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ADRIEN - Traducteur de Michael Munn - Page 7

  • 6 - " Charlton Heston une biographie " de Michael MUNN - (traduction par Adrien P. )

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    Amour et guerre

     

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    Si Charlton Heston avait beau être un acteur-né quand il était sur scène, il ne pouvait pas compter sur les dialogues de Shakespeare, il était très loin d'être un Roméo dans la vraie vie. Il était trop timide auprès des filles pour être ne serait-ce qu'à l'aise auprès d'elles. Jouer sur scène lui avait permis de fuir sa timidité en se cachant dans d'autres personnalités, derrière de fausses barbes et des nez postiches, laissant l'odeur de colle à postiche (qu'il tenait pour « l'odeur la plus excitante au monde ») envahir ses narines. Il était cependant très maladroit quand il devait gérer les sources de traumatisme de la vie réelle, comme sortir avec des filles.

    Il venait d'être diplômé quand il puisa enfin le courage du fin fond de son âme sans assurance, de demander à une fille de sortir avec lui. Ils allèrent à un spectacle, mais il était si nerveux tout au long de la soirée, qu'ils furent tous les deux soulagés de se dire au revoir à la fin de leur premier rendez-vous. Ils n'en n'eurent jamais de deuxième, et Charlton prit la décision de concentrer toute son énergie sur ses études universitaires, et à devenir l'acteur qu'il voulait être (Une préoccupation qu'il a toujours aujourd'hui1).

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    À la fin de l'été, Charlton commença à aller à l'université, mais n'avait toujours pas de véhicule ; il marchait tous les jours, ce qui lui permettait de consacrer ce temps à penser aux pièces, aux répliques et au jeu. Les filles étaient maintenant la dernière de ses préoccupations, et même la guerre en Europe ne pouvait pas le détourner de son objectif de devenir acteur professionnel. Durant cette première année à l'université, il apparut dans sept pièces et se plongea complètement dans les cours de la School of Speech2. C'était un miracle qu'il soit capable de maintenir ses yeux ouverts assez longtemps pour lire ne serait-ce qu'un script : il travaillait de nuit pour payer ses études et, bien sûr, il passait ses journées à l'université, non seulement pour le théâtre mais aussi ses cours académiques.

    Mais ni son enthousiasme ni sa santé ne furent troublés par ce travail, et non seulement il survécut, mais il en sortit grandi, passant chaque moment éveillé à penser au théâtre. Il raconte :

    « Je pris un travail supplémentaire pendant un moment, faisant marcher un ascenseur dans un bâtiment pendant la nuit, et je pourrais recommander ce travail à n'importe qui. C'était le meilleur travail que j'ai jamais eu à part celui d'acteur, parce qu'on pouvait dormir un peu, et je pris l'habitude de répéter dans la cabine. J'étais de service de minuit à huit heures, et tous les gens qui vivaient dans ce bâtiment étaient si vieux qu'ils allaient au lit très tôt, donc j''étais plus ou moins toujours seul.

    J'ai aussi travaillé dans une aciérie, une fois, et c'était plus dur. Mais le théâtre restait ce à quoi j'aspirais, et je suis finalement arrivé à un moment où je pouvais en vivre. Les gens demandent toujours aux acteurs, aux peintres et aux écrivains également pourquoi ils font ce qu'ils font, et ils répondent souvent par des banalités3.

    Mais honnêtement, je dois dire que j'aime simplement faire semblant d'être quelqu'un d'autre. Je pense que c'est ce qui amène beaucoup d'acteurs à cette étrange carrière. C'est le truc de petit garçon par excellence qui dit « regardez-moi, je suis pompier ou conducteur de train. » Aucun de nous n'en sort vraiment. C'est ce qui nous pousse à être dans la peau d'un autre et à nous convaincre nous-même que tout ce qui se passe sur scène se passe réellement. Et si on en arrive au point de le faire si bien, on réussit à convaincre le public également, que tout se passe réellement, alors le public sera prêt à payer l'acteur... payer pour qu'il fasse son travail.»

    Pour en arriver au point où des gens le payent, Il prit aussi un travail de jour dans une radio locale ce qui s'avéra être une expérience inestimable dans sa formation puisque la radio s'appuie uniquement sur la voix. Il continua ainsi ses études, persévérant dans sa résolution et sa passion, distrait par ni rien ni personne. Personne, sauf une jolie brune assise devant lui dans le cours de théâtre.

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    Lydia Clarke avait 19 ans, elle venait d'une petit ville nommée Two Rivers dans le Wisconsin où son père était principal de lycée. Elle étudiait le théâtre mais ne voulait pas être actrice. Elle voulait devenir avocate. Au départ, Charlton évitait les filles comme la peste, mais dans le cours de théâtre, lui et Lydia furent amenés à se rapprocher, et elle devint la seule fille face à laquelle il fut à l'aise. Il prit conscience peu de temps après qu'il était amoureux d'elle. Elle, cependant, n'était pas vraiment éprise de lui.

    Charlton pense que : « sa première impression de moi était que j'étais la créature la plus incroyable du campus. Je l'étais probablement ». La créature fit dire par un camarade de classe malveillant à Lydia : « chaque famille a un squelette dans le placard, mais la famille Heston fait sortir le sien et il veut devenir acteur

    Charlton fut inhabituellement brave en demandant à Lydia de sortir avec lui, et elle résista au début : « quand elle finit par accepter », se souvient Heston, « les choses commencèrent à aller mieux. C'était la première personne à qui j'ai parlé de mes parents. Ses parents étaient toujours heureux ensemble, mais elle m'a quand même écouté, et a compris en quelque sorte. »

      Mais même s'il était mordu par le virus du théâtre, il ne pouvait pas le laisser tomber pour celui de l'amour et Charlton contamina la belle étudiante en droit, tant et si bien qu'ils furent contaminés tous les deux par le virus du théâtre4.  Ça a commencé quand Heston insista pour que Shakespeare les accompagne dans leurs rendez-vous galants. « Il m'amena faire une longue promenade romantique », raconte Lydia. « et ensuite, au lieu de me faire l'amour, il lut MacBeth ! Il en arriva à l'amour plus tard. »

    Lydia abandonna donc rapidement son ambition de travailler dans les cours de justice et tourna son regard dans la même direction qu'Heston, vers le théâtre. Elle était en quelque sorte portée par sa forte volonté et son absolue certitude qu'il réussirait à devenir acteur. Il était peut-être désespérément timide et manquait de confiance en lui-même quand il avait affaire aux gens, mais en lui-même, il était absolument certain qu'il deviendrait acteur. C'était là sa grande force, car pendant que les autres le voyaient comme un marginal anti-social, dégingandé avec "deux pieds gauches", il savait qu'il avait les tripes et le courage de faire tout son possible pour atteindre l'objectif de sa vie, et c'est cette force qui a éclipsé ses faiblesses depuis. Lydia le reconnaît (c'était probablement la seule à l'époque), comme elle le dit : « sa ténacité n'est pas venue avec le temps. C'est par là qu'il a dû commencer ».

     

    A SUIVRE...

     

    1 En 1986, date de publication de cette biographie.

    2 L'école d'éloquence

    3 Le texte dit « very pontifical answers », litt. des réponses très pontificales.

    4  Une métaphore étrange, et difficile à rendre correctement dans la traduction

     
  • 5 - " Charlton Heston une biographie " de Michael MUNN - (traduction par Adrien P. )

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    CHICAGO

    ...SUITE

     

     

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    Il se sentait totalement surpassé par ses camarades de classe dont beaucoup venaient de familles riches. Ils portaient de plus beaux vêtements que lui, ils organisaient de grandes fêtes, ils conduisaient des voitures hors de prix. Lui n'avait jamais appris à conduire, ni même à danser. Il était pourtant jeté dans la vie sociale d'un lycée où tout le monde hormis les gens qui font tapisserie allait sur la piste de danse. Charlton se tenait simplement tout seul dans un coin, n'osant même pas se risquer à discuter avec des filles : elles le terrifiaient. On le prenait pour une sorte d'excentrique parce qu'il ne voulait pas faire comme les autres. La vérité était qu'il était tout simplement trop embarrassé pour expliquer qu'il ne savait pas conduire et que personne ne lui avait appris à danser. À chaque fois qu'il essayait de se défendre, sa langue se nouait. Il ne pouvait même pas compter sur son sens de l'humour pour l'aider à traverser les moments de gêne : il n'en n'avait pas développé.

    Il ne semblait pas trouver sa place malgré quelques tentatives pour se conformer aux autres. Il a accepté de jouer au football1 pour l'école malgré le fait qu'il n'avait jamais vu de ballon de foot dans le Michigan. Il voulait pourtant tenter sa chance, ce qui lui a valu un nez cassé. Faisant le serment de ne plus jamais jouer au foot, il se mit au tennis. Il découvrit qu'il pouvait au moins renvoyer la balle et persévéra dans ce nouveau sport.

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    Il y avait un sport où il était bon : le tir. Il avait toujours été à proximité d'armes et savait tirer droit. Il s'est avéré être l'un des meilleurs tireurs de l'école et rejoignit finalement l'équipe de tir au fusil. Il se conformait aux autres par de petits efforts, mais par des moyens significatifs.

    Un jour, il se rendit en ville pour voir Twelfth Night2, la première pièce qu'il vit jouée par des professionnels. Maurice Evans et Helen Hayes en jouaient les personnages principaux. Charlton était de plus en plus intrigué par ces gens qui jouaient à être quelqu'un d'autre. Il jouait toujours à ce jeu en lisant des livres et en incarnant tous les rôles lui-même. Maintenant, il voyait que d'autres personnes, et même des adultes, jouaient au même jeu. Il se souvient :

     

    " Je découvris que des gens prenaient part à ces jeux de rôle qu'on appelait des pièces de théâtre dans des groupes organisés, que des gens venaient les voir, et que c'était donc une activité acceptable. J'ai ensuite appris qu'il y en avait dans l'école que je fréquentais, et j'ai soudainement réalisé que jouer à faire semblant n'était pas quelque chose qu'on faisait seul quand on n'avait pas d'amis. On pouvait le faire avec d'autres gens sur scène, et même prendre des cours de théâtre."

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    Il était mordu : il rejoignit le club de théâtre du lycée. À partir de ce moment, il ne voulut rien faire d'autre dans sa vie, qu'acteur.

    Il avait certainement un talent pour ça qu'il développa par un enthousiasme sans limite et de la détermination. Devenir grand pratiquement du jour au lendemain l'aida aussi. Il était le garçon le plus petit de sa classe jusqu'à ses 15 ans, mais à 16 ans il avait atteint 6 pieds 2 pouces3. Il était maigre comme une brindille, mais il dépassait largement beaucoup de ses camarades, ce qui renforçait sa prestance sur scène.

    Il commença à apparaître dans de nombreuses pièces pour l'école, ainsi qu'à jouer dans quelques productions dans de petits théâtres de banlieue, tenus par des groupes et des clubs variés. Parmi eux se trouvait le Winnekta Drama Club4. Sa coquille anti-sociale commençait enfin à craquer à force de discuter avec ses camarades acteurs qui étaient les gens avec qui il se sentait le plus à l'aise. Voilà les gens qui devinrent ses amis, mais dans le monde extérieur, il était toujours un solitaire horriblement timide quand il s'agissait de rencontrer des inconnus. Il était toujours peu assuré devant les filles, se sentant bien trop bizarre et maladroit auprès d'elles, et plutôt que de passer pour un idiot, il s'abstint d'inviter quelque fille que ce soit à un rendez-vous galant durant tout le temps où il était au lycée. Il se consacra entièrement au théâtre.

    Il s'avéra également être dans ses études plus qu'un simple péquenaud sorti de la campagne. Ça a dû être un choc pour ses pairs de découvrir qu'il était en fait intelligent, et il avait des vues sur la Northwestern University of Illinois5 une fois qu'il serait diplômé de New Trier.

    L'aurore printanière se levait au-dessus de la brume matinale tandis que Charlton poussait la tondeuse dans le jardin. Comme il avait besoin de gagner de l'argent pour l'aider pendant ses études, et que certains étaient prêts à le payer pour cette corvée, on le trouvait presque tous les matins à tondre la pelouse avant d'aller à l'école.

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    Ça lui faisait une journée fatigante : il répétait le soir une pièce pour l'école. La pièce était mauvaise par tous les aspects. Un soir, un jeune étudiant de la Northwestern University, également producteur de film, est venu la voir. C'était David Bradley qui venait de produire et de diriger une adaptation muette en 16mm d'Oliver Twist, et était maintenant engagé dans la préparation du tournage de Peer Gynt d'Ibsen, sponsorisé par l'University's school of Speech6. Il avait réuni une grande équipe d'acteurs professionnels et amateurs. La vérité était que les professionnels étaient au chômage et avaient hâte de jouer. Ça a donc été un choc pour Bradley quand son acteur principal, un professionnel, accepta un travail rémunéré pour une tournée d'été. Il devait maintenant trouver un remplaçant, et il est venu au New Trier High School dans l'espoir que cette pièce produise un Peer Gynt acceptable. Il trouva la pièce mauvaise, mais il fut marqué par une étonnante créature dégingandée de six pieds7 nommée Heston. Après le spectacle, Bradley s'est rendu en coulisse et s'est présenté à Charlton.

    « Je produis et je dirige un film du Peer Gynt d'Ibsen, et j'ai été impressionné par votre performance, » dit Bradley.

    « Vous êtes un chercheur de talent d'Hollywood ? » demanda Heston avec engouement.

    « Peu importe Hollywood, » dit Bradley. « voudriez-vous jouer Peer Gynt ? »

    Heston accepta, et se retrouva à faire ses débuts au cinéma en 16mm, le son en moins. Bradley avait aussi un rôle dans le film tout en aidant à la photographie en noir et blanc.

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    Il dit d'Heston : « Je me suis aperçu que j'avais découvert un jeune homme au talent inné. Heston n'était pas seulement le lapin rapidement sorti du chapeau, il avait aussi une présence naturelle et un don intuitif pour le jeu d'acteur. »

    Pour un jeune homme timide avec les femmes, il était clairement en bonne compagnie pour son premier film. Il joua une scène particulièrement sensuelle (dans laquelle il s'était déguisé en prophète puis avait séduit une femme) avec une belle femme brune nommée Rose Andrews.

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    Heston considère aujourd'hui le film (qui dure 85 minutes) comme « un film pur, créatif, avec de merveilleuses qualités ». Il note également non sans humour qu'il avait joué dans tout le film sans jamais se rendre compte qu'Ibsen l'avait écrit comme une satire. Ce n'était pourtant pas un début de bon augure dans le cinéma. Le film n'a pas été regardé par le public pendant 24 ans. Heston reste cependant fier de croire qu'il est le seul acteur de sa génération à avoir fait un film à la fois muet et avant-gardiste.

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    David Bradley n'était pas le seul à reconnaître le talent et le potentiel d'Heston. Le Winnekta Drama Club lui accorda une bourse d'étude pour se rendre à la Northwestern University qui se targuait d'avoir une des meilleures écoles de théâtre du pays sous la forme de son Fine Drama Department8. Heston désespérait de décrocher une place là-bas, et il montra des signes de soulagement en apprenant qu'il s'y rendrait après l'obtention de son diplôme à New Trier.

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    A SUIVRE ...

    1 On parle bien ici de football américain, et non de football qui se dirait soccer.

    2 En français, La Nuit des rois, pièce de William Shakespeare.

    3 1,88 mètres (bien que selon les articles, la taille de Charlton varie. Mais nous devons nous en tenir au 1m93 le plus souvent donné).

    4 Le club de théâtre de Winnekta

    5 Université du nord-ouest de l'Illinois

    6 L'école de langue de l'université

    7 1, 80 (comme précisé plus haut, la taille réelle de Charlton Heston était 1m93)

    8 Département d'art dramatique

  • 4 - " Charlton Heston une biographie " de Michael MUNN - (traduction par Adrien P. )

    ... SUITE

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    Chicago

     

    À St Helen, le vent continuait à faire bruire les feuilles, faisant courir un murmure sur Russell Lake. L'eau léchait encore doucement la rive, et le cri lointain de l'aigle résonnait au-dessus des sapins, mais Charlton n'entendait plus rien de tout cela. Il n'entendait plus que le trafic, le son des klaxons, un millier de pas frappant le pavé, la sirène des voitures de police, un million de sonneries de téléphones... une telle cacophonie le faisait mourir de peur !

    Chicago n'était pas seulement une nouvelle maison, c'était un véritable choc culturel. Il était revenu à la grande ville avec un nouveau père et une crainte absolue de ce que l'avenir pouvait réserver. Sa mère s'était remariée à St-Helen et le nom de la famille était désormais Heston. Le beau-père de Charlton était en fait un homme qu'il connaissait déjà depuis un moment et qu'il avait toujours aimé. L'Amérique souffrant toujours de la Grande Dépression, le nouveau chef de famille avait dû trouver du travail dans une aciérie à Winnetka, une banlieue de Chicago.

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    Charlton avait dix ans. Il décrit cet âge comme « une période triste, brisée... »

    " J'étais très malheureux. On était si loin de tout dans le Michigan que quand je suis retourné dans une grande ville pour la première fois, je me souviens que j'étais réellement terrorisé par le trafic automobile et le bruit, et tout ce qui va de pair avec une grande ville.

    Je craignais tout du changement. Je n'étais absolument pas prêt à devenir un gars de la ville. Je ne savais littéralement pas me servir d'un téléphone, ou qu'il valait mieux regarder des deux côtés de la route avant de traverser.

    Dans la forêt, je me fichais de jouer tout seul : on me complimentait parce que je prouvais que j'étais indépendant. Plonger de nouveau dans une école dans une grande ville me fit comprendre le contre-coup d'être un solitaire. "

     

    En plus d'être socialement inadapté, Charlton a souffert de sa taille et son poids. C'était un petit gringalet facile à embêter, et qui l'était effectivement souvent. Mais comme si être faible et rejeté ne suffisait pas, il a dû subir une terrible gêne dès son premier jour à l'école à Winnekta.

    La professeure faisait l'appel, et quand elle arriva à son nom, elle lut « Charlotte Heston ». Le jeune Charlton resta silencieux en allant s'asseoir à sa chaise, gigotant pour cacher son embarras. « Où est la petite Heston ? » demanda l'institutrice. Heston s'en rappelle : « c'était l'un des pires événements de mon enfance. »

     

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    La vie n'alla pas mieux. Charlton se sentait piégé, entraîné par l'environnement frénétique autour de lui. Son instinct de solitaire devint plutôt une malédiction. Il se cacha plus profondément dans sa coquille et si le monde semblait l'isoler, il s'isolait lui-même avec tout autant d'acharnement.

    L'un des rares aspects positifs de la ville était le cinéma. Il découvrit les films et les acteurs. Ses héros de l'écran étaient Gary Cooper, Errol Flynn, Hoot Gibson et Ken Maynard. Il était intrigué par ces adultes payés à jouer les cow-boys, les pirates ou les soldats.

    Mais mis à part les films et les livres qu'il continuait de lire, il devait toujours surmonter le monde réel, et c'était toujours avec soulagement et gratitude qu'il accueillait les visites de son père. Russ avait maintenu contact avec ses enfants et continuait de les voir, mais un jour, sans rien dire, il arrêta de venir du jour au lendemain. Charlton attendit des jours, des semaines et même des mois, mais pas un mot de papa, pas même une lettre. Il comprit que son père était parti pour de bon, et il voulait savoir pourquoi, mais ni sa mère ni son beau-père n'offrirent de réponse.

    Il se souvient :

    " C'était une expérience très traumatisante. Sans aucun avertissement, mon père était parti. J'avais dix ans quand il est sorti de ma vie sans prévenir. Je ne pouvais tout simplement pas comprendre : nous avions été si proches...

    Je refuse de jouer les apprentis psychanalystes en disant que je me sentais rejeté. J'étais certain qu'il m'aimait malgré son silence, mais je ne pouvais pas comprendre et j'étais incapable de me remettre de sa disparition.

    Ça a gâché toute mon adolescence. "

    Charlton n'était pas en manque d'amour : son beau-père était un homme bon, un mari aimant et un père attentionné pour les enfants de Lilla. Charlton l'admirait et le respectait, il a grandi en l'aimant. En effet, ils avaient développé1 une relation père-fils idéale entre un beau-père et un beau-fils, et c'était surtout du fait de son nouveau père. Dès qu'il pouvait quitter le travail, il emmenait Charlton à la pêche ou à la chasse, passant du temps avec lui et se consacrant beaucoup à lui. Il écoutait attentivement et avec sympathie les problèmes du garçon.

    C'était un homme plus calme et plus timide que Russ, mais il était stable et équilibré : il tenta de donner envie à Charlton de suivre son exemple, mais c'était une besogne pour Charlton qui semblait confus et maladroit. Il avait accepté que son beau-père prenne la place de son père, mai il lui était difficile d'accepter que ses parents soient divorcés, et il voulait désespérément le nier. Il fit de ce divorce un sombre secret et ressentait un profond sentiment de culpabilité. Comme il le constata dans sa période adolescente, il était émotionnellement instable, perturbé et désespérément seul.

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    Il commença à aller au New Trier High School à Winnekta2. Elle était considérée comme la meilleure école dirigée par le gouvernement du pays, à l'époque. Elle semblait gouvernée par un tout nouvel ensemble de règles sociales qui contrastaient violemment avec la philosophie simple des sous-bois qu'il avait connu à St Helen.

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    A SUIVRE...

    1 Le texte dit ici « In fact, there developped an ideal father-son relationship between stepfather and stepson. », phrase grammaticalement incorrect puisqu'il y manque un sujet. Je traduis donc comme si ce « there » était en fait un « they ».

    2 « New Trier dépense plus de 15 000$ par an par élèves, somme bien supérieure à la moyenne dans l'Illinois (8 786$). Pour l'Association Nationale des principaux d'école secondaire, du New York Times, du Washington Post et de Parade (des journaux réputés aux états-Unis, NDT), elle fait partie du « top 100 » des écoles du pays, et de celles « avec le plus de réussite » . Elle a été décrite comme « assez probablement la meilleure école publique du pays » par Town and Country dans un article de six pages sur New Trier, citant un programme « riche » et « exigeant », de nombreuses activités (également artistiques), une forte participation aux activités athlétiques, et les compétences de l'équipe enseignante digne d'une bonne université. Life a également reconnu New Trier comme l'un des meilleurs lycées du pays dans des articles en première page en 1950 et en 1998. »

    traduction d'un extrait de l'article « profile and recognition » de la page Wikipédia de New Trier High School.

    https://en.wikipedia.org/wiki/New_Trier_High_School#cite_ref-18

  • SOUS LE PLUS GRAND CHAPITEAU DU MONDE ... (Les dessous d'un Oscar)

    En éclairage au livre de Michael Munn concernant l'Oscar décerné au film " Sous le plus grand chapiteau du Monde ", Adrien a jugé utile d'adjoindre cette traduction d'un article : "Awards" sur Wikipedia. Je l'en remercie, car en effet, nous ignorons souvent les dessous de certains faits, et un éclairage nouveau peut être une valeur ajoutée à l'oeuvre originale de l'auteur Michael Munn. 

     

    i :

    Sous le plus grand chapiteau du monde et son Oscar

     

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    En travaillant sur la traduction de la biographie de Michael Munn, il m'a semblé que certains points, bien que ne traitant pas de Charlton Heston, méritaient un approfondissement à part entière. Je ne crois pas que l'avis de l'auteur soit biaisé de quelque manière que ce soit, mais il ne me semble pas inutile d'apporter quelques nuances à certains de ses propos, surtout quand ils sont aussi simplement vérifiables que celui dont je compte parler ici.

    S'il est vrai que Sous le plus grand chapiteau du monde a reçu l'Oscar du meilleur film en 1953, et qu'il a sans doute largement contribué à lancer la carrière cinématographique de Charlton Heston, il faut bien se rendre compte que c'est dans un contexte historique extrêmement particulier que tout cela s'est fait, et qu'il faut en tenir compte pour mieux comprendre les événements dont il est ici question. Je me permets ici quelques commentaires, ainsi que l'ajout de quelques articles disponibles sur internet mais malheureusement introuvables en français et dont je vous donne ici une traduction.

    Il n'est pas ici question de discuter du talent de l'acteur ni même de son travail, et jamais je n'oserais m'attaquer à cet homme que vous, lecteurs et lectrices, connaissez bien mieux que moi. Mon but est de discuter du travail de l'auteur de la biographie.

    Car s'il est vrai que le film a été récompensé, sans aucun doute à juste titre, on ne peut pas le soustraire à son contexte historique à sa sortie, et quelques éclairages intéressants peuvent permettre d'apporter des nuances, je le crois, bienvenues.

     

    Le 19 mars 1953 a lieu la vingt-cinquième cérémonie des Oscars conjointement au Pantages Theatre de Los Angeles et au NBC International Theatre de New-York. C'est la première fois qu'elle est ainsi présentée à la fois à Hollywood et à New-York en plus d'être la première à passer à la télévision. Ceci annonce en quelque sorte une année de toutes les exceptions, comme on va vite le voir.

    Cinq films sont nominés pour le prix du meilleur film :

    • Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. De Mille pour Paramount Pictures

    • L'Homme tranquille de John Ford et Merian C. Cooper pour Argosy Pictures et Republic Pictures

    • Ivanhoé de Pandro S. Berman pour Metro-Goldwyn-Mayer

    • Moulin Rouge par Romulus Films (société de production des frères John et James Woolf)

    • Le train sifflera trois fois de Stanley Kramer pour Stanley Kramer productions et United Artists.

    De ces films, c'est celui de Cecil B. De Mille avec Charlton Heston qui raflera la récompense ainsi que celle de la meilleure histoire originale. Un grand honneur, il est vrai, mais il ne décrocha aucune des autres récompenses pour lesquelles il était nominé : meilleur réalisateur, meilleur montage, meilleure création de costume de film en couleur. Ceci fait qu'il est le seul film de l'histoire des Oscars à avoir été couronné meilleur film, et à avoir reçu moins de trois Oscars (jusqu'à Spotlight en 2016) :

     

    Traduction de l'extrait Awards tiré de la page Wikipedia du film :

    https://en.wikipedia.org/wiki/The_Greatest_Show_on_Earth_(film)

    Au vingt-cinquième anniversaire de la cérémonie des Oscars, Sous Le Plus Grand Chapiteau du monde reçut tout à la fois l'oscar du meilleur film et celui de la meilleure histoire originale. Il fut également nominé pour celui du meilleur réalisateur, celui du meilleur montage, de la meilleure création de costumes pour un film en couleur. C'est le dernier film ayant reçu l'Oscar du meilleur film à avoir reçu moins de trois Oscars, jusqu'à Spotlight en 2016.

    Certains considèrent ce film comme étant l'un des plus mauvais de tous les films ayant reçu un Oscar du meilleur film. Il le gagna au détriment d'autres films à la réputation solide, comme Hight Noon (Le train sifflera trois fois)The Quiet Man (L'homme tranquille), ou encore Singin' in the Rain (Chantons sous la pluie). Le magazine américain de cinéma Premiere le plaça parmi les dix pires vainqueurs de l'Oscar, et le magazine britannique Empire le classa troisième dans leur liste des pires vainqueurs d'Oscar. Il a la deuxième pire place sur la liste des 81 films à avoir reçu l'Oscar du meilleur film sur Rotten Tomatoes.

     

    Notons tout de même que même s'il est considéré comme étant le plus mauvais, il l'est aussi parmi les meilleurs, ce qui reste un signe de qualité indéniable. Ceci me permet d'affirmer sans trop prendre de risque que même s'il n'avait pas été couronné, l'impact de ce film sur la carrière de Charlton Heston n'aurait pas été moindre : il reste un énorme succès critique et populaire dans lequel l'acteur a pu briller. Tout une carrière s'est pourtant jouée sur un seul geste, un banal mouvement de la main adressé à un homme (Cf. le chapitre « Un Nouveau Visage, Une Nouvelle Force » de la biographie de Michael Munn).

     

    Stanley Kramer prétendit que cette récompense serait due au climat politique à Hollywood en 1952. Le sénateur Joseph Mc Carthy faisait la chasse aux communistes à l'époque, et De Mille était un Républicain conservateur engagé dans le National Committee for a Free Europe. Un autre film nominé, Le train sifflera trois fois, avait été produit par Carl Foreman, qui allait bientôt faire partie de la liste noire de Hollywood, tout comme l'un des auteurs du script d'Ivanhoe, Marguerite Roberts.

     

    Les propos vindicatifs de Stanley Kramer sont peut-être justifiés, mais il faut également voir que le producteur de Le train sifflera trois fois avait sans doute été déçu de se faire voler la vedette de la sorte. (Cf. la traduction d'un extrait de son auto-biographie ci-dessous. ) Le Maccarthysme, une des nombreuses conséquences de la Guerre Froide, a bien sûr eu des répercussions sur la production artistique américaine de l'époque. Pour aller plus loin :

    http://dinosoria.com/maccarthysme.htm

    https://www.ledevoir.com/culture/cinema/98916/cinema-maccarthysme-et-cinema-le-tabou-tombe-a-hollywood

     

    Une autre raison probable pour expliquer ce prix est que c'était vu comme « la dernière opportunité » de récompenser de son vivant Cecil B. De Mille et d'honorer une carrière de toute une vie ayant commencé dès la période du cinéma muet. Les meilleures œuvres de De Mille datent d'avant la création de l'Academy of Motion Picture Arts and Sciences (AMPAS ; académie des arts et des sciences du cinéma). Il se peut que les membres de l'Académie (dont beaucoup étaient issus du cinéma muet) aient pensé qu'en tant qu'homme de marque de Hollywood et membre fondateur de l'Académie, De Mille méritait cet honneur même si d'autres films de la même année étaient meilleurs que Sous le plus grand chapiteau du monde. Beaucoup s'accordent à dire que le film qu'il a ensuite réalisé et produit (et qui sera son dernier), The Ten Commandments (Les dix Commandements), méritait plus la récompense qu'Around the World in 80 Days (Le tour du monde en quatre-vingt jours par Michael Andersonqui rafla l'Oscar du meilleur film en 1956, et qu'il rendait bien mieux honneur à la carrière magnifique et légendaire du réalisateur ainsi qu'à son rôle dans l'expansion et l'évolution de l'industrie du cinéma que ne le faisait The Greatest Show on Earth.

     

    Voilà une justification qui peut convaincre, même s'il faut rappeler qu'en 1952 est décerné le premier Cecil B. De Mille Award, crée par la Hollywood Foreign Press Association (HFPA) dans le cadre de la cérémonie des Golden Globes, et qui récompense un homme de cinéma pour l'ensemble de sa carrière. Qui a besoin d'un récompense quand l'une d'elle porte son nom ? De Mille n'avait pourtant pas reçu l'Oscar du meilleur film de toute sa carrière de la part d'une Académie qu'il avait contribué à créer, ce qui peut expliquer en partie ce choix de lui offrir ce prix au détriment des autres très bons films de cet année.

     

    Traduction d'un extrait de la biographie It's a Mad, Mad, Mad, Mad World: A Life in Hollywood, de Kramer, cité sur tcm.com par Scott McGee et Jeff Stafford :

    http://www.tcm.com/tcmdb/title/24083/High-Noon/articles.html

     

    « […] La défaite de Le train sifflera trois fois dans la course aux Oscars face à Le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. De Mille est surtout due à des raisons politiques, et je ne parle pas de la vieille politique tacite des cercles hollywoodiens. Je reste persuadé que Le train sifflera trois fois était le meilleur film de 1952, mais le climat politique et la campagne droitiste qui a suivi la sortie du film a suffi à le reléguer au statut d'outsider. Aussi populaire fusse-t-il, il ne pouvait pas lutter contre l'atmosphère ambiante dans laquelle il est sorti. Carl Foreman, qui en signe l'écriture, avait déjà fui pour l'Angleterre sous une foule d'accusations liées à ses idées politiques. Entre le moment où il a rendu le script et celui où l'Académie a voté, nous avions tous appris qu'il avait été membre du Parti Communiste, mais quiconque a vu le film sait qu'il n'y avait aucune propagande communiste dans la narration. S'il avait tenté de le faire, je l'aurais exclu. »

    Sources :

    https://fr.wikipedia.org/wiki/25e_c%C3%A9r%C3%A9monie_des_Oscars

    https://en.wikipedia.org/wiki/25th_Academy_Awards

     

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  • 3 - " Charlton Heston une biographie " de Michael MUNN - (traduction par Adrien P. )

     

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    TROISIEME PARTIE 

    St HELEN

    Durant la période lumineuse des années vingt, quand la Prohibition offrit aux gangsters américains un marché noir parallèle très lucratif non-taxé de bouteilles de liqueur, Hollywood était à son apogée, et les vedettes rapidement enrichies engageaient leurs propres « coursiers »7 pour que l'alcool illicite coule à flot. Rien n'était trop cher pour une star du cinéma muet pour qui quarante millions d'Américains faisaient la queue dans les cinémas chaque semaine, permettant ainsi à Rudolph Valentino de se prélasser dans sa villa Hispano-Mauresque « Falcon Lair » (« le repaire du faucon ») en sommet de colline, au sol entièrement recouvert de marbre noir. Pendant ce temps, Gloria Swanson se prélassait dans sa baignoire en or et Tom Mix laissait libre cours à son goût pour les décorations intérieures colorées avec une fontaine aux couleurs de l'arc-en-ciel dans sa salle à manger.

    L'éclat des années vingt était grand et brillant, et était visible dans toutes les villes américaines où il y avait des gens suffisamment riches ou dangereux pour le montrer, mais en dehors des villes, l'éclat diminuait jusqu'à ne plus être visible 8.

    Seul le cri de l'aigle était audible à travers le murmure du vent qui soufflait dans les forêts du Nord du Michigan. C'était le domaine des aigles venus faire leurs aires sur les points culminant au-dessus du Russel Lake, loin de la civilisation sophistiquée de l'Amérique moderne, maintenue à distance par les kilomètres de pins, de bouleaux, d'érables et de chênes.

    Il ne fait aucun doute que ces aigles avaient des ancêtres qui ont niché ici du temps des habitants de la frontière9quand les sombres forêts profondes qui couvraient auparavant le Michigan furent rasées dans le processus que les spécialistes appellent « l'exploitation forestière ». Les arbres qui y poussent désormais en sont la deuxième génération, grands et larges, mais les grandes forêts du Michigan ont disparu.

    Il restait tout de même quelques bois, comme un morceau de la vieille Amérique, qui accueillirent silencieusement Russel Whitford Carter et sa famille quand ils emménagèrent auprès de la petite communauté de St Helen, laissant derrière eux le tohu-bohu de la vie urbaine moderne d'Evanston, dans l'Illinois.

    Russ avait décroché un poste d'opérateur de scierie à St Helen, donc lui et sa femme Lilla avaient arraché leurs racines d'Evanston pour les transplanter dans le sol du Michigan, en emmenant avec eux leur bébé. Il s'appelait Charlton, du nom de jeune fille de sa mère. C'était un choix de prénom étrange pour l'enfant Carter, puisque c'était au départ un patronyme. Le bébé Charlton était cependant aussi oublieux de son nom que de l'endroit où il est né. Ses premiers souvenirs sont ceux de St Helen, de la forêt et des lacs, mais il est né le quatre octobre 1923 à l'Evanston Hospital. Il n'y avait pas là de quoi chambouler le monde : rien n'indiquait alors que le bébé de Russ et de Lilla pourrait un jour devenir l'une des figures les plus héroïques du cinéma et même l'un des meilleurs acteurs de toute l'Amérique. Il n'avait pas de sang de comédien dans les veines, mais celui du clan Fraser en Écosse.

     

    Il se passait cependant des événements significatifs dans le monde du cinéma au moment de la naissance de Charlton. Un pionnier du cinéma déjà devenu une légende en dix ans, un certain Cecil B. De Mille était entièrement dévoué à couper et joindre des kilomètres de bande de film avec l'aide de son éditrice Ann Bauchens, pour créer son chef-d’œuvre muet Les dix Commandements (The Ten Commandments). Beatrice, la bien aimée mère de De Mille mourut exactement quatre jours après la naissance de Charlton10et ne put jamais voir le film auquel son fils se dévouait, et qu'il referait un peu plus de trente ans plus tard.

    Tandis que Paramount calculait le coût exorbitant du grand classique de De Mille, Metro Goldwyn Mayer se préparait à dépenser encore plus pour leur film Ben-Hur. De plus, presque au moment où Charlton Carter vint au monde, la vedette du cinéma muet Georges Walsh célébrait son triomphe pour avoir été choisi pour jouer le rôle-titre de Ben-Hur. Cependant, au moment où les caméras commencèrent à tourner pour ce film, c'est Ramon Novarro qui endossa le rôle principal du film11 qui, à peine trois décennies plus tard, allait être ressuscité dans le colossal remake de MGM dans lequel le son, la couleur et la taille de l'image allaient être retravaillés.

    Il n'y avait aucun moyen pour Russell et Lilla de savoir que leur fils Charlton allait à la fois incarner Moïse et Ben-Hur plus de trente ans plus tard.

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    Il se pourrait fort bien que Charlton Carter serait devenu un vrai petit gars de la ville s'il avait été élevé dans la ville dans laquelle il est né, mais à la place, il a été planté comme une jeune graine dans le coin paumé de St Helen. La graine a poussé  et a pris racine, se fondant dans le paysage comme un vrai jeune pin. Charlton est devenu trop grand pour son environnement de péquenauds bouseux.

    La maison où Russ emmena sa famille pour vivre était une maison, à peine plus qu'une cabane en vérité, et c'était comme si sa place n'était pas ailleurs qu'ici, en plein milieu de la forêt. Elle n'était accessible en véhicule que par un seul chemin, le long de l'Highland Road qui n'était rien d'autre qu'un sentier poussiéreux. Le Russell Lake que Charlton adora était tout proche. C'était un plaisir de se tenir là et de sentir le vent qui arrivait parfois de la rive nord. C'est dans ce genre de lac que Charlton apprit à nager, faisant la nage du chien dans les eaux peu profondes tandis que son père restait près de lui. Heston se souvient :

    "Je vivais dans une partie très reculée du Michigan, où j'allais dans une école où il n'y avait qu'une seule classe. J'étais l'un des 11 élèves de huit niveaux différents. J'étais le seul de mon âge, et c'était une merveilleuse enfance, un endroit fantastique pour qu'un garçon y grandisse, mais c'était une enfance quand même solitaire.

    Je n'avais pas d'enfants de mon âge avec qui jouer. Il n'y avait pas assez de garçons pour faire une équipe de foot ou de base-ball, et on était plus ou moins obligés de se débrouiller."

    Ainsi, Charlton était un solitaire né qui passait le plus clair de son temps à pêcher ou à chasser seul, ou à faire des pièges futiles qui semblaient ne jamais prendre quoi que ce soit. Son père lui avait appris à tirer au fusil et ils allaient parfois ensemble en voiture sur les sentiers qui coupaient à travers les bois. Il avait aussi une sœur, Lilla, mais son compagnon le plus fidèle était un berger allemand. Ils allaient partout ensemble, et l'amour de Charlton pour les chiens n'a jamais diminué.

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    Avec l'arrivée de l'automne, les feuilles des érables et des chênes se flétrirent et tombèrent, tapissant la forêt tandis que les pins restaient grands et riches face au soleil déclinant. La neige d'avant Noël transformait inévitablement la forêt en en merveilleux paysage hivernal dont Charlton jouissait chaque année. Il accueillait le contact des flocons sur son visage et écoutait l'écho du silence de la neige tournoyant entre les arbres et couvrant le lac gelé.

    Un véritable blizzard formait des congères à côté desquelles les arbres se tenaient, vigoureux et encore plus noirs, et la pente derrière la maison devenait la parfaite piste pour faire de la luge. Le crépuscule donnait une toute nouvelle dimension à ses forêts tandis que la neige s'accumulait et s'étalait, donnant une douce lueur aux sombres bois hivernaux.

     

    Les traditions de noël étaient essentielles chez les Carter (traditions qui mettaient souvent les générations à venir à l'honneur). Charlton flânait dans la neige en suivant son père, tandis que Russ allait chercher le sapin de noël. Abattant un grand pin, Russ retirait le sommet de l'arbre de noël et le hachait comme combustible pour entretenir le feu de bois qui emplissait la maison de Highland Road de chaleur et d'une douce lumière vacillante. Charlton s'asseyait souvent dans le siège près de la fenêtre, lisant tandis que l'odeur des épines de pin emplissaient tout son être. Des livres tels que Cal of the wild ou Treasure island éveillaient son intérêt. De telles histoires allumaient la flamme de son imagination. Il dit :

    "J'avais l'habitude de lire et ensuite aller dehors pour jouer tout seul les récits de ces ouvrages. Je jouais tous les personnages les uns après les autres. C'est sans doute ce qui m'a mis sur cette voie.

    Être acteur, c'est jouer à faire semblant. J'étais élevé dans une partie reculée du pays et je n'avais personne avec qui jouer. J'ai donc joué grâce à mes livres comme tous les enfants le font, mais je jouais plus que la plupart des enfants. C'est sans doute là que j'ai planté les fondations qui me menèrent sur la voie du métier que j'exerce aujourd'hui."

    Le récit de livre culte de Jack London à propos d'une chien domestique appelé Buck qui finit chien de traîneau, tirant des traîneaux et des hommes à la recherche d'or dans les déserts glacés de Klondike inspira Charlton Heston qui attelait son chien à sa luge. Il allait dans les sentiers qui traversaient la forêt en criant « Mush ! »12 jusqu'à ce qu'un jour, un voisin mécontent abattit la bête, laissant ainsi Charlton de nouveau complètement seul.

    N'ayant personne pour lui tenir compagnie, il partait chasser le lapin, suivant pendant des heures la piste des boules de poil à travers la neige, ne réussissant pourtant jamais à en voir une seule. Le nez qui coule et les pieds gelés, il devenait soudain un légendaire guerrier indien ou un éclaireur à la recherche de nourriture pour nourrir les colons affamés. C'est ce qui rendait la vie amusante, même s'il était seul.

     

    Il eut une réelle opportunité à un noël de jouer devant le village quand l'école monta une pièce. Il se retrouva dans le rôle du père noël alors qu'il n'avait que 5 ans. « puisqu'il n'y avait qu'une seule salle de classe avec un effectif de treize enfants, la distribution du rôle était surtout du fait d'un étrange talent que j'avais », dit-il. Néanmoins, il avait quand même une réplique pour lui tout seul. Il resta le plus gros de la représentation tapi derrière un feu de cheminée en carton, attendant le moment où il pourrait surgir et crier à travers sa longue barbe blanche : « Joyeux Noël ! »

    C'était les années heureuses, quand Charlton pouvait profiter à la fois du monde réel où des parents qu'il chérissait l'aimaient, et le monde imaginaire surgissait de sa solitude. Il se sentait bien dans sa vie, dans cet environnement et dans le direction que prenait la vie. En dehors de son petit monde, l'Amérique était dans la tourmente. Comme le disait Variety le 29 octobre 1919, « Wall Street a mal joué »13. Des milliers de riches Américains furent ruinés durant la nuit, et des millions de gens ordinaires furent sans emploi. La Grande Dépression avait commencé : les usines fermaient partout dans le pays, les gens étaient jetés dans la rue sans emploi, sans argent et sans maison. La petite bulle avait éclaté14.

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    La vie continuait pourtant à peu près comme à son habitude à St Helen. Russ était un homme travailleur, honnête avec un métier stable. Peu importe les effets de la Grande Dépression sur les adultes de cette petite communauté, cela ne pouvait pas atteindre le petit garçon qui savait que sa famille ne serait jamais affamée tant qu'il y avait du gibier à attraper dans la forêt. Il y aurait toujours autant de travail pour papa puisque l'Amérique avait encore besoin de son bois. La vie était douce et simple, et la vie de Charlton ne semblait pas en proie au moindre changement tragique. (Peut-être qu'aucun changement dans la vie du garçon des bois aurait été mieux?) Sa petite bulle éclata quand Russ et Lilla ont divorcé. Charlton n'avait que neuf ans, et sa vie ne serait plus jamais la même.

    M. M.

    A SUIVRE ...

     

     
     

    7 Le texte dit « legger » entre guillemet. Le collins dictionnary en ligne donne cette définition : « un homme qui pousse par derrière une péniche à travers un tunnel en marchant le long des murs » Autant dire que c'était un mot obsolète, même il y a trente ans.

    https://www.collinsdictionary.com/us/dictionary/english/legger

    8 Le chapitre commence par « In the roaring Twenties », qui se traduit littéralement par « les années vingt rugissantes », et l'auteur donne ici une métaphore sonore qui ne peut être que maladroitement rendue en français.

    9 « frontiersman » dans le texte d'origine. Le cambridge Dictionnary le définit comme « celui qui vit à la frontière entre les terres cultivées (celle où on fait pousser les récoltes) et les terres sauvages, plus particulièrement dans l'Histoire américaine. » . Il n'a donc rien à voir avec un « colon » (un habitant d'une colonie) ou un « frontalier » (qui travaille dans un autre pays que celui où il vit.

    https://dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/frontiersman

    10 Elle décède le 8 octobre 1923.

    12 Voilà le résumé du livre The Call of the wild de Jack London.

    13 Un titre célèbre qui est resté dans les annales, mais qui date en fait du 30 octobre 1929. Impossible de trouver le titre de la célèbre revue de l'industrie du cinéma à la date que donne l'auteur. L'expression « to lay an egg » (litt. « pondre un oeuf ») est un idiome anglais issu du monde du spectacle et qui signifie « mal jouer, donner un mauvais spectacle ». C'est bien sûr une référence au mardi noir et au krash boursier de 1929. Quand on se souvient que Charlton Heston est né en 1923, on ne peut pas interpréter autrement que comme une erreur dans la date que donne Michael Munn dans son livre.

    14 Les périodes d'après-guerre sont souvent des périodes de prospérité et d'expansion économique. La période des années vingt a été un boom culturel et l'âge d'or d'Hollywood. Voilà probablement la petite bulle dont il parle.