôle de Rochester dans Jane Eyre, diffusé en direct de la côte Est au centre Ouest. S'il foire une réplique, si le directeur Franklin Schaffner, assis à la cabine de contrôle, passe sur la mauvaise caméra, quarante millions de personnes le verront à la télévision. La côte Ouest reçoit deux heures plus tard ce que la tendance appelait la « hot line ». Quelque part dans sa maison à Hollywood, Hal B. Wallis regarda cette production de CBS Studio One, et il fut particulièrement impressionné par le grand garçon maigre qui jouait Rochester.

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Pour Charlton Heston, Frank Schaffner, le reste des acteurs et de l'équipe de retour à New-York, le moment où la lumière rouge des caméras s'éteint et que la pièce est terminée est un instant exaltant et gratifiant. Ça en a valu la peine et on reçoit des félicitations de partout. Chuck est particulièrement ravi : c'est la première grosse production télévisée dans laquelle il jouait le rôle principal. CBS était anxieux à l'idée de lui donner plus, et il dut ensuite se préparer à jouer Heathcliff dans Wuthering Heights11. Il continua à jouer dans différentes productions de Studio One pendant un an et demi, parmi lesquelles The Taming of the Shrew12 où il incarnait Petrucio, et Macbeth dans le rôle-titre en compagnie de Judith Anderson, mis en scène encore une fois par Schaffner. 

C'est une période enivrante pour Charlton. La couverture médiatique était quelque chose dont il avait à peine osé rêver. Jane Eyre donna naissance au début d'une longue collaboration et une amitié avec Frank Schaffner qui donna quelques-uns des meilleurs films d'Heston.

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Il dit :

" Je pense que nous étions tous les deux les chanceux diplômés de l'Âge d'Or de la télévision américaine, quand les émissions live comme Studio One et Playhouse 90 tournaient et que la plupart des gens percevaient comme le pinacle créatif de la télévision dans notre pays. Frank mit en scène beaucoup de ces productions, et en l'espace de 16 mois passés à New-York, j'avais joué Macbeth, Les Hauts de Hurlevent, Of Human bondage13 et Jane Eyre. C'était un apprentissage remarquable pour un jeune acteur".

Malgré tout son enthousiasme et son optimisme en tant qu'apprenti, il devait relâcher toute la frustration qui vient avec le travail, et Lydia était celle qui la recevait. Rétrospectivement, Il ne s'excuse de rien. En effet, c'est toujours Lydia qui doit composer avec ses névroses14 quand il essaye de régler ses problèmes. Il reconnaît cependant que sans elle, il n'aurait jamais pu surmonter les problèmes que rencontrent un jeune acteur en difficulté.

"Je pense que ça fait partie du travail de n'importe quelle épouse ou mari. Si les choses vont mal, que l'on assemble des voitures, que l'on dessine des plans de pont, que l'on dirige des symphonies ou que l'on joue avant-centre dans une équipe de football américain, notre compagnon devrait toujours être là pour aider.

Une des principales responsabilités de Lydia dans ma vie a certainement été de m'aider dans mon travail. Elle a sans doute été le pilier central de ma vie. Elle a été là, à mes côtés pour me donner son soutien moral. Je ne sais pas ce qu'aurait donné ma vie ou ma carrière si j'étais resté célibataire, mais elle aurait été probablement solitaire, décevante et pleine d'anxiété."

 

A SUIVRE ...

 

1 Hell's Kitchen, Clinton, ou encore Midtown West sont les différents noms qu'on donne à un quartier de l'arrondissement de Manhattan à New-York. Différentes étymologies ont été proposées, mais il suffit de retenir que le quartier avait la réputation d'être malfamé et dangereux.

2 Une école des Beaux-Arts de New-York

³ Ou plutôt Asheville. Un voyage de 1 109 kilomètres.

4 Un personnage secondaire de la pièce, ami d'Octave Auguste.

5  L'ancien nom du Comcast building. Nommé RCA Building de 1933 à 1988, puis le GE Building jusqu'en 2015, c'est l'un des gratte-ciels les plus hauts et les plus célèbres de la ville. On y trouve le siège et la plupart des studios de la NBC (un des plus gros groupes audiovisuels du pays), ainsi qu'un restaurant et une salle de congrès à son sommet. C'est encore aujourd'hui le huitième bâtiment le plus haut de la ville.

6 En plus d'être longue (même pour Shakespeare), la pièce met en scène 34 personnages (sans compter les figurants). Certaines actions se passent à Rome, d'autres à Alexandrie, d'autres encore à Messine ou en Syrie. Scène en intérieur ou en extérieur, changement de décor entre les scènes dans un même acte... Ce ne sont là que quelques unes des difficultés que posent cette pièce pour l'adaptation sur scène.

7 Acte V, Scène 2.

8 Au début de la télévision, la diffusion en direct était en fait le mode de tournage le plus courant tant les moyens d'enregistrement étaient alors médiocres.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Diffusion_en_direct

9 Les années 50 sont une période de crise pour Hollywood et le cinéma. Deux raisons à cela : le Maccarthysme et sa chasse aux communistes créent un climat de suspicion et met à la porte certaines stars de l'industrie (comme Charlie Chaplin). La deuxième raison est l'arrivée de la télévision qui, bien qu'à ses balbutiements à l'époque, menace de pouvoir remplacer le cinéma au fil des années. Il s'installe donc une réelle rivalité entre l'industrie du cinéma et celle de la télévision.

http://www.lecinema.free.fr/htm/par_annee/annees50.htmhttps://

www.cineclubdecaen.com/analyse/cinemaamericaindesannees5060.htm

 

10 Ce qui signifie qu'elles enregistrent.

11 Les Hauts de Hurlevent, roman d'Emily Brontë.

12 La Mégère apprivoisée, pièce de Shakespeare.

13 Servitude humaine, roman du britannique William Somerset Maugham.

14 Des névroses qui n'ont probablement encore rien à voir avec Alzheimer. Il ne sera diagnostiquer que quelques années plus tard.

Commentaires

  • TRÈS bonne traduction du travail plein d'humour et d'affection de Michael MUNN pour le jeune couple HESTON debutant dans la vie professionnelle avec pour toutes armes sa passion et l'energie de la jeunesse..on peut comparer le ton chaleureux et plein de verve de Munn avec l'approche plus froide et sans affect de Mr Eliot sur le même sujet, et se faire une opinion sur l'apport de ces deux biographes à la comprehension du "mythe" HESTON.
    Tres bon travail Adrien, keep on!

  • Merci beaucoup ! ça fait plaisir de voir son travail apprécié et lu.

  • Merci pour Adrien cher Renaud. C'est bien d'encourager un jeune homme qui fait un travail formidable pour nous restituer la vie de ce grand acteur, tout au moins jusqu'en 1986, mais cela nous donne un aperçu de ce que furent ses débuts.
    Combien je serais heureuse qu'il y ait plus de personnes qui laissent des commentaires ici.
    C'est quand-même frustrant, de fournir autant de travail et ne pas avoir en retour quelques mots encourageants. Heureusement; que malgré tout, les amis fidèles, laissent trace de leur passage sur le blog (dont vous êtes) et cela fait chaud au coeur. Merci et bises à vous.

  • Un grand remerciement à Adrien, c'est une belle et bonne traduction, riche et très humaine .

  • Une fois de plus c'est passionnant, c'est un feuilleton dont on attend la suite chaque semaine. Le style est agréable à lire et rend bien les émotions. Merci Adrien

  • Merci mes amis. Je suis fière de mon Adrien, qui contribue à découvrir Charlton Heston, autrement qu'à travers de photos vues et revues ici et là..
    Comme vous, je suis ce feuilleton passionnant et je n'ai qu'une hâte, découvrir la suite.

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