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" CHARLTON HESTON STORY " Cinémonde N° 1617 du 14 septembre 1965 - Episode 2

 

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2 - UN GRAND DIABLE PASSIONNE

Résumé du chapître précédent : Il est né le 4 octobre 1923 dans un châlet forestier, sur les bords du Michigan et il a eu une enfance frugale et rude : il s'est forgé des muscles et a lu la Bible.

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Un enfant ne s'ennuie jamais quand il a autour de lui des arbres, l'eau, les bêtes... Les soirées d'hiver sont longues pour une jeune femme née à Chicago et habituée, plus encore qu'au confort, à l'enrichissante chaleur d'une grande ville. La mère de Chuck divorça lorsqu'il avait onze ans.  Il est lui-même surpris de la décisive et durable influence de ces onze ans sur sa personnalité profonde et, par conséquent, sur sa vie. Ces vertes années, intensément vécues, l'ont marqué à jamais. Parce qu'elles répondaient en lui à un besoin profond d'indépendance, à son goût de la vigueur et du risque calculé. Aussi parce que la forêt allait devenir une sorte de paradis perdu...

Sa mère avait épousé un homme d'affaire prospère, Chester Heston, brillant, un peu froid, dont la sage autorité aurait peut-être ricoché sur l'écorce un peu rude de notre jeune sauvage. 

Mais les suites du fameux krach financier qui fit couler Wall Street et a ébranlé toute l'économie américaine eut des conséquences, tardives, mais fatales sur les activités de M. Heston. Il se trouva un beau jour totalement ruiné. Au point de devoir vivre, avec sa femme et son enfant, dans une remorque accrochée à la voiture dans laquelle il battait le pays, en quête d'une nouvelle chance. Elle ne vint pas. Les caravanes de 1930 n'avaient pas comme aujourd'hui tout le confort y compris la TV. On se nourrissait de pommes de terre bouillies sur des feux de bohémiens. Peut-être cette période difficile fut-elle heureuse pour l'enfant. Il endurait sans trop de gêne cette existence précaire. On était loin de l'aisance, de la discipline que sa mère avait rêvées pour lui, mais qui l'auraient peut-être cabré. Surtout il vit son beau-père accepter un emploi de manoeuvre dans une usine. Sans rechigner. Il le vit travailler sans se plaindre ni accuser le reste du monde. Trois ans plus tard, Chester Heston était devenu directeur de l'entreprise. Cet exemple devait laisser une empreinte chez l'adolescent qui l'épiait. Il apprit ainsi, mieux que dans les beaux sermons, qu'un homme est responsable de ses actes et de leurs conséquences et que la meilleure façon — la seule — de prouver qu'on est supérieur à sa condition, c'est d'en triompher. 

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LE STADE ET LA SCENE

Toutefois, Chuck avait appris que si pauvreté n'est pas vice, c'est souvent un handicap. Lui-même, en classe, avait dû faire ses preuves. On l'avait accueilli un peu comme un chien de berger dans un jeu de quilles : ce croquant trop grand pour son âge et surtout pour ses vêtements, au visage osseux tanné par le blizzard, au parler lent des solitaires, aux yeux attentifs, quelle cible pour les loustics de la ville ! On se moqua de lui. Cela ne dura pas longtemps. A défaut de l'épée de son ancêtre Douglas — dont il ignorait alors tout — le gamin avait ses poings bien endurcis sur la cognée et sur l'aviron.  Il se fit respecter. Mais cela ne suffisait pas. La solitude dans la solitude est exaltante. Au sein d'un groupe, elle est affreuse. Chuck devait s'affirmer, par un moyen ou par un autre. Il ne pouvait briller en classe : son éducation ne le lui permettait pas encore. Tout naturellement on le recruta pour les équipes sportives, et il n'eut aucun mal à y triompher. Cela aurait été une gloire suffisante pour beaucoup. Il ne s'en contenta pas. Il lui fallait vaincre sur un terrain plus malaisé. Sa carrure, ses traits trop accusés son accent de rustaud le gênaient. Il s'inscrivit au cours d'art dramatique, là où il devait le plus se trouver en pénible évidence. Il lut à perdre haleine, non seulement tout le théâtre, de Sophocle à Ibsen en passant — et en s'attardant — par Shakespeare. Mais il se passionna pour l'histoire du théâtre  et ses à-côtés. C'est alors qu'il se mit à dessiner, comme naguère les bêtes et les arbres, des décors, des costumes, et jusqu'aux détails de ceinturon ou de coiffure. Surtout, il utilisa, dans le texte, cette lenteur et cette gravité acquises en épelant la Bible et cette précision des bûcherons qui ne jettent leur cri qu'au moment exact où l'arbre commence à basculer. On le trouva utile. Il acceptait tous les rôles. Il trouvait dans le plus insignifiant quelque détail à fourbir. 

Quand vint l'âge de l'Université, déjà son beau-père s'était rétabli financièrement. Lui n'en avait pas besoin. Il avait gagné une bourse à l'Université dans la section " Art dramatique ". 

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A BONNE ECOLE

L'Université de Chicago a été édifiée, au moment du prodigieux développement de la cité, dans une zone boisée, plaisante, près du lac. Les bâtiments sont vastes, les pelouses vertes, les lilas y sont plus beaux qu'ailleurs, dans une ville où ils sont pourtant fameux. Mais là, comme partout, l'axe urbain s'est déplacé. Si bien que, rue par rue, le quartier noir s'est approché. En termes de propriété, c'est aussi grave qu'un typhon ou une épidémie. Aussitôt les maisons se dévaluent, les terrains se vendent pour rien, la panique s'en mêle. Pour les professeurs de l'Université, qui ne sont pas plus riches à Chicago qu'ailleurs, cela pouvait signifier la ruine. Car on proposait de transplanter ailleurs les classes, les gymnases, les bibliothèques, les amphithéâtres. Mais les maisons du personnel enseignant devaient être abandonnées à de nouveaux occupants. 

Il se passa alors une chose inattendue. Les professeurs de Chicago décidèrent de maintenir l'Université et ses dépendances là où elle se trouvait. C'est-à-dire de se laisser isoler dans un quartier où déferlait déjà la ruée des gens de couleur. Ils estimaient que le mal venait surtout du fait qu'on n'offrait jamais à ceux-ci une chance de s'intégrer, harmonieusement dans un milieu policé, où l'on a le respect de certaines valeurs. Etre professeur, par définition, c'est éduquer et donner l'exemple. 

La gageure a été tenue. L'Université de Chicago fait la preuve que certaines barrières  peuvent être abattues. Non pas facilement. Mais à force de compréhension et de patience. 

Est-il besoin de dire que Charlton Heston a fait ses études à l'Université de Chicago. Et c'est là qu'il y a rencontré celle qui est, depuis vingt et un ans, sa femme.

LE FOND DU PROBLEME

On s'était habitué à sa haute taille. On voit grand, dans la jeunesse américaine. Les gaillards qui s'affrontent sur les stades universitaires ne sont jamais des fillettes. Avant-centre dans l'équipe de football, Chuck se défendait en champion. Il s'en tenait toutefois  à ce poste clé, refusait les honneurs de capitaine. Cet individualiste a toujours aimé la discipline acceptée, le travail d'équipe où il tient sa place, le mieux qu'il peut, et rien de plus. Plus tard, on ne le verra jamais, comme tant d'autres, s'improviser metteur en scène. Il considère que ce n'est pas son travail. 

Il est acteur. Ce métier, il l'apprend. Patiemment, avec une obstination de bûcheron. C'est un perfectionniste, un fignoleur. L'inspiration lui semble aller de soi. Il faut travailler à fond un personnage, en être habité, avant de lui lâcher la bride. Cette minutie et aussi ce besoin d'élargir le problème immédiat, de s'enrichir de chaque contact non seulement avec les êtres, mais aussi avec les personnages, des années de métier et surtout le succès ne les lui ont pas fait perdre. Quand il tournait "BEN-HUR", il connaissait la vie de tous les grands meneurs de chars de Rome : Flavius Scorpus qui, à 27 ans avait remporté plus de deux mille victoires et l'Ibère Apeleus, qui gagna dans l'arène l'équivalent de deux millions de dollars. "LE CID" lui a donné l'occasion d'étudier à fond les armes anciennes. "MICHEL-ANGE" lui a ouvert le monde fascinant du cincocento. 

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UN PUR...

A ce moment-là, il est un grand diable assez hirsute, sans coquetterie de vêtements ni de manières, d'une courtoisie un peu raide, et capable de se taire des semaines mais de discuter des heures sur un point qui le passionne. Car c'est un combatif. Un cours d'art dramatique, au niveau universitaire, c'est sérieux. On ne peut se contenter de jouer un auteur à la mode ou un bon vieux classique éculé. C'est le moment des audaces, on doit jouer ce qui est partout ailleurs injouable, on doit s'attaquer de front aux problèmes essentiels du théâtre. On n'est pas là pour divertir les autres étudiants en donnant des soirées récréatives avec "La Marraine de Charley" ou, à tout casser "La Mouette". 

Il croit tant au théâtre qu'il en rejette totalement les conventions commodes. Il ne va pas prendre un café pendant que sa partenaire répète. Il lui donne la réplique. Geneviève Page, dans le torride été castillan, s'étonnera de le voir se mettre à quatre pattes derrière un fauteuil, en face d'elle, pour jouer les scènes qu'elle tourne en gros plan. Trouver un regard sur lequel appuyer le sien, une voix qui fait écho, cela aide le camarade et cela aide le film... Il croyait aussi tant à son personnage qu'il embrassait pour de bon ses partenaires. Ce qui, paraît-il, ne se fait pas. Comment faire comprendre à la petite pécore offensée que ce n'est pas elle du tout qu'il embrasse, comme il l'aurait aussi bien bousculée ou battue. Mais que c'était Electre ou Ophélie... Cette absolue sincérité dans le jeu, qui jamais ne déborde sur la vie privée, cela va le protéger miraculeusement plus tard dans les bras de sirènes comme Ava Gardner, ou Elsa Martinelli, ou — qui dit mieux ? — Sophia Loren. C'est qu'il n'a pour elle que les yeux de Rodrigue. 

Quoi qu'il en soit, cette ardeur de séminariste surprend. Certains l'admirent. Il agace une jeune personne qui n'est venue au cours d'art dramatique qu'avec certaine condescendance, comme on va faire de la gymnastique d'assouplissement. Elle veut devenir avocate et sait que pour cela il faut avoir une bonne diction. Rien de plus. Le reste est amusant, mais pas très sérieux. 

Cette demoiselle s'appelle Lydia. Lydia Clarke. 

M.G.

(A suivre.)

 

 

 

 

 

 

Commentaires

  • Excellent article,et je pèse mes mots,j'étais trop jeune pour lire "cinemonde",mais ma mère m'en parlait comme d'une bonne revue,et cet article bien construit et bien écrit semble le confirmer...l'anecdote à propos de la grande Geneviève Page, étonnée de voir Chuck l'aider off camera pour sa scène est typique de la générosité de l'homme,et on aurait préféré la trouver ds les bonus de l"El Cid" plutôt que les remarques négatives de la femme du scénariste Barzman!
    Well done France ,again!

  • Cher Renaud, j'ai transposé votre commentaire FB, ici, car je l'apprécie bien sût.
    Merci cher Renaud. Oui, je trouve cette série "Charlton Heston Story" bien écrite. Je vais recevoir le 3ème épisode (N° 1618) le 7 ou le 8 août. J'avais dans ma jeunesse, la collection des Cinémonde et Ciné Revue entre autres journaux de cinéma, qui, malheureusement ont disparu au cours du vidage de la cave de ma maman, où j'avai entreposé ces journaux. Imaginez mon désarroi à l'époque. Alors aujourd'hui, grâce à Ebay, j'arrive à me procurer de nouveau ces journaux consacrés à Charlton, mais c'est difficile, car je ne veux pas les payer plus de 5€, avec les frais d'envoi cela les met quand-même à 7 ou 8 € ce qui déjà représente un bon prix. Autrement, il existe un site sur lequel nous pouvons trouver ces journaux, mais par exemple, les CINEMONDE sont à 18 € + les frais d'envoi, donc au total plus de 20 €, faut tout de même pas exagérer. J'espère que je trouverai les numéros 1619 et suivants pour avoir la story complète, car il est vrai que c'est excellent. Merci pour votre avis. Bises d'amitié.

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