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CHARLTON HESTON STORY : Cinémonde N° 1620 du 5 octobre 1965 - épisode 5 & fin.

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5/UN HOMME, UN VRAI !

RESUME DES CHAPÎTRES PRECEDENTS. — Né dans les sauvages forêts du Michigan, Charlton Heston, qui n'a pas le format ni le physique courants, apprend son métier à la radio, à la TV alors vagissante, mais s'affirme dès son arrivée à Hollywood et, depuis quinze ans, y tient des rôles de géant. 

Le succès est corrosif. Le  sien était solitaire. En onze années de mariage, il n'avait guère vécu avec sa femme plus de cinq ans. C'est par superstition qu'il conservait à New York son petit logement sans chauffe-bain où ils n'habitaient jamais, ni l'un ni l'autre. Avec son premier gros salaire, il avait acheté des hectares de forêt, au Michigan. Il n'aimait pas la vie d'hôtel. Il lui fallait loger ses livres, ses disques, ses milliers de croquis. Il avait besoin de racines... Il vêtait, animait, abandonnait la peau et la défroque de personnages fabuleux. En lui se faisait la synthèse de ce  Rodrigue qui, pour les Espagnols, est un preux, pour les Français un amoureux, dont il fit un homme, comme humains étaient son Moïse, ou son Buffalo Bill, ou son Andrews Jackson. Mais lui, dans tout cela, il se perdait un peu...

Lydia jouait en tournée " sept ans de réflexion ". Les années de service comptent double, celles que son mari avait passées aux Aléoutiennes ne comptaient pas. Par conséquent, le titre de cette dernière pièce était de circonstance. Elle annonça que, toute réflexion faite, elle allait avoir un enfant. 

Cela changeait tout. Un couple peut tenter le diable et vivre à un continent de distance. Pour un enfant, il faut une famille, une vraie maison, un foyer. Lydia accepta sans grimace d'interrompre sa carrière pour se consacrer à son fils. Le petit Frazer (on avait par ce nom renoué avec les lointains ancêtres français), eut Cecil B. de Mille pour parrain et débuta à l'écran alors qu'il n'avait pas trois mois. Il fut Moïse enfant. Son premier rôle et son dernier, jusqu'à nouvel ordre. Car son père le verrait sans doute avec plaisir faire un métier qu'il aime, et respecte, et sert de toutes ses ressources. Mais il veut que Frazer le choisisse pour de bonnes raisons, en temps et en heure. 

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NOMADE, MAIS ORGANISE

Mais il faut d'abord avoir une enfance, une adolescence, mener à bien les études. Un des rôles en apparence écrasant que Charlton Heston a su assumer, et assouplir, et ajuster à ses propres mesures, c'est celui de père de famille. Grand voyageur, partageant sa vie entre Rome et Madrid, Hawaii et le Mexique, il est un nomade qui se déplace avec tout son monde, et plante la tente familiale en tous terrains. Son fils y a gagné de parler plusieurs langues sans effort et d'être déjà un petit citoyen du monde. Son père l'associe étroitement à tout ce qu'il fait. Cela a consisté d'abord à offrir à l'enfant une réplique des plus beaux costumes que portait le père. Mais, peu à peu, l'intérêt s'est approfondi. Frazer est un enfant délicat, qui n'a pas hérité la vigueur physique de Heston, bien qu'il sache nager, monter à cheval, tenir une raquette. Il a, lui aussi, le don et le goût du dessin. C'est un petit garçon sage et grave, tendre, appliqué. On sent déjà qu'il sera autre chose que son père, mais quelque chose. Son père en est fier, d'une fierté qu'il ne cherche pas à déguiser par la brusquerie ou l'humour. Il considère qu'avoir un enfant, c'est ce qui peut arriver de plus extraordinaire et de plus indispensable.

— Ce qui compense d'avoir perdu le Paradis...

Il aurait aimé une fille. Elle n'est pas venue. Pour que Frazer ne soit pas un enfant unique, ses parents ont adopté la petite Holly, qui voyage elle aussi à travers le monde, ainsi que l'énorme chien Dragon. Pourtant, si l'on ne peut manquer de remarquer au passage les innombrables valises ou les animaux apprivoisés de vedettes tapageuses, la famille Heston se déplace dans un tranquille et discret confort. Ce n'est qu'à l'écran que son chef se fait remarquer.

Il s'habille à Londres ou à Rome, et jamais ne viendrait sans cravate en un endroit où il convient de s'habiller. Il ne refuse jamais une interview et aime discuter de ses rôles, ou du rôle social du cinéma, de l'avenir de la télévision qu'il considère un peu comme une enfant égarée dans la facilité, gaspillant les dons les plus rares...Il étudie à fond ses rôles mais ne discute jamais avec le metteur en scène. 

— Un film vaut ce que vaut son réalisateur, dit-il. L'auteur et l'acteur, à l'écran, comptent beaucoup moins qu'à la scène. 

Toutefois, il n'a aucune intention de passer de l'autre côté de la caméra. Ce n'est pas son métier. Il a été acteur avant de venir au cinéma et espère continuer à être acteur, même si le cinéma cesse de lui offrir des rôles. Il est devenu producteur pour avoir un intérêt plus actif dans les films qu'il tourne. Il est un homme d'affaires avisé. C'est le devoir d'un père de famille. 

— Heureusement qu'il existe des imprésarios, dit-il. Sinon, quand un rôles les emballe, les acteurs perdraient la tête. Moi par exemple, j'aurais joué Moïse pour rien...

Ces rôles qu'il a si généreusement nourris de sa substance, il s'en est imprégné. On ne peut jouer Moïse face au buisson ardent sans se poser certaines questions. 

— Un acteur ressemble au chiffon sur lequel un peintre  essuie ses pinceaux. On lave le chiffon, mais il garde des traces indélébiles...

La familiarité de personnages exemplaires lui a enseigné ce qu'il savait d'instinct : la tolérance et l'exigence. Il est courtois, exact, discipliné, facile à vivre. Mais certaines faiblesses lui semblent inexcusables.

Il ne pardonne pas les négligences professionnelles. Ni les plus évidentes, comme ne pas savoir son rôle ou compliquer la tâche de toute une équipe. Ni les plus volontiers admises, comme la désinvolture envers le public, ou l'extravagance. 

— Aimer vraiment le métier que nous faisons, en être fier, ce n'est pas pour cela oublier qu'il y a peu de temps encore les acteurs étaient traités en saltimbanques, c'est vouloir ignorer que dans certains clubs et certains milieux, ils ne sont pas encore reçus...

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SON ACTE D'AMOUR

Il porte l'orgueil de sa caste avec le sentiment de ses limites, et s'interdit les complaisances qui précisément, aux yeux de certains, jettent sur les acteurs une ombre... Le scandale, le relâchement des moeurs, la combine lui répugnent. A travers ses perpétuelles randonnées, il demeure attaché à l'Amérique, accepte ses lois et ses taxes, ne cherche pas à frauder le fisc, ni a échapper à son code moral. Millionnaire, célèbre, gâté par la vie, on pourra dire que ce n'est pas difficile en ce cas de jouer le bon apôtre. 

Précisément, il le joue. Et avec la conviction qu'il apporte à tout ce qu'il entreprend. Rompre des lances, c'est son emploi. Etre un citoyen respectueux de la morale ou de la règle, cela ne veut pas dire être lâchement et égoïstement conformiste. On le trouve à la pointe de toutes les croisades généreuses. Il ne recule jamais devant l'audace d'une idée s'il la croit juste. Il a milité pour l'égalité raciale, la protection de l'enfance, la dignité du métier d'acteur. Il a engagé dans ces campagnes sa responsabilité d'homme et de comédien. Tout son poids. Il est lucide. Comblé, il sait que tout bonheur est fragile. Cela n'empêche pas que chaque journée pleinement vécue est un triomphe. Conscient de tous les dangers et de toutes les limitations de la condition d'homme, il dédaigne les évasions illusoires : boire, se droguer, jouer les rebelles sans cause précise, se galvauder dans des aventures où l'amour n'est qu'une mauvaise excuse. Il pense d'ailleurs que l'amour fait partie de l'équilibre d'un être, comme la santé, doit l'aider et ne jamais le gêner, pour accomplir ce qu'il doit faire. 

— Je n'ai en vérité, jamais joué les amoureux. Ni dans la vie, ni dans mes rôles. 

L'amour pour lui, n'est pas une question de mots, mais de comportement. Cela se prouve et s'éprouve. Et cela, ne délivre pas, au fond, de la solitude. 

Mais cette solitude est vivifiante. Il l'a aimée toujours. Il la retrouve chaque fois qu'il le peut. Dans ses forêts natales, à 10.000 mètres d'altitude, dans un Boeing, en face d'un nouveau rôle. Il reprend ses propres mesures. Ce qui l'épouvante, c'est au contraire la foule.  La masse humaine qui prolifère et bouillonne, sans discernement ni contrôle. L'humanité ne sera pas détruite par la bombe, elle succombera sous son propre poids. L'individu compte sur la masse et la masse l'écrasera. Déjà on suffoque dans les villes, sur les routes, les plages. Tout enfant qui naît, quelles que soient sa couleur et sa condition, doit être assuré d'une vie décente. C'est la responsabilité de ceux qui le mettent au monde. 

— Tiens-toi droit, on te regarde... disent les mères à leur fils. 

Dépasser les autres de la tête, par la taille et la chance, le talent et la fortune, cela oblige à se tenir droit. On a dit que Charlton Heston jouait des personnages anachroniques, avec ses armures, ses faucons, ses épées à deux mains. Il y a encore des faibles à protéger et des monstres à abattre en notre temps. Qu'il ait choisi de nous proposer le chevalier plutôt que le truand, c'est finalement un acte d'amour. 

M.G.

 

≈ FIN ≈

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