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Charlton Heston dans le rôle de Will Penny, une de ses interprétations préférées
Dans les premiers mois de l’année 1967, Charlton Heston se trouve à un moment relativement délicat de sa carrière. Après avoir connu les plus grands succès avec Ben Hur, El Cid et récemment Peking, il s’est dirigé plus ou moins consciemment vers des sujets plus difficiles et personnels et qui n’ont pas forcément connu le succès escompté : Diamond Head, Dundee, The Ecstasy and the Agony et The war Lord. Même Khartum, énorme production, a plus ou moins déçu aux USA, à son grand désarroi car le sujet lui était cher. Son ami et producteur, Walter Seltzer, le soutient dans toutes ses entreprises plus ou moins hardies, mais souhaite quand même le voir renouer avec la réussite…
C’est dans ce contexte tendu que Chuck trouve un jour, sur son bureau, le scénario d’un western intimiste écrit par un inconnu : Tom Gries. Il trouve le script tellement beau et émouvant qu’une fois de plus, voyant là la base d’un très beau western, il renonce à jouer la sécurité et s’aventure dans un projet que tout le monde estime périlleux. Il faut dire qu’au début des années 60, le western n’est plus le genre « bankable » qu’il a été jusqu’aux années 50, malgré l’apparition de la télévision : le western italien, avec, notamment, la trilogie de Sergio Leone, est en train d’envahir le marché, et les productions plus traditionnelles, comme John Wayne en fait encore, ne suffisent plus à assurer sa rentabilité commerciale. Bref, l’Ouest n’est plus ce qu’il était, et, en regard des changements géopolitiques de l’époque, notamment la guerre du Vietnam, qui renvoie les américains à leur culpabilité au sujet des indiens, beaucoup de cinéastes comme Penn, Peckinpah et Altman optent pour un western plus moderne, visant à remettre en cause la mythologie classique du genre.
Cath et Will, un amour hélas voué à l’échec
Le scénario de Will Penny s’inscrit plus ou moins dans cette démarche, mais avec plus d’humanisme et un souci de documentation supérieur. C’est l’histoire d’un vieux cow-boy sans le sou, et surtout sans avenir, qui voit sa vie bouleversée par la rencontre d’une femme et de son enfant en voyage dans l’Ouest, et qui croit un moment pouvoir saisir la chance d’une nouvelle vie, avant de se raviser et de repartir vers sa solitude. Sans « happy end », ni même une lueur d’espoir, le scenario de Gries aborde cet anti-héros, du moins ce « héros ordinaire » comme un symbole des laissés pour compte, des « beautiful losers » que l’Ouest américain a pu générer, et lui rend un hommage sincère et sans fausses notes. On comprend donc l’emballement de Chuck, qui n’a que faire, à l’époque, de jouer les super-héros infaillibles et qui ne se soucie pas plus de son image qu’il ne l’a fait pour The war lord, puisqu’il va choisir de jouer un homme plus âgé que lui, mal rasé, moustachu, illettré et maladroit en amour, mais ô combien attachant, et plus proche de nous que les cow-boys et justiciers implacables dont le western a souvent fait ses choux gras. Le génie de l’acteur va, dans ce film, totalement s’exprimer, car libéré des conventions du genre et de quelconques obligations envers son public.
Mais revenons à la réalisation de Will Penny. Si tôt le scenario lu et approuvé, Chuck se met à la recherche d’un metteur en scène pour porter cette histoire admirable. Il pense à ses amis William Wyler, George Stevens, et même à John Huston, mais son ami Seltzer va lui administrer une bonne douche froide en lui apprenant que le scénariste ne vendra pas les droits s’il n’est pas choisi comme « director ». Stupéfaction de Chuck, qui s’enquiert de son CV, et apprend que Tom Gries n’a, jusqu’ici, fait que de la télé… C’est là qu’on mesure toute l’audace et la détermination du comédien, puisque, sans réfléchir plus avant, il va immédiatement accepter le « deal » et prendre le risque d’engager, lui, la superstar, un metteur en scène totalement inconnu et sans références sérieuses ! Du jamais vu à cette époque, même de la part de vedettes progressistes comme Brando ou Newman.
Joan Hackett dans le rôle de Catherine et Jon Gries, fils du metteur en scène, dans le rôle de Horace
Et ce choix, Heston ne le regrettera pas car Tom Gries, disparu trop tôt, en 1977, se révèlera un metteur en scène compétent et plein d’idées, à tel point que Chuck fera encore deux films avec lui : Number One et The Hawaians, le premier étant d’ailleurs tout aussi remarquable que Will Penny. Le choix crucial de la vedette féminine s’avèrera également très difficile ; bien que le personnage de Catherine, cette femme mal mariée en route vers l’inconnu, méritante et courageuse, est certainement un des plus beaux personnages féminins que le western des années 60 nous ait donné à voir. Beaucoup de stars de l’époque, dont Lee Remick, seront rebutées par la rudesse du sujet, et le rôle reviendra à l’inconnue Joan Hackett, dont la composition sera magnifique. Les personnages de cow-boys qui donnent au film son cachet et sa vérité, seront joués par des comédiens jeunes, comme Lee Majors et Anthony Zerbe, dont la performance plaira tellement à Chuck qu’il l’imposera plus tard pour The Omega man. Le formidable Donald Pleasence, excentrique comédien britannique, jouera le pasteur Quint, véritable démon du film. Il regrettera plus tard que plusieurs de ses scènes aient été coupées pour assurer au film un rythme plus vif et plus accrocheur pour le public.
Donald Pleasence dans le rôle de Preacher Quint, un chef de bande particulièrement illuminé…
Mais le public, hélas, ne se déplacera pas plus pour ce film que pour les précédentes sorties de Chuck. Il se déplacera même moins, car le film va être très mal distribué par Paramount, qui, dès les « previews », le considère comme invendable. Un cadre de la société dira même, sans honte, à Chuck, pour expliquer l’échec du film : « si tu étais parti avec la fille à la fin, on aurait pu avoir un succès ». Eh oui, on en était là en 1967 et les impératifs du commerce l’emportaient également à cette époque. Très marqué par cet échec, Chuck s’en consolera grâce aux critiques très élogieuses que la presse fera du film, notamment en Europe. Mais comme il le dit lui-même dans son journal : « un beau film qui ne marche pas, malheureusement, ne compte pas. » Devant l’inquiétude de ses proches quant à l’évolution de sa carrière, notamment son agent Citron, il se mettra en quête de sujets plus accrocheurs et renouera enfin avec le succès grâce au projet de Arthur Jacobs : « Planet of the apes ».
Anthony Zerbe, futur Mathias dans The Omega Man, joue Dutchy, cow-boy ami de Will
Que reste-t-il de Will Penny, ce film maudit de plus, dans sa filmographie ô combien riche et brillante ? L’incroyable modernité du ton, la beauté tragique de l’histoire, la finesse de l’analyse des rapports entre de vrais êtres humains et non des archétypes, et cette volonté, quasi documentaire, de montrer l’Ouest tel qu’il était vraiment. Une scène résume admirablement ce souci de réalisme et d’exactitude qui font le prix du film de Tom Gries : quand, provoqué par un imbécile, en raison de son âge avancé, Will décide de le corriger, il le fait avec son chapeau, et non pas à mains nues. Pourquoi ? Parce que ses mains sont son outil de travail et qu’il ne peut pas se permettre de les abîmer. C’est juste, c’est vrai, une démonstration simple et lumineuse.
C’est ça, Will Penny.
Auteur : Renaud
Script-girl : Cécile
Réalisé en 1965 par Franklin SCHAFFNER, « The war lord » (« Le seigneur de la guerre » en français) occupe une place à part dans la filmographie prestigieuse de Charlton HESTON. Il ne possède pas la notoriété des grands classiques qui ont fait la renommée de l’acteur (« Ben Hur », « El Cid », « Les dix commandements »), il n’a pas connu le succès de ces films cultes que sont « La planète des singes » et « Soleil vert », et, pourtant, grâce à l’émotion et la force lyrique qui se dégagent de cette improbable histoire d’amour entre un chevalier et une paysanne au cœur du moyen âge le plus sombre, il continue à fasciner les vrais admirateurs de l’artiste. En tout cas, ceux qui connaissent la « part d’ombre » chez ce comédien complexe s’y retrouvent parfaitement.
Car, si un film illustre bien le travail de Chuck en tant qu’aventurier du cinéma, c’est bien celui-ci ! Considérons les faits : en 1962, quand Heston prend connaissance de la pièce « The lovers » qui va inspirer le film, il est alors au sommet de sa gloire grâce aux films épiques précités et au triomphe des « 55 jours de Pékin ». Rien ne l’oblige donc à s’engager dans des choix risqués ou peu commerciaux, rien ne l’oblige à faire confiance à des scénaristes inconnus, rien, sinon un insatiable souci de perfection et son refus de la répétition d’une formule même gagnante. Lassé de cette image de héros mythique dont il pressent les limites, il va donc se lancer dans des projets différents sans jamais écouter son agent, Herman CITRON. « The war lord » ne sera que le premier d’une belle série qui fait des années 60, à notre avis, la période la plus riche de sa longue carrière.
« The war lord » fait partie des films de HESTON dont la conception et la réalisation ont été les plus difficiles. Fasciné par la pièce qu’il avait failli jouer à Broadway, il décide, dans un premier temps, d’en acheter les droits pour monter le projet et surtout obtenir un scénario qui soit filmable. Après avoir vainement tenté d’intéresser le producteur Sam BRONSTON à l’affaire, après le succès de « Pékin », il finit par obtenir l’accord d’Universal après près d’un an de démarches. John COLLIER, un écrivain peu connu, très peu familier des magouilles hollywoodiennes, finit par obtenir un scénario correct avec l’obligation, par le studio, de ne pas dépasser une durée de deux heures, ce qui s’avèrera crucial par la suite… L’excellent SCHAFFNER, bien connu de CHUCK pour l’avoir fait travailler au théâtre dans les années 45-50, n’est choisi qu’en été 1964 pour assurer la mise en scène. Quant au casting, il se met en place difficilement et CHUCK s’étonne que tant de bons comédiens passent à côté d’un sujet aussi original. Stanley BAKER est pressenti pour jouer Draco, le frère torturé de Chrysagon, Julie CHRISTIE pour jouer Bronwyn : tous deux se désistent ! HESTON et SCHAFFNER vont se rabattre sur l’excellent Richard BOONE pour jouer l’écuyer Bors et l’inconnue Rose-Mary FORSYTH, qui éclairera le film de sa beauté.
Pour des raisons budgétaires, Universal refuse de laisser la troupe filer en Angleterre, ce qui obligera l’équipe à choisir des marécages californiens qui feront parfaitement illusion. Mais c’est la coupe au bol, typiquement médiévale, choisie par CHUCK, qui fera grincer les dents des patrons d’Universal, soucieux de préserver le fameux sex-appeal du comédien, mais rien ne l’empêchera de rechercher à tout prix authenticité et réalisme, et le choix de cette coiffure peu glamour en fait partie. Les vrais problèmes commencent en fait après le tournage, en février 1965, quand Universal, qui souhaitait au départ un film d’aventures historique traditionnel, s’aperçoit qu’elle a laissé le champ libre à des trublions qui n’en ont fait qu’à leur tête, c’est-à-dire conter une histoire d’amour, de bruit et de fureur quasi shakespearienne, dans laquelle le côté épique est tout à fait secondaire. Furieux de voir leur projet initial détourné, les gens d’Universal vont donc insister sur les scènes de bataille pour en augmenter la durée à l’écran, au grand dam de HESTON qui souhaitait l’inverse. Ils vont couper dans les scènes intimistes et poétiques, malgré la fureur de SCHAFFNER, qui voulait préserver la magie de cette histoire située au cœur des ténèbres. HESTON, persuadé qu’il tient un de ses meilleurs rôles dans un de ses meilleurs films, va se battre contre toutes les décisions du studio, et surtout celle, cruciale, d’enlever le montage à SCHAFFNER, sous prétexte qu’il n’a pas livré, comme prévu, un négatif de deux heures ! Hélas, comme CHUCK le soulignera plus tard : « the one who pays the piper calls the tune ». En gros, ce sont les gens qui ont l’argent qui décident à la fin, point barre !
« The war lord », bien que charcuté au montage et amputé de plus de trente minutes, va néanmoins s’imposer au fil des ans comme un des plus beaux films de l’artiste. Succès très mitigé au box-office, il reste, malgré ce semi-échec commercial, un magnifique poème lyrique sur l’amour impossible qui unit un chevalier aigri par une vie de batailles et une jeune fille qui ne connaît du monde que son village et ses mœurs païennes : une vision pertinente de ce moyen-âge souvent édulcoré par Hollywood et qui apparaît enfin dans toute sa noirceur et ses angoisses religieuses. Illuminé par la photographie splendide de Russel METTY et le jeu shakespearien de CHUCK et d’une troupe formidable, il continue à nous hanter et nous émouvoir, même si on peut regretter de ne jamais connaître la version idéale que souhaitaient ses auteurs.
Auteur : Renaud
Script-girl : Cécile
Comme beaucoup de chefs-d’œuvre du cinéma, Touch of Evil d’Orson Welles est le fruit de rencontres inattendues, de circonstances plus ou moins favorables, de compromis et d’affrontements divers qui, par miracle, et par l’accumulation de coups de chances, permettent à tel ou tel film de justifier cette appellation. Un chef-d’œuvre ne se planifie pas à l’avance, la méthode et la raison n’y sont pas pour l’essentiel.
Quand, en 1956, Charlton Heston reçoit le script de Touch of Evil, parmi bien d’autres scenarii (car il est devenu, grâce à The Ten Comandments un acteur très demandé), il ne voit d’abord, dans cette histoire, qu’un thriller un peu banal et routinier, mais se dit, à l’instinct, qu’il y a là la matière d’une bonne série B. Sa première initiative est donc d’appeler Universal pour s’enquérir de son futur metteur en scène. On lui répond qu’il n’y en a pas encore, mais qu’Orson Welles, en pleine panade financière à l’époque, et prêt à jouer n’importe quoi, y tiendra le rôle d’un flic pourri. C’est là que Chuck propose, innocemment, de confier la mise en scène à Welles car, dit-il : « c’est aussi un sacré bon director ». S’ensuit, d’après les écrits de Heston, un long silence téléphonique, après lequel, les producteurs acceptent, avec des réserves, de confier le travail à Welles. Heston dira plus tard, toujours étonné : « c’était un peu comme si j’avais proposé que ma grand-mère mette en scène le film ».
Il faut dire qu’à l’époque, Welles a la réputation d’être un metteur en scène instable et capricieux (vrai) et dépensier (faux). D’ailleurs, Heston, qui restera son ami jusqu’à sa mort, malgré quelques divergences politiques et autres, l’a toujours défendu sur ce point : « Welles était très rapide sur le tournage, faisant beaucoup répéter les acteurs avant les prises, mais pouvant filmer douze pages de dialogues en avance sur le plan de travail, là où d’autres metteurs auraient pris deux jours de plus. ».
D’une banale histoire policière, Welles, de par son habileté de scénariste, va tirer un mélodrame noir sur la corruption, la déchéance d’un fonctionnaire au départ intègre (joué par Welles) et le combat d’un policier mexicain (Heston), mal vu par ses collègues américains, et pourtant déterminé à faire toute la vérité sur le meurtre d’un citoyen américain et de sa maîtresse. Grâce à sa drôlerie et ses inventions sur le plateau, ainsi que sa faculté à faire venir, par amitié, quelques-uns de ses meilleurs copains, dont certains aux trognes fabuleuses (Dietrich, Cotten, Calleia, Tamiroff), il va transformer ce polar classique en parabole sur la frontière très fine qui sépare le bien du mal, et ça ne va pas plaire du tout à l’Universal.
Quid de Chuck Heston dans le rôle du mexicain Vargas ? Il semblerait qu’au début, pour captiver l’acteur, Welles lui ait fait croire qu’il avait le premier rôle, et que le flic corrompu Quinlan n’était qu’un faire-valoir… On peut douter de cette supposition, car le personnage de Vargas n’est absolument pas éclipsé par Welles, et la rencontre des deux comédiens donne lieu à des échanges explosifs qui feront date dans l’histoire du cinéma. Comment oublier la fameuse scène où Vargas découvre que Quinlan a planqué de la dynamite pour accuser un jeune mexicain, ou cette réplique fabuleuse de Heston à Welles : « le rôle de policier n’est facile que dans un état policier. »
Contrairement à certains critiques qui prétendent que Heston n’est pas à sa place dans ce rôle, on ne peut qu’admirer la retenue et l’intelligence de jeu de Chuck, qui sait se mettre en retrait et subir le déluge verbal de Welles, sans jamais imposer son personnage, mais en sachant écouter et regarder, pour mieux donner du poids à toutes ses répliques. On connaît la suite : bien que réalisé dans les délais, La Soif du Mal deviendra un film maudit, car charcuté par ses producteurs, qui profiteront du laisser-aller coupable de Welles, parti faire des repérages pour son Don Quichotte, pour remonter le film et même tourner des séquences additionnelles ! Chuck Heston, fidèle en amitié, fera tout pour éviter le désastre, mais tenu par son contrat, devra s’exécuter, ce qui n’entachera pas son amitié avec Welles. Les deux hommes feront même de nombreux projets ensemble, et Welles se souviendra de Chuck comme : « avec Gielgud, l’acteur le plus gentil et travailleur que j’ai pu rencontrer. »
Même si Welles n’a pu monter et finir le film comme il le souhaitait, Touch of Evil n’est pas seulement un grand film de série B : c’est un diamant noir dans la production hollywoodienne de cette époque, illuminé par l’incroyable photo de Russel Metty, inclassable et riche de sens… Un chef d’œuvre ? Mais oui, bien sûr !
Auteur : Renaud
Script-girl : Cécile