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28 - Charlton HESTON et le Western (4ème partie)

 

«  Je viens de lire les vingt premières pages d’un script sensationnel, si le reste est du même niveau, ça peut donner un grand western , on pourrait demander à HUSTON ou à STEVENS de le mettre en scène ! »

«  oui, mais il y a un souci Chuck ; l’auteur ne vendra pas le script s’il ne le met pas en scène »

«  Qu’est ce qu’il a fait jusqu’ici, ce gars ? »

« Oh, juste un peu de télé, quelques séries »

«  Allons, Walter, arrête de plaisanter ! »

« Je plaisante peut-être, mais l’auteur pas du tout ; s’il ne dirige pas le film, il ne vendra pas le scénario ! »

Voici un résumé de la conversation téléphonique entre Charlton HESTON et son ami producteur Walter SELTZER quand l’artiste, séduit par le scénario de « WILL PENNY »commença à faire des recherches pour financer le projet ; effectivement, il avait pensé à des metteurs en scène chevronnés pour assurer la réalisation, mais suite aux informations fournies par SELTZER, catégorique quant aux intentions du futur « director » Tom GRIES, il changea d’avis immédiatement ( « I’ve just changed my mind ») et accepta l’idée qu’un parfait inconnu prenne les rênes d’un projet relativement risqué en 1967 , période de crise sans précédent pour l’industrie du cinéma américain …

 

 

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         WALTER SELTZER & TOM GRIES

 

 

En effet, on est à un tournant de l’histoire des grands studios, car de nombreux producteurs indépendants débutent à l’époque dans le métier, on recherche des projets peu coûteux mettant en valeur les aspirations de la jeunesse révoltée de l’époque, les grosses majors comme la FOX et la MGM ne se sont pas remises de l’échec de plusieurs grosses productions, et un projet de western intimiste sur les errances d’un cowboy quinquagénaire ne rentre absolument pas dans les critères de rentabilité d’un studio comme PARAMOUNT auquel SELTZER va s’adresser pour soutenir et distribuer le projet, après avoir essuyé un refus poli de Dick ZANUCK, nouveau président de la FOX, qui considère HESTON comme peu « bankable » désormais, point de vue qu’il nuancera comme par hasard après le triomphe de «  PLANET OF THE APES » !

HESTON va jouer une fois de plus avec son statut de star de films épiques dont il a plus qu’assez depuis un bon moment, et il n’est pas plus illogique pour lui de jouer un vieux cowboy sans avenir qu’un général rebelle à l’autorité ( KHARTOUM) ou un chevalier amoureux tourmenté par son passé ( THE WAR LORD) ; son souci d’expérimenter et prendre des risques reste intact, et il désire plus que jamais apprendre au contact de nouvelles personnes, pourquoi pas dans ce cas œuvrer avec un «  metteur » inexpérimenté s’il peut lui apporter de la fraîcheur et des idées nouvelles !

«  Tom GRIES est un étrange personnage, qui commence le métier de metteur en scène un peu tard, mais semble décidé à balayer en un seul film toutes les frustrations et les manques qu’il a accumulés en tant que scénariste ou «  script doctor » ; ça devrait m’inquiéter mais ce n’est pas le cas, car il a pour lui beaucoup d’envie et de volonté qui vont aider le film » ( journals, the actor’s life)

« WILL PENNY » sera donc ce western atypique et très réaliste, sans commune mesure avec une fresque coûteuse aux nombreuses stars comme « THE WAY WEST » que Herman CITRON avait proposé à l’artiste dans la perspective d’un cachet alléchant pour son poulain et d’un tournage paisible , autant de choses qui à l’époque n’attirent pas HESTON,ce qui explique en partie son refus ; l’autre raison étant que Andrew Mac LAGLEN, sur lequel il changera d’avis plus tard, ne lui semble pas avoir l’envergure pour réaliser une épopée de ce genre ! Consterné par son SHENANDOAH , dont il dira que «  c’est le film le plus chargé de clichés que j’aie pu voir sur la guerre civile américaine » (toujours nuancé dans ses propos, notre héros…) il préfère se retirer un peu tard du projet ce qui offrira le rôle à son grand ami Kirk DOUGLAS, qui ne tirera pas grand chose non plus d’un personnage de chef de caravane autoritaire et mystique !

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Retour au western gagnant avec «  WILL PENNY « ? certainement, puisque l’acteur va pouvoir composer un vrai personnage auquel on peut s’identifier, loin des clichés héroiques ,un être marqué par une vie de pur ouvrier du bétail, inculte et pourtant riche d’émotions et d’un besoin d’amour que sa rencontre avec une voyageuse jouée par la remarquable Joan HACKETT va lui révéler, mais trop tard dans sa vie ,du moins à ses yeux ; western bouleversant par son réalisme et son souci de vérité presque documentaire, «  WILL PENNY » sera un échec financier, en partie parce que PARAMOUNT n’y croira pas et le distribuera n’importe comment, provoquant la grande colère de l’artiste ; pourtant HESTON ne reniera jamais ce film, qu’il considère comme un de ses meilleurs, et restera «  fair play » quand à l’inexpérience de GRIES, très à l’aise dans les scènes intimistes, plutôt moins dans les séquences d’action qui s’apparentent plus à un bon téléfilm qu’à une production de cinéma ; mais ces quelques réserves ne justifient pas les critiques virulentes du biographe Mark ELIOT, qui considère que « même si HESTON donne à son personnage force et sobriété, beaucoup de choses ne vont pas dans ce film, à commencer par le fait que le film est englué sur la fin dans des décors de studio claustrophobiques , et aucune vraie émotion ne se traduit dans les scènes intimistes qui devraient en déborder » !

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Jugement bien sévère, qui ne tient pas compte des conditions budgétaires qui ont limité les possibilités de GRIES même s’il tire très bien parti des décors naturels quand l’occasion lui est donnée ; à ce titre, on peut préférer l’analyse de Michael MUNN, qui considère pour sa part que « WILL PENNY , comme par miracle arrive à obtenir une balance délicate et quasi parfaite entre les scènes d’action inévitables dans un western et le vrai sujet, celui d’une rencontre bouleversante entre deux écorchés vifs de la vie qu’un amour sincère rapproche pour une courte période » …

La vérité se situe peut-être entre ces deux analyses, et on peut effectivement penser qu’un réalisateur du calibre de STEVENS, dont le « SHANE » n’est pas très loin de «  PENNY » d’ailleurs, aurait su donner plus de souffle à cette aventure, mais tel qu’il est, ce «  petit western » en termes de production reste extrèmement attachant, et la prestation d’HESTON profonde et subtile, inattaquable …

Satisfaction artistique pour l’acteur, WILL PENNY est un nouvel échec commercial à un moment ou il a besoin de retrouver une image positive auprès du public, mais ce n’est pas la raison pour laquelle HESTON ne retournera pas au western avant huit ans, car il ne choisit jamais les films en fonction de leur genre, mais du potentiel créatif qu’offrent le scénario et les personnages qu’il doit incarner, ce sont ses seuls critères…

« J’ai besoin de trouver le caractère et la stature humaine de personnages qui ne sont nullement des héros, mais peuvent se retrouver transformés par des situations «  extraordinaires et je m’intéresse à cet aspect des choses, beaucoup plus maintenant que quand j’étais un jeune acteur qui ne comprenait pas forcément les rôles en profondeur, c’est ce que j’ai aimé faire en jouant PENNY ou TAYLOR » ( IN THE ARENA, auto-biographie)

Ce retour au western se fera donc beaucoup plus tard, et pendant cette période, le genre déjà à l’agonie sur le plan commercial, aura subi d’importants changements ; la mode va être au «  spaghetti westerns » sous l’influence de Sergio LEONE, mais aussi aux films américains ayant subi cette influence , comme « JOE KIDD » de STURGES ou «  THE HUNTING PARTY « »de Don MEDFORD, et la violence la plus crue va s’installer sur les écrans, rompant totalement avec la tradition de sobriété à ce niveau que respectaient les MANN , DAVES et autres Howard HAWKS ; disons-le, l’hémoglobine coule à flots, et le tenant du titre dans ce domaine est Sam PECKINPAH, qui réussit avec THE WILD BUNCH son « opéra de la violence » dont MAJOR DUNDEE n’était finalement que l’ébauche…

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Sam Peckinpah et Charlton Heston

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Comment HESTON se positionne t’il à ce sujet à l’ époque, lui qui vient de signer un manifeste pour le «  gun control » suite à l’assassinat de Robert KENNEDY , et qui craint terriblement de voir l’Amérique, en proie à des troubles politiques majeurs, sombrer dans la brutalité et les excès de toutes sortes ?

Sa vision est claire, il considère que la violence au cinéma doit s’exprimer, certes puisqu’elle est hélas le reflet de l’évolution de la société, mais qu’elle doit être « manipulée » avec grandes précautions, ce qui le rend très critique quand à certains films «  anti-establishment » comme le dernier WYLER, «  THE LIBERATION OF LB JONES » dont il dira : «  c’est un film très bien fait, mais je ne reconnais pas le pacifisme de WYLER , car ce film pourrait déclencher une guerre ! »

C’est pourquoi on peut s’étonner que le dernier « vrai » western important de l’artiste puisse être ce «  THE LAST HARD MEN » ( LA LOI DE LA HAINE) pour deux raisons de poids :

La première, c’est qu’il va se retrouver dirigé par Andrew Mac LAGLEN, qu’il n’apprécie pas comme metteur en scène au départ, le jugeant comme un « sous John FORD » qui a surtout servi la soupe à John WAYNE sur une dizaine de films, et ce n’est pas tout à fait faux.

La deuxième, c’est que le film quand à son scénario s’apparente à un western spaghetti à la sauce américaine, avec beaucoup de débordements sanglants à la clef, une histoire de vengeance pas spécialement originale, et la perspective peu attrayante de voir la violence la plus gratuite s’étaler sur l’écran, ce qui est contraire à ses principes !

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Concernant le choix du «  metteur »on ne peut lui jeter la pierre, car les décideurs sont BELASCO et SELTZER, et pour la première fois depuis longtemps, il se voit refuser la proposition d’engager Jack SMIGHT, réalisateur bien plus inspiré que Mac LAGLEN, ainsi que celle d’engager Sean CONNERY, idée intéressante, mais qui sera finalement remplacé par un bon copain et excellent acteur quand il n’en fait pas trop, James COBURN …

Concernant le propos même du film et le rôle de la violence dans ce western à la mode, HESTON va faire contre mauvaise fortune bon cœur tout en regrettant les excès liés à l’époque, dont une scène de viol particulièrement insistante ( «  suggesting things would have done better » dira t’il à ce sujet) et tenter de donner de la substance à un personnage de shérif un peu monolithique sur le papier, mais dont il refusera de faire un héros, appuyant au contraire sur le vieillissement et les doutes d’un homme à la retraite, qui voit l’Ouest se transformer et le 20ème siècle arriver, sans qu’il puisse vraiment s’adapter à ces changements ; tous ces aspects du personnage de Sam BURGADE sont bien mis en valeur par une performance plutôt sobre du comédien, à l’opposé du métis haineux Zach PROVO joué par COBURN, qui arrive à se délester de ses schémas de jeu éprouvés comme ce fameux «  COBURN smile » pour incarner parfaitement ce repris de justice aveuglé par son désir de vengeance et qui kidnappe la fille de son ennemi pour mieux l’attirer vers lui…

Fille incarnée par la remarquable Barbara HERSHEY, qui n’est pas encore la star que l’on connait maintenant mais qui fait preuve dans son rôle d’une autorité et d’une fougue qui remuent les vieux clichés du genre, tout en apportant un esprit de révolte du à sa culture « pop hippie West Coast » plus qu’étranger à nos deux vieux héros ; les deux acteurs seront d’ailleurs amusés par sa forte personnalité et séduits par son professionnalisme, même si HESTON se fâchera un peu avec elle quand elle voudra insister dans les scènes finales sur la futilité de toute violence..( « comment peut-elle se révolter contre ce qui est certes une boucherie, alors que son père git au sol mortellement blessé et qu’elle doit avant tout tenter de le sauver ? » objectera t’il non sans bon sens dans ses «  Journals »…

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Ces quelques divergences, alliées à un certain énervement d’HESTON devant l’attitude de COBURN («  Jimmy ne sait pas toujours ce qu’il doit faire et argumente sans cesse, ce qui peut devenir une facilité, il est très bon dans le rôle, mais ses questions sont parfois meilleures que ses réponses » ( Journals ,octobre 75) n’empêcheront pas le tournage de finir dans les temps et THE LAST HARD MEN d’être finalement un western plus qu’intéressant, ou le thème de la mort de l’Ouest et d’un mode de vie devient finalement plus important que la seule histoire de vendetta déjà vue cent fois ; quand à la mise en scène de Mac LAGLEN, elle est certainement sa meilleure, de par la vivacité du montage et la qualité des séquences d’action, sans tomber dans les pantalonnades pseudo -comiques à la FORD dont cet auteur semble ne pouvoir se passer habituellement !

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Ce western violent mais finalement bien construit sera pour nous, un peu le chant du cygne de l’artiste dans ce genre particulier, car il est difficile de prendre en compte les quelques téléfilms ou il aura participé plus tard ( y compris l’excellent PROUD MEN qui est une sorte de western moderne) ou même l’intéressant MOUNTAIN MEN qui relève plus à nos yeux du film d’aventures historique que du pur western ; dans la carrière considérable de Charlton HESTON, le western n’aura certainement pas été un accident de parcours, mais pas non plus un choix délibéré de s’ancrer dans la légende d’un certain cinéma ; à l’image d’un artiste qui souhaitait avant tout progresser ,vivre des aventures nouvelles et ne jamais être prisonnier d’une formule, ces films qu’ils soient excellents, bons ou seulement passables, ont reflété ses choix et désirs du moment, et le bilan de l’expérience westernienne de l’artiste, comme finalement celui de tous les genres qu’il a pu aborder sans jamais s’y enfermer, ne peut à nos yeux être tenu que comme tout à fait positif, et finalement peu importe qu’il soit considéré par divers spécialistes comme un grand acteur de western ou pas, car c’est le type même d’accolade dont il ne se souciait guère.

 

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