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1 - LA SOIF DU MAL : LA RENCONTRE DE DEUX GRANDS

 

Comme beaucoup de chefs-d’œuvre du cinéma, Touch of Evil d’Orson Welles est le fruit de rencontres inattendues, de circonstances plus ou moins favorables, de compromis et d’affrontements divers qui, par miracle, et par l’accumulation de coups de chances, permettent à tel ou tel film de justifier cette appellation. Un chef-d’œuvre ne se planifie pas à l’avance, la méthode et la raison n’y sont pas pour l’essentiel.

Quand, en 1956, Charlton Heston reçoit le script de Touch of Evil, parmi bien d’autres scenarii (car il est devenu, grâce à The Ten Comandments un acteur très demandé), il ne voit d’abord, dans cette histoire, qu’un thriller un peu banal et routinier, mais se dit, à l’instinct, qu’il y a là la matière d’une bonne série B. Sa première initiative est donc d’appeler Universal pour s’enquérir de son futur metteur en scène. On lui répond qu’il n’y en a pas encore, mais qu’Orson Welles, en pleine panade financière à l’époque, et prêt à jouer n’importe quoi, y tiendra le rôle d’un flic pourri. C’est là que Chuck propose, innocemment, de confier la mise en scène à Welles car, dit-il : « c’est aussi un sacré bon director ». S’ensuit, d’après les écrits de Heston, un long silence téléphonique, après lequel, les producteurs acceptent, avec des réserves, de confier le travail à Welles. Heston dira plus tard, toujours étonné : « c’était un peu comme si j’avais proposé que ma grand-mère mette en scène le film ».

Il faut dire qu’à l’époque, Welles a la réputation d’être un metteur en scène instable et capricieux (vrai) et dépensier (faux). D’ailleurs, Heston, qui restera son ami jusqu’à sa mort, malgré quelques divergences politiques et autres, l’a toujours défendu sur ce point : « Welles était très rapide sur le tournage, faisant beaucoup répéter les acteurs avant les prises, mais pouvant filmer douze pages de dialogues en avance sur le plan de travail, là où d’autres metteurs auraient pris deux jours de plus. ».

D’une banale histoire policière, Welles, de par son habileté de scénariste, va tirer un mélodrame noir sur la corruption, la déchéance d’un fonctionnaire au départ intègre (joué par Welles) et le combat d’un policier mexicain (Heston), mal vu par ses collègues américains, et pourtant déterminé à faire toute la vérité sur le meurtre d’un citoyen américain et de sa maîtresse. Grâce à sa drôlerie et ses inventions sur le plateau, ainsi que sa faculté à faire venir, par amitié, quelques-uns de ses meilleurs copains, dont certains aux trognes fabuleuses (Dietrich, Cotten, Calleia, Tamiroff), il va transformer ce polar classique en parabole sur la frontière très fine qui sépare le bien du mal, et ça ne va pas plaire du tout à l’Universal.

Quid de Chuck Heston dans le rôle du mexicain Vargas ? Il semblerait qu’au début, pour captiver l’acteur, Welles lui ait fait croire qu’il avait le premier rôle, et que le flic corrompu Quinlan n’était qu’un faire-valoir… On peut douter de cette supposition, car le personnage de Vargas n’est absolument pas éclipsé par Welles, et la rencontre des deux comédiens donne lieu à des échanges explosifs qui feront date dans l’histoire du cinéma. Comment oublier la fameuse scène où Vargas découvre que Quinlan a planqué de la dynamite pour accuser un jeune mexicain, ou cette réplique fabuleuse de Heston à Welles : « le rôle de policier n’est facile que dans un état policier. »

Contrairement à certains critiques qui prétendent que Heston n’est pas à sa place dans ce rôle, on ne peut qu’admirer la retenue et l’intelligence de jeu de Chuck, qui sait se mettre en retrait et subir le déluge verbal de Welles, sans jamais imposer son personnage, mais en sachant écouter et regarder, pour mieux donner du poids à toutes ses répliques. On connaît la suite : bien que réalisé dans les délais, La Soif du Mal deviendra un film maudit, car charcuté par ses producteurs, qui profiteront du laisser-aller coupable de Welles, parti faire des repérages pour son Don Quichotte, pour remonter le film et même tourner des séquences additionnelles ! Chuck Heston, fidèle en amitié, fera tout pour éviter le désastre, mais tenu par son contrat, devra s’exécuter, ce qui n’entachera pas son amitié avec Welles. Les deux hommes feront même de nombreux projets ensemble, et Welles se souviendra de Chuck comme : « avec Gielgud, l’acteur le plus gentil et travailleur que j’ai pu rencontrer. »

Même si Welles n’a pu monter et finir le film comme il le souhaitait, Touch of Evil n’est pas seulement un grand film de série B : c’est un diamant noir dans la production hollywoodienne de cette époque, illuminé par l’incroyable photo de Russel Metty, inclassable et riche de sens… Un chef d’œuvre ? Mais oui, bien sûr !

Auteur : Renaud
Script-girl : Cécile

 

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Commentaires

  • magnifique analyse cher Renaud. .merci.
    je rajouterai la sublime musique de Henry mancini qui parachève l'impression d' étrangeté de ce "chef foeuvre" qui nous caresse pas dans le sens du poil.. ..

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