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SE SOUVENIR DE CHARLTON HESTON par Richard Dreyfuss

Merci à Clarisse qui a partagé dans notre groupe, ce très bel hommage à Charlton Heston, écrit par Richard Dreyfuss avec beaucoup de respect, d'équité, d'objectivité et d'admiration pour Charlton Heston, cet acteur que je tiens pour le plus grand du XXème siècle, tant pis pour ceux qui en doutent !

   

19 AOÛT 2002 / 12:01

 

"Je suis timide avec les stars de cinéma. C'est vrai, mais c'est bizarre. Ma langue se colle à mon palais et tout ce que je peux trouver à dire, c'est "je vous ai aimé dans... ". Il en va de même avec Charlton Heston.

En sa présence, j'ai l'impression de hocher idiotement la tête, comme un de ces chiens qui se trouvent sur la plage arrière  des voitures. Il essaie toujours d'atténuer un peu mon angoisse, il est un tel gentleman. Nous avons parlé des enfants et du contrôle des armes à feu, mais c'est souvent sans espoir et je finis par essayer de ne pas le braquer.

C'est une activité sérieuse et drôle, le métier d'acteur. Des adultes qui courent partout en prétendant que les vêtements qu'ils portent sont les leurs, que les mots qu'ils prononcent sont les leurs, qu'ils ne font pas semblant. Ce genre de choses peut vraiment vous faire paraître idiot si vous ne faites pas attention. C'est mille fois plus ridicule si vous portez une toge ou si vous regardez hors de la scène un buisson ardent qui n'existe pas. Mais aussi ridicule qu'il puisse être parfois, le métier d'acteur a le pouvoir impressionnant de refléter notre réalité et de donner forme à l'image la plus noble et la meilleure de nous-mêmes.

Lorsque j'étais enfant et que j'aspirais à devenir acteur, il y avait des tas d'acteurs dont j'admirais le travail et que j'essayais d'imiter : (Spencer) Tracy et (Charles) Laughton, Paul Muni, Irene Dunne et Jimmy Cagney. Il y avait aussi Errol Flynn, John Wayne et Charlton Heston.

Je pensais avec arrogance, que je pourrais être quelque chose comme Tracy, quelque chose comme Cagney, quelque chose comme Laughton (enfin peut-être pas Laughton). Je les ai tous regardés. Je savais que je ne serais jamais aussi sexy que Flynn, jamais aussi héroïque que Wayne, jamais aussi mythique que Heston. Je n'ai jamais pensé une minute que je pourrais être comme Heston.

Il y a certaines performances qui ne peuvent être jouées par personne d'autre que celui qui les a jouées. Même si nous entendons des histoires sur le choix de (Ronald) Reagan pour le rôle dans  Casablanca, nous savons dans nos tripes que ce n'est pas possible, que ça ne peut pas arriver. Dieu a donné le rôle à Bogart. Dieu a donné La Rivière Rouge à John Wayne. Et Dieu a donné les rôles de Moïse et Ben Hur à Charlton Heston. Je pense que Dieu a choisi Heston comme Dieu, parce que (si je ne me trompe pas) sa voix est celle de Dieu dans les "Dix commandements", en jouant alors contre lui-même. Ils disent que Cecil B.Demille a fait la voix, mais ça ressemble à celle d'Heston pour moi. Je le crois en tout cas. Ça fait une meilleure histoire. 

Des millions d'enfants juifs ont grandi avec la confusion que :

A) Charlton Heston ÉTAIT Moïse

B) Charlton Heston n'était PAS juif. Je crois que des films comme Ben Hur ont été conçus parce que Heston était là pour les faire. Il a permis que ces histoires soient racontées parce qu'il était là pour jouer les rôles. Ben Hur avec Robert Montgomery (S'il vous plaît), Tyrone Power comme Moïse (je ne pense pas). Avec tout le respect que je vous dois, et j'en ai plein, Heston est incontournable. Il était nécessaire. Il n'y aurait pas de Course de Chars digne de ce nom sans lui. Je ne regarderai jamais Heston à la télé parce qu'il était trop grand. Ce serait comme regarder les promos de "l'Incroyable Hulk", avec le géant éclatant à travers sa chemise. Il était trop grand pour la télévision. La télé c'est petit, c'est gérable, c'est moins. Heston était presque trop grand pour le 20e siècle, sans parler de la télévision. Mais dans le mystère sombre de la salle de cinéma, Charlton Heston était "juste ce qu'il fallait".

Lorsque j'étais enfant, quand j'ai vu Charlton Heston, il m'a emmené loin, très loin, dans des endroits où peu d'acteurs pouvaient aller. Le seul autre acteur américain aussi à l'aise en dehors de cette époque était Wayne, mais Heston pouvait voyager dans le temps encore plus loin. Tous deux détenaient l'alchimie magique qui me faisait oublier complètement la banalité de " l'ici et du maintenant". John Wayne nous permettait de pénétrer dans notre passé américain. Heston, grâce à son visage parfaitement masculin, la profondeur de sa voix, le rythme mesuré presque antique de son discours, l'engagement étrangement innocent qui lui permettait de plonger sans regarder dans le rôle, m'a emmené plus loin, avant l'ère commune, comme on dit.

D'une manière ou d'une autre, il a réussi à couper les innombrables ficelles qui nous relient à nos vies actuelles, afin de pouvoir habiter si parfaitement notre passé et notre futur imaginés. Il y parvenait si bien que son malaise était évident lorsqu'il jouait dans le présent (en fait, il s'agissait plutôt de mon malaise, car il s'amusait très probablement dans les rares cas où il jouait quelque chose d'actuel). Si ce n'était pas le passé, c'était le futur. Je n'aurais jamais pu aller vers la Rome antique sans lui, ni à la "Cité des singes".

Est-ce qu'untel est un grand acteur ? Un bon acteur ? Un mauvais acteur ? En tant qu'expert, c'est une question stupide. L'acteur vous emmène là où vous devez aller ou non. Heston l'a fait ; c'est inestimable. Il pouvait dépeindre la grandeur, ce qui n'est plus un but artistique ; il pouvait dépeindre une grandeur si convaincante. Ce qu'il a su personnifier si parfaitement pour nous, c'est une vision de nous-mêmes dite héroïque. Est-ce en disgrâce ? Déphasé ? Antique ? Oui, Antique comme magnifique, incroyablement précieux, et qui n'est plus réalisé aujourd'hui,  mais c'est une critique du monde, pas de Lui (j'espère que nous reviendrons un jour sur tout ça).

En tant que personne qui a vu Ben Hur 2 millions de fois, je suis totalement reconnaissant.

La conscience de soi est l'anticipation d'être stupide et c'est souvent ce qui gâche le travail de nombreux acteurs. Charlton Heston n'avait pas ce problème. Il plongeait dans l'histoire avec ce que je ne peux qu'appeler un abandon mesuré et me faisait croire. Dieu que c'était plaisant de le regarder.

Il est devenu à la mode de caractériser sa politique ; presque comme si sa politique était une chose à part, comme la popularité de Diana. Les gens sont soit sur la défensive, soit condescendants (si ce n'est méprisants). Je peux seulement dire que j'aimerais que tous les libéraux et tous les conservateurs que je connais aient la classe et la patience dont il fait preuve. Serais-je aussi patient ou serein si tant de personnes m'avaient montré un tel mépris, ou avaient essayé de me faire sentir stupide ou minable ? J'en doute, vraiment. C'est cela la dignité, simplement et complètement. Une qualité bien plus importante que la passion politique, en fin de compte, et qui fait bien plus défaut, vous ne trouvez pas ?

C'est une chose terrible, terrible, terrible cette épreuve que traverse Charlton Heston (en début de semaine, Heston a annoncé qu'on lui avait diagnostiqué des symptômes correspondant à la maladie d'Alzheimer), mais j'avoue que dans une partie de mon cœur je lui suis reconnaissant d'avoir l'occasion de lui dire ce qu'il représente pour moi."

Cela le fera sourire que j’écrive ceci dans la National Review 〈¹〉 (entre autres publications). À bien y penser, c’est assez drôle.

 

RICHARD DREYFUSS

 

〈¹〉 National Review (NR) est un magazine bimensuel politique américain, fondé par William F. Buckley, Jr. en 1955 à New York. Il se décrit comme le magazine d'opinion conservateur « le plus lu et le plus influent » du pays. (source WIKIPEDIA)

 


(Richard Dreyfuss a remporté un Oscar pour son rôle d’acteur new-yorkais en difficulté dans « The Goodbye Girl ». Il a également joué dans de nombreux films, dont « Les Dents de la mer », « Rencontres rapprochées du troisième type » et « Qu’en est-il de Bob? »)

 

 

 

 

Commentaires

  • "il nous emmenait loin, très loin, là où il voulait"
    " Dieu, que c'était plaisant de le regarder"
    Il y a tout dans ces deux phrases, tout Chuck. Je n'ai pas besoin de plus

  • Merci Astride. Tes commentaires sont toujours justes.
    Oui, nous n'avons pas besoin de plus. Richard Dreyfuss nous prouve ce qu'est la véritable amitié, sincère, objective. Je suis très touchée par tous les mots qu'il exprime si bien et qui viennent directement de son coeur. Un grand bonhomme aussi Richard Dreyfuss.
    Bisous à toi.

  • Merci d'avoir traduit ce très belle hommage bouleversant et comme vous le dites objectif de Richard Dreyfuss à Charlton Heston, (longue vie à Richard !) que j'avais partagé sur le groupe Facebook, depuis ces derniers mois, j'essaye de retrouver d'anciens hommages faits à Charlton Heston par des personnalités célèbres, des personnes dont la parole a de la valeur dans le mileu du cinéma ou dans d'autres milieux.

    Concernant la photo que vous avez aussi partagé avec cette traduction et qui réunit Richard Dreyfuss et Charlton Heston, si je ne me trompe pas, je crois reconnaitre Jack Valenti (1921-2007) au centre, à l'époque encore président de la Motion Picture Association of America (MPAA), il était très proche de Charlton Heston et fut la troisième personalité (le premier étant Chuck) a qui fut decerné un "Charlton Heston award" par l'AFI (Prix qui depuis est supprimé). Valenti est également l'auteur d'une critique de l'ouvrage autobiographique de Chuck "In the Arena publiée le 1er octobre 1995 dans le Chcago Tribune, un article qui a pour titre "Acting like a legend" et pour sous titres "Charlton Heston looks back on a 40-year career"

    J'ai pu avoir accés à ce fameux article via le site Proquest en entrant mon code étudient, en voici la transcription (j'ai tout recopier car n'ayant pas pu faire un simple copier coller) :

    There are two singularities resident in Charlton's personal story of his cinema/stage life. One, an authentic, accessible insight into the real world of moviemaking guaranteed to entice anyone who cares about films. Two, a rare instance of a superfamous star/artist actually writing his own material, no "as told to" colaborators or ghost writers on the scene. The result : Sprightly prose, full of juice and elegance.

    Heston is a globaly celebrated, living film legend, ranking alongside Kirk Douglas, Gregory Peck and the slightly younger Clint Eastwood and paul Newman. Early on he was infected by a love for language, which explains why his volume vibrates with a romantic reverence for what Churchill called "the essential structure of the simple English sentence which is a noble thing"

    What is fascinating about Heston's account of a 40-year career in storytelling on film and tape is the tug he feels for the stage, relatively rare among film actors. Like an old warrior who cannot resist returning to that ground where first he fought his battles, Heston forgoes time and again lucrative movie offers to face live audiences. This is not a trivial pursuit for any publicity acclaimed movie actor who must know that when he journeys from movies to stage he will nt be universally beloved by drama critics, who more often than not sniffily resent the crossover. "A man for All Seasons" (Robert Bolt's masterwork is a Heston favorite). "Macbeth", "The Caine Mutiny", "Detective Story", "A Long Day's Journey Into Night" (among others) were all inhabited on stage by Heston both in the U.S and abroad.

    Heston's idols are Jimmy Stewart, Gary Cooper, Laurence Olivier, Orson Welles and Cary Grant, all of them he worked with (excepting Grant). Like Hall of fame professional athletes, they made the difficult seem gracefully simple, which Heston is the supreme achievement.

    It was Orson Welles who gave Heston a star rostrum in "Touch of Evil", and Heston's chronicle of this mesmerizing film that failed at the box office, one of the best of the film noir genre, is the stuff of which film cults are formed, Heston tells the story of a film buff approaching Welles with a query about "Citizen Kene", "When Kane drops the glass ball and says 'Rosebud' there is no one in the room, so how do we know those are his last words ?" Welles leans forward and whispers, "You must never repeat one word of what you just told me to a living soul."

    It was, however, Cecil B.Demille who launched Heston toward stardom with the role of the circus manager in "The Greatest show on Earth". And it was William Wyler who set Heston's career on fire with "Ben-Hur", which won for the young Heston an Academy Award for best actor. In his account of the making of "Ben-Hur", Heston illuminates the exhausting daily grind of managing a huge army of artisans, actors, laborers, technicians. Not much glamor attaches to back-breaking labor endured by a star as he learns to drive a chariot, wield a broadsword, uncoil a rapier, master a horse. But it is necessary, so that when the completed film colllides with an audience in a darkened theater, sparks fly up.

    Heston exalts the role of the writer. Christopher Fry was brought into "Ben-Hur" shooting to shape the dialogue so that it would evoke the era of early Christianity, not 20th Century conversation. Thus the line 'You did not like the meal ?" was rescued by Fry to become "The meal did not please you?" Such, asserts Heston, is the difference betwwen the merely good and the very best. And that is why Willy Wyler, that smallish, taciturn artist, is Heston's hero director, though he also venerates George Stevens Sr. in his pantheon of Gods of the Screen.

    Once Heston asked Wyler "How did it go with Streisand" after Wyler had just completed "Funny Girl" with Barbra. (Streisand early on had a reputation for being 'difficult' on the set). "It went quite well," responded Wyler, "considering this was the first picture she ever directed."

    "In the Arena" is about Heston's search for professional perfection, or as near as one can get to that elusive quarry. The nearest anyone got, writes Heston, is Laurence Olivier in one divinely inspired evening as Othello. When his co-star Maggie Smith, awe-struck, asked him later in his dressing room "Larry do know how good you were ?" Olivier in haunted voice softly replied : "Yes, but I don't how I did it." Heston believes he personally came the closest in his role as "Will Penny", a western that will never die.

    "In the Arena" is also about canards, the most prevalent of which insists that Hollywood elite is in perpetual manic dash to the divorce courts. Heston's portraits of his actress/photographer wife, Lydia, with whom he celebrated last year their 50th anniversary and his son, Frasier (now an acclaimed writer/director in his own right), and daughter, Holly, is a poetic rebuttal to press accounts of filmdom's soiled marriages and broken homes.

    This is also a book about conviction, without which any man will be right only by accident. And however one views Heston's creative or political views, no one can doubt this is a man who has lived his life without once lifting his finger to check the transient winds that blow.

  • Merci Clarisse pour vos interventions dans les commentaires. Vos commentaires sont excellents. Merci également pour cet article que je vais traduire et publier aujourd'hui.

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