TRADUCTION DE L'ARTICLE DE " VANITY FAIR_ESPAGNE " du 23 avril 2016
Les auteurs de films avaient déjà une attirance étonnante pour les fioritures verbales et solennité émotionnelle. Obtenir des larmes métaphysiques du spectateur. Dans l'une des scènes de El Cid, quand le héros vient de tuer le père de sa bien-aimée dans un duel, il se rend dans sa chambre pour lui expliquer qu'il ne voulait pas le faire. «Je sais que mon amour n'a pas le droit de continuer à vivre», dit Charlton Heston, "mais il ne veut pas mourir." "Tuez-le," lui réplique alors Sophia Loren. Furieusement, il lui répond: " tue-le toi-même. Dis-moi que tu ne veux plus de moi ". Entre les deux acteurs il n'y avait pas d'amour pendant le tournage, mais une rivalité qui aurait inspiré des dialogues similaires.
Le producteur nord-américain Samuel Bronston, l'artisan du CID, était fasciné par les possibilités esthétiques du paysage espagnol après avoir vu " Bienvenu, Mr. Marshall " de Luis Garcia Berlanga. Et, sûrement, qu'il est resté encore plus fasciné pour toujours, par la possibilité de tourner des grandes superproductions à un prix beaucoup moindre qu'à Hollywood. Il est venu en Espagne et a commencé à construire ce qui finirait par s'appeler - dans un pays d'industrie inexistante - l'empire Bronston. En 1959 John Paul Jones a été tourné, dirigé par John Farrow, et en 1961, avec Nicholas Ray derrière la caméra, le Roi des Rois, une création fastueuse de la vie de Jésus de Nazareth.
Pendant tout ce temps, Bronston n'avait pas cessé de penser à un projet qui d'après son jugement contenait tous les ingrédients de la perfection : la poésie épique coléreuse, la grandeur dramatique et la spiritualité castillane qui lui plaisaient tant. L'histoire du héros médiéval espagnol Rodrigo Díaz de Vivar, l'Homme valeureux, le Guerrier illustre. Le producteur espagnol Cesáreo González, qui travaillait depuis longtemps sur le projet d'un film sur l'Homme valeureux, avait pensé à Paco Rabal pour le rôle. Mais Bronston qui avait acheté les droits du projet, a fait appel sans hésitation à Charlton Heston, qui était à cette époque déjà une étoile rutilante grâce aux films comme Les Dix Commandements et Ben Hur.
Des années plus tôt, Bronston avait rencontré à Los Angeles le producteur italien Roberto Haggiag. Il était devenu son ami, il avait volé sa femme et, finalement, ils avaient conclu un partenariat pour produire des films. C'est Haggiag qui suggère le nom de Sophia Loren pour jouer Dona Chimène, même s'il avait pris en considération la possibilité que le rôle soit incarné par Sara Montiel, qui était au sommet de sa beauté et venait d'épouser le réalisateur du film, Anthony Mann.
Les autorités espagnoles ont donné toutes les facilités pour que cet empire de Bronston soit à l'aise dans nos terres et porte aux confins du monde le message que l'Espagne était une espèce de terre promise. Le Gouvernement a mis à la disposition des producteurs tout le patrimoine espagnol, 1500 châteaux et objets militaires de l'Armée.
Il a encouragé Le Roi Don Juan Carlos et la Reine Sofia à sympathiser avec les acteurs. Et il a conclu un accord pour que les troupes espagnoles aident dans le tournage, même si elles portaient des vêtements musulmans : les grandes scènes de bataille, et surtout la plage Peñíscola, étaient pleines de conscrits. Certains des effets du nationalisme particulier de ce film, durent à ce jour: ce fut visible après la sortie du film, lorsqu'à Tolède on a commencé à vendre des reproductions de l'épée du Cid.
POUR INTERPRETER DOÑA CHIMENE ON AVAIT PENSE A SARA MONTIEL, QUI ETAIT A L'APOGEE DE SA BEAUTE ET QUI VENAIT DE SE MARIER AVEC LE DIRECTEUR DU FILM , ANTHONY MAN.
Il est difficile de savoir à quel moment de la préparation du film, commence la guerre du script et tout ce qui en découle. Dans cette région franquiste, aride de l' Espagne, où les vertus du Cid étaient le symbole même du pays, il n'y aurait pas de faux-pas qui invalideraient son Image. Donc, l'une des premières choses qu'a faite Bronston fut d'organiser une rencontre entre l'ancien, Ramon Menendez Pidal - gardien de la Mémoire du Cid - et l'acteur qui jouerait. Le rendez-vous fut pris pour un entretien entre l'homme sage de 91 ans et la star hollywoodienne, afin de rendre justice à Rodrigo Diaz de Vivar. Bronston obtint ce qu'il voulait. Cet entretien lui valut la sympathie du philologue qui, malgré les falsifications historiques évidentes du script, a fini par donner son approbation et a même assisté au tournage. Dans une photographie pittoresque il est vu à côté de Charlton Heston, dont le poing porte un faucon qui commence à voler, et un naturaliste très jeune et inconnu qui était chargé de le conseiller sur les arts de la fauconnerie pendant le tournage: Félix Rodríguez de la Fuente.
Mais si la première bataille du script était scientifique, la recherche de la combinaison parfaite de l'histoire, le théâtre et le spectacle cinématographique, les suivantes étaient à cause du chauvinisme et du curieux système qui régit le cinéma hollywoodien. Heston n'a pas aimé le script. Il a signé le contrat en stipulant qu'il fallait le réécrire. Il était modifié sans cesse pour le satisfaire, mais sans succès. Finalement, il a été convaincu par Bronston et a interprété son personnage sans récréminer.
Le scénario ne plaisait pas non plus à Sophia Loren. Dans la première version, axée sur l'aventure guerrière de l'illustre Guerrier , le personnage de Chimène était secondaire,à ce qu'il semble : une épouse dévouée qui l'accompagne de loin et souffre dans la solitude. C'était le rôle qu'elle avait accepté avec plaisir. Mais après être arrivée en Espagne pour le tournage, selon quelques témoignages, quelque chose d'inattendu est arrivé et a changé le cours du film : Sophia Loren vêtue en Chimène est arrivée sur le plateau. Après l'avoir vue apparaître, un silence d'admiration s'est produit. Antonio Mayans, un jeune acteur qui était sur le plateau, se souvient avec émotion du moment, 50 ans après : " Elle est entrée en saluant tout le monde, dégageant de la sympathie", dit-il. "Elle était très belle. Exagérément belle".
Et cette beauté formidable a été celle qui a changé le cours du film. Ils ont réécrit le scénario pour donner à Chimène un rôle plus important, tout cela sous le regard jaloux d'Heston, outre d'autres non-conformités, qui voyait son rayonnement être en danger.
Mayans était alors un jeune acteur qui avait déjà participé aux films antérieurs de Bronston en Espagne. Dans Le Cid il avait pour la première fois un rôle important. Il devait interpréter un maure des armées de Valence qui défendent la ville assiégée par les chrétiens du Cid. Dans une péripétie rocambolesque, il se rebellait contre son chef musulman et s'alliait avec Le Cid, qui lui livrait 40 mules chargées de nourriture pour rassasier les retranchés affamés.
Le jeune Mayans entrait à Valence avec les mules, répartissait les aliments et réussissait à soulever la ville pour la livrer au Cid .
Rien de cela n'apparaît dans le film. Dans le scénario définitif, toute cette série de séquences sont substituées par une autre scène dans laquelle les armées du Cid lancent avec des catapultes des miches de pain au-dessus des murailles et le peuple valencien, famélique et reconnaissant, se rend. Ce qui devait occuper 15 minutes de métrage est résolu en réalité en trois minutes. Le reste du temps, il fallait le consacrer à Sophia Loren. " Quand je l'ai vu la première fois, je suis resté bouche bée, je ne me suis pas rendu compte que cette femme allait être ma ruine", dit Mayans avec ironie. "Mais non par l'amour, mais parce qu'elle a mangé l'espace de mon personnage".
Ceci est juste un exemple de la tournure prise par le script, sur lequel chaque fois il y avait des mains pour le retravailler. Ce qui devait être un film d'aventure, un western médiéval, a commencé à devenir un film à résonance sentimentale. Et voilà ce qui est arrivé à l'époque, quand ils sont intervenus pour la fierté et la caste de Sophia Loren. Elle, qui avait accepté de participer à El Cid avec un personnage mineur, était ravie que ce rôle soit étendu, mais pas à tout prix.
Elle ne voulait pas être une actrice potiche, donc elle a renoncé à certaines approches qui l'auraient changée en ombre simple de Charlton Heston. La Loren a dit qu'elle voulait une trame dramatique, une substance émotionnelle, un conflit, et que si cela ne se faisait pas, elle abandonnerait le film. La menace a dû être prise au sérieux, parce que les producteurs sont arrivés à contacter Jeanne Moreau, qui finissait de triompher à Cannes.
Après l'orage le calme est venu. Malgré la vigilance scientifique de Ramon Menéndez Pidal et de son fils Gonzalo, qui figure dans les titres du crédit comme conseiller historique, les scénaristes ont choisi de franciser le film et d'utiliser comme source d'inspiration, la pièce de théâtre de Pierre Corneille, où apparaît l'épisode dans lequel Rodrigo Díaz de Vivar, pour défendre l'honneur de son père, tue dans un duel le père de Chimène, et qui à partir de ce moment, doit conjuguer son amour passionné et sa nécessité de vengeance.
Sophia Loren est à la hauteur du défi : son regard tourmenté dans le combat de Calahorra, ou son geste fou quand elle accepte la proposition de Raf Vallone d'assassiner Le Cid, ce sont certains des meilleurs moments d'interprétation de sa carrière.