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  • 22 -« L’EXTASE ET L’AGONIE » à la recherche des « hommes extraordinaires »

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    « Michel-Ange est certainement un des talents les plus extraordinaires que le monde des arts ait pu produire, je le mettrai sans hésiter au même niveau que Mozart et légèrement en dessous de Shakespeare ; il est également un des plus difficiles à percevoir, ce qui est une des raisons qui m’a poussé à accepter le rôle »

    Dans cet extrait de son autobiographie «  IN THE ARENA » HESTON exprime un trait de caractère qui lui est propre, une volonté affichée de rechercher la difficulté dans la création de ses personnages, et si possible de jouer des «  characters »qui sortent des sentiers battus ; au milieu des années 60, tandis que beaucoup de ses collègues et non des moindres, les NEWMAN, Mac QUEEN, BRANDO , ont tendance à jouer des personnages contemporains en partie pour conserver leur public, HESTON lui, se tourne délibérément vers des figures historiques et politiques des siècles précédents, fasciné qu’il est par l’Histoire, les personnages de légende et d’une manière générale, ce qu’il appelle les «  extraordinary men », pas forcément pour se singulariser ou par un quelconque élitisme, mais essentiellement parce qu’il sent qu’il apprendra plus de cette expérience qu’en se contentant de jouer les «  Monsieur tout le monde »…

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    On pensera ce qu’on voudra de ses choix, mais force est de constater qu’ils sont le fruit d’un élan et d’une passion naturels, et en aucun cas celui d’un calcul économique méthodique de sa part visant à préserver son statut de star, d’autant que la plupart de ses projets du moment ne rencontreront pas le succès, et ce jusqu’au triomphe de «  PLANET OF THE APES » !

    Voici donc, quelques semaines à peine après la fin du tournage de l’éprouvant «  MAJOR DUNDEE », l’artiste embarqué dans une nouvelle aventure, à ROME , sur les lieux mêmes ou il tourna «  BEN-HUR »,ce qui lui procure d’entrée beaucoup de plaisir car il adore le pays, son peuple et sa culture, et n’en conserve que d’heureux souvenirs ; logé par la FOX dans une somptueuse villa de la Via Appia comprenant seize chambres, il va se sentir au départ plutôt seul, et assez gêné de se retrouver « traité comme Liz TAYLOR » ( !) et surtout sans la présence de sa famille qui ne le rejoindra que pour les vacances..

    Mais beaucoup de travail l’attend, avec pour commencer de nombreuses lectures afin d’en savoir plus sur l’artiste et l’homme qui va, comme souvent, finir par l’obséder totalement, un peu comme Van GOGH avait pu longtemps hanter Kirk DOUGLAS avant et après le tournage du film de MINNELLI : comparaison qui n’est pas déplacée, les deux comédiens, amis par ailleurs, ayant en eux cette volonté de tout connaitre sur les personnages qu’ils ont à incarner, ce qui pour HESTON passe par une approche quasi-universitaire et une totale immersion «  physique » dans son rôle.

    Le projet étant inspiré du roman d’Irving STONE dont le scénariste Philip DUNNE n’a retenu qu’une période de quatre ans consacrée à son travail sur la chapelle Sixtine, HESTON va se pencher, pour en savoir plus, sur une biographie écrite par VASARI, un ami du sculpteur ,écrite peu de temps après sa mort, et aussi sur de nombreuses lettres adressées à sa famille, tout cela pour comme il le dira lui-même, «  trouver Michel-Ange », comme il aura pu essayer de «  trouver » EL CID, Andrew JACKSON ou GORDON un peu plus tard..

    Déçu par les biographies qu’il va également lire sur le sujet, et considérant que dans toutes ces pages, «  l’artiste ne me parle pas, je n’arrive pas à mettre la main sur lui » HESTON va consacrer sa première semaine à discuter le rôle avec Carol REED, qui commence à le faire répéter, mais semble ne pas le convaincre dans son approche : le grand Carol, magistral metteur en scène de «  THE THIRD MAN » et «  ODD MAN OUT » n’est plus en effet le redoutable « puncheur » plein d’idées d’autrefois, et semble être devenu davantage un réalisateur qu’un créateur, ce qui va peu à peu indisposer HESTON, convaincu qu’il doit être poussé à se dépasser par les instructions de son director, et qui va constater que REED est trop gentil, trop bien élevé et trop «  british » pour le faire avancer ; jugement un peu dur quand on connait le pedigree de Sir Carol, mais étant donné le perfectionnisme du Chuck, rien de surprenant dans ce jugement sévère !

    En tous cas, livré donc un peu à lui-même quant à ses recherches sur l’artiste, HESTON va définir deux axes importants dans sa vision du personnage :

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    — Michel-Ange, selon lui, est avant tout un sculpteur, il n’a jamais aimé peindre, et la commande que lui a imposée le pape Jules pour la Sixtine fut pour lui un fardeau, un honneur et un labeur ou il s’est surpassé dans l’exécution, mais aucunement un bonheur artistique, car ce qu’il aimait avant tout, c’était sculpter du marbre…

    — Michel-Ange, malgré des éléments évidents mis à jour par certains de ses contemporains et lui-même dans ses écrits, n’était pas spécialement homosexuel, et ce fait non avéré selon HESTON n’a pas eu grande incidence sur son travail, car «  il n’était pas ému par ses contemporains, il n’a jamais eu d’histoire d’amour essentielle dans sa vie », vu que ce qu’il aimait avant tout, c’était sculpter du marbre…

    Autant l’analyse faite sur les « préférences artistiques » de l’artiste parait indiscutable historiquement, et sert d’ailleurs de base à tout l’affrontement entre l’artiste et le politique ensuite, autant celle relative à ses «  préférences amoureuses » peut faire grincer quelques dents aujourd’hui, et provoqua même en 1965 des remous compréhensibles ; à ce sujet, il est intéressant de noter que Burt LANCASTER avait été pressenti le premier pour jouer Michel-Ange et avait bien entendu, envisagé de le jouer totalement sous l’angle de l’homosexualité, ce qui correspond bien à l’état d’esprit de ce trublion libéral et sans tabous qu’était le grand Burt ; la FOX ayant décidé de ne pas s’engager avec lui dans ce projet et sentant que son projet de spectacle familial allait en prendre un coup, on va donc prendre avec HESTON le point de vue opposé, et même « inventer » de toutes pièces une romance avec sa bienfaitrice, la » Contessa » jouée d’ailleurs finement par Diane CILENTO, qui dira d’ailleurs plus tard s’être très vite bien entendue avec Chuck, mais avoir très vite perçu « qu’il n’allait jamais le jouer comme étant le cas le mieux documenté d’homosexualité de l’Histoire, et ça en devenait presque une blague sur le plateau » !

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    Soyons justes, avec le recul, il est facile de nos jours de moquer le choix délibéré d’HESTON d’éviter toute allusion aux penchants amoureux de l’artiste, et certains en ont du reste profité pour dénoncer « l’homophobie » de l’acteur, ce qui est par contre injuste et faux ; il est sûr que Chuck n’était pas attiré par le milieu « gay » d’HOLLYWOOD, mais il disait lui-même avoir beaucoup d’amis respectables et appréciés par lui dans cette communauté, avoir travaillé avec un bon nombre d’entre eux et n’être en aucun cas, homophobe, précision importante à notre époque de conformisme et de bien-pensance…

    Il se trouve juste qu’à l’époque, le choix d’une certaine neutralité dans ce domaine prévalant dans quasiment tous les films, il n’est pas choquant que REED et ses collaborateurs aient préféré s’intéresser à l’angle artistique et politique, et on peut difficilement, toujours avec le recul, leur donner tort vu le résultat.

    Concentré donc sur ce qui lui parait essentiel, l’approche créative déçue d’un sculpteur de génie obligé de peindre une chapelle qui ne l’inspire pas au début du moins, HESTON va se préoccuper d’obtenir la ressemblance la plus parfaite possible avec son modèle, malgré sa taille nettement supérieure, cherchant même à obtenir par le biais d’un maquillage saisissant «  un nez encore plus cassé que le mien au départ ! » une coupe de cheveux à la Florentine et une barbe inspirée d’illustrations d’époque, mais sans oublier que cette apparence physique, n’importe quel « hard-working » acteur peut l’obtenir, ce qui est le plus difficile, c’est de comprendre Michel-Ange, et transmettre cette vision au public…

    Et là-dessus, il va buter un bon moment, jusqu’à ce que, comme le souligne son excellent biographe Michael MUNN, il prenne conscience des efforts physiques intenses qu’a pu fournir l’artiste, lors de l’ascension du gigantesque échafaudage grandeur nature conçu par le studio dans l’immense pièce utilisée pour représenter la Sixtine, véritable « cœur » du film ; mis à contribution par les incessants va et vient nécessaires lors du tournage, il va mesurer que ses efforts journaliers ne sont rien en comparaison de ce que l’artiste a pu souffrir et éprouver lors de ses fatigantes séances , dans le froid, travaillant jusqu’à épuisement près de dix heures par jour, et l’aspect quasi –mystique de cette expérience va déterminer son jeu d’acteur pendant tout le reste du tournage : comparant l’ascension pénible de cet échafaudage, barbouillé de peinture et s’abimant la vue dans une lumière très précaire, il se voit comme un Christ face à son Golgotha, sinon comme un Sisyphe poussant son rocher…

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    Ces heures de tournage difficiles ,dans le cadre d’une réplique exacte de la Sixtine, le plafond de l’originale ayant été entièrement photographié puis reproduit, par un tour de force technique, aux dimensions adéquates, seront un moment particulièrement positif pour Chuck, car il va aimer le travail d’équipe qui y préside et surtout, trouver cela bien plus » reposant », curieusement, que tout ce qu’il vient de subir sur DUNDEE et 55 DAYS IN PEKING peu avant ; néanmoins, comme pour tout tournage, il y aura, si j’ose dire, quelques ombres au tableau…

    La première, c’est le temps perdu, préjudiciable aux yeux de l’artiste, par la production à cause de Leon SHAMROY, photographe attitré de la FOX, et qui n’est pas loin de se prendre pour la star du film ! L’homme en effet a la fâcheuse tendance à occuper le plateau pour régler ses lumières pendant de longues heures, faisant dire à certains farceurs sur le tournage qu’il est tout près de se prendre pour Michel-Ange himself… HESTON, furieux de voir qu’on gaspille un temps considérable à ne pas pouvoir répéter ni tourner, s’en prend d’ailleurs à Carol REED, trop gentil sur cette affaire et qu’il soupçonne de ne pas mener la compagnie d’une main assez ferme ! ( toujours dans la nuance, notre artiste !) ; mais rien n’y fait, et Chuck en voudra tellement à SHAMROY qu’il mettra son véto sans succès à son emploi pour PLANET OF THE APES deux ans plus tard…

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    Deuxième ombre au tableau, et celle-ci plus gênante, le comédien choisi pour incarner Jules, le pape guerrier et fin politique, rôle essentiel dans l’histoire, n’est autre que Rex HARRISON, british jusqu’au bout des ongles, avec les bons et les mauvais côtés ; Laurence OLIVIER, personnage moins excentrique, avait été pressenti au départ pour le rôle, et HESTON s’en faisait une joie, mais le grand Rex, tout à sa gloire récente d’avoir incarné le professeur Higgins de MY FAIR LADY avec le brio que l’on sait, va certes prendre le personnage du pape au sérieux, mais aussi faire montre d’une pétulance qui va vite embarrasser le très professionnel HESTON, un homme qui arrive à l’heure, sait son texte ,n’est jamais ivre et est bon dès la troisième prise ; HARRISON, malgré son immense talent, c’est plutôt quelqu’un qui arrive en retard, ne sait pas trop son texte, a généralement bien bu la veille et attend la quinzième prise pour être excellent…

    On imagine donc avec amusement les ruades impatientes du piaffant destrier HESTON devant attendre l’arrivée de son ô combien génial partenaire, et obligé de rejouer plusieurs fois une scène ou il pensait s’en être bien sorti, parce que Sir Rex a omis quelques lignes, prétextant avec mauvaise foi que les lumières étaient mal en place, ou que la canne que REED lui fait tenir, le déséquilibre dans ses mouvements…

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    Ce furent en tous cas à n’en pas douter de grands moments de comédie, sur l’écran et en dehors, et je me dois de citer à ce sujet le témoignage du regretté Venantino VENANTINI, qui tenait un petit rôle de nonce (bien payé ) dans le film ; il m’offrit en effet son analyse lors d’une conversation que j’eus avec lui  il y a quelques années, une rencontre bien sympathique et pour moi inoubliable :

    "En gros, nous avions là deux superstars désireuses de marquer leur territoire, l’une prête à tout donner du premier jet, regardant en direction du signor REED avec sévérité ou impuissance théâtrale dès que quelque chose ne tournait pas rond, l’autre prenant son temps, coupant une scène au moindre prétexte, réclamant un conciliabule avec le «  metteur » au grand dam de sa co-star dès qu’elle avait le moindre doute",  ce devait être quelque chose !

    Monsieur VENANTINI, cependant, m’avait quand même souligné que, dès lors que tout était enfin en place, la fusion du talent des deux acteurs opérait vraiment, et qu’il avait beaucoup appris de leurs moments de grâce, qui furent nombreux."

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    On ne peut que le confirmer en revoyant l’ouvrage maintenant, car, si la mise en scène de REED est effectivement belle, mais plutôt sage et académique à l’exception des scènes en extérieur dans les carrières qui ont vraiment du souffle, l’essentiel de l’impact du film provient du rapport entre les deux personnages principaux et donc des comédiens qui les jouent ; il apparait en effet que la clef du film , ce n’est pas essentiellement la vie de Michel-Ange dont il ne couvre qu’une partie, mais le rapport antagoniste entre l’art, la religion et la politique ; d’où le choix d’opposer l’artiste, qui se veut indépendant et ne peut se contenter d’être un pion au service de l’Etat, et le politique, qui a le pouvoir de faire vivre et travailler l’Artiste, mais en contrepartie lui impose ses exigences et ses préférences au nom de la raison d’Etat ; d’ailleurs, la subtilité du scénario de DUNNE fait qu’il n’y a aucun manichéisme dans sa vision des choses, chaque personnage a ses torts et ses bonnes raisons d’agir, le premier au nom de son Art et de son refus de se satisfaire d’une commande bâclée, le deuxième parce que la réalisation de cette ŒUVRE doit renforcer l’image et le pouvoir de l’Eglise, à un moment ou il sait que son autorité chancelle, et dans son esprit, peu importe que l’ouvrage soit parfait ou pas, il faut surtout qu’il soit livré à temps !

    Toute cette partie du film est remarquable, tant dans l’écriture que dans l’affrontement des deux egos opposés ,et pourtant finalement complémentaires dans la magnifique scène finale ou les deux hommes évoquent leurs rôles respectifs sur cette Terre, instant magique de grand cinéma ou Sir Carol sort un peu, et au bon moment, de son relatif académisme ; on serait même tenté de dire que HESTON, qui considérait à l’époque cette performance comme sa meilleure, n’est jamais aussi bon dans ce film que dans les moments ou il est confronté à HARRISON, car il faut la concurrence d’un redoutable « bretteur » comme l’Anglais pour lui faire donner le meilleur de lui-même, sa confrontation avec Olivier dans KHARTOUM sera d’ailleurs du même niveau.

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    «  J’aime jouer avec des Britanniques, ils ont pour eux cette culture, cet héritage shakespearien, ce goût pour l’excentricité et en même temps la justesse de ton et l’humour narquois qui nous échappent à nous Américains, et dont il y a tant à apprendre » ( IN THE ARENA)

    Le tournage terminé en Septembre, prêt à commencer THE WAR LORD qui sera un nouveau défi historique, Chuck est sincèrement persuadé que non seulement le film est très bon et son interprétation aboutie, mais qu’il va aussi «  fonctionner » auprès du grand public ;

    De plus, aucun problème de «  reprise en main » par la production du film, qui a souvent ruiné d’autres entreprises comme DUNDEE ou PEKING n’est à redouter, car la FOX et Sir REED étaient sur la même longueur d’onde ; l’insuccès flagrant du film à sa sortie, aux USA et même en EUROPE l’année suivante, va donc sérieusement ébranler l’artiste, non dans ses convictions, mais dans son cœur vu tout le travail entrepris et ses efforts pour vraiment «  sortir » Michel-Ange de lui-même, et on peut comprendre cette déception terrible ; peut-être l’époque ne se prêtait-elle déjà plus à des projets épiques ou historiques coûteux, ou peut-être son public n’arrivait-il pas à l’imaginer dans un rôle d’artiste et non de militaire ou de figure historique emblématique, il est difficile de comprendre les raisons profondes d’un tel échec, commercial s’entend, car THE AGONY AND THE ECSTASY reste un fort beau film , avec ses défauts et ses points forts…

    En fait, l’explication la plus terre à terre et certainement fondée est peut-être à mettre sur le compte du terrible Herman «  Iceman » CITRON, l’agent de l’artiste, qui déclara à son poulain après la sortie du film :

     

    «  Allons, Chuck , qu’est- ce que tu espérais ? Franchement, faire un film sur un type barbu et dépenaillé occupé à peindre un plafond ! Il faut que tu te remettes à faire des films que les gens auront envie d’aller voir ! »

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    12 MARS 2020 

    A CECILE .